Arrivée de Netflix et d’autres fournisseurs de videos en flux continu en Europe, multiplication du nombre d’écrans (smartphones, tablettes, PC) dans les foyers, Internet mobile (wifi, 4G, etc.)… La consommation prend des formes de plus en plus personnalisées, « ou je veux » et « quand je veux ».
L’arrivée de nouveaux acteurs proposant une offre légale et démocratique de films et de séries contribue à renforcer certaines tendances amorcées avec les Personal Computer (PC), les téléphones intelligents et l’offre de vidéos à la demande en général (que celle-ci soit en télévision ou en ligne, légale ou non). Certains y voient un pas supplémentaire vers toujours plus d’individualisation.
Le changement de rapport à l’espace et au temps est probablement l’un des plus caractéristiques de l’évolution de la consommation d’œuvres audiovisuelles. Avec ses grilles horaires et ses programmes récurrents, la télévision d’hier rythmait véritablement la vie de nombreuses familles. Elle-même calquée sur les horaires de bureau typiques, elle proposait des rendez-vous, quasiment ritualisés. La grand-messe du 20 heures en France. L’émission de divertissement du samedi soir. Les jeux du début de soirée en semaine. La réjouissance d’être demain, pour voir la suite de ma série préférée…
Tout cela a fondamentalement changé. Certes, la télévision reste un lieu de rendez-vous. Mais à coté des traditionnels journaux télévisés, le téléspectateur a aujourd’hui accès à des chaines d’information en continu (sans parler de la presse en ligne et des réseaux sociaux). Pourquoi attendre demain pour voir la suite de ma série, quand tous les épisodes sont déjà disponibles en ligne ? De plus en plus, la consommation peut se faire « n’importe où », « n’importe quand ».
Lors de rendez-vous télévisuels, le noyau familial se rassemblait sur le canapé devant le « petit » écran (qui aujourd’hui ne l’est plus vraiment). Les émissions de télé étaient l’occasion d’échanger avec ses proches : émettre des critiques, faire des commentaires, etc. Ce que les pratiques sociales des téléspectateurs nous montrent, contrairement à ce que l’on pourrait croire, c’est que cela n’a pas changé. Que ce soit votre grand-mère qui vous fait part de son indignation devant le JT, ou votre adolescent qui tweete non-stop pendant un talk show, la dynamique est la même.
Par contre, aujourd’hui, plus besoin de se mettre d’accord en famille sur le programme que l’on va regarder ensemble. Chacun dispose de son propre « canapé virtuel » et peut échanger avec d’autres sphères sociales que sa famille, « à distance ». Beaucoup d’émissions (The Voice, Touche pas à mon poste, etc.) l’ont compris et adoptent une stratégie « second écran » très marquée : concrètement, au plus l’émission suscite d’échanges sociaux (par Twitter ou Facebook par exemple), au plus elle a une plus-value par rapport à un programme « à la demande », que chacun peut regarder dans son coin. Cela explique d’ailleurs en partie le succès d’émissions de téléréalité mettant en scène des personnages caricaturaux : ils suscitent des réactions, ils constituent les sujets de conversation du lendemain à la récréation, la machine à café ou encore les transports en commun.
Il reste intéressant malgré tout de se demander jusqu’où le morcellement des pratiques va aller, en lien avec tout un système sociétal. En tant que vecteur de socialisation et « d’histoire(s) partagée(s) », la télévision représente un type de structuration du quotidien. Les nouvelles technologies, le modèle de consommation qu’elles supposent et les possibilités qu’elles offrent renvoient aux mutations en termes de flexibilité et d’immédiateté, de télétravail, etc. Les frontières entre les différentes sphères (familiale, amicale, professionnelle, etc.) semblent de plus en plus poreuses : elles paraissent en tout cas de moins en moins délimitées par un temps ou un espace donnés…