Depuis 2020, le parcours d’éducation culturelle et artistique, le PECA se met graduellement en place dans les écoles francophones du pays (le décret est es an cours). Après les maternelles en mode « version pilote », il vise cette année tous leutres enfants en primaire et secondaire. L’occasion d’aborder le sujet (et ses embûches multiples), AVEC Catherine Stilmant, directrice de ce chantier PECA.
En France, on parle de PEAC (parcours d’éducation artistique et culturel), là où en Fédération Wallonie-Bruxelles, on parle de parcours d’éducation culturelle et artistique, PECA. Pour eux, le côté artistique, beaux-arts est dominant. Chez nous, c’est le contraire. On considère que la culture est l’ensemble majeur dans lequel se trouvent, entre autres, les arts. On y regroupe donc beaucoup plus de choses qu’en France comme par exemple la démarche d’éveil critique, des démarches proches des Organisations de Jeunesse (qui, en Belgique francophone, font partie du domaine culturel). On souligne ici l’artistique car la place des artistes est importante mais il y a aussi la place des opérateurs culturels au sens plus large qui ne sont pas forcément des artistes. Je pense aux bibliothèques, aux centres culturels, aux Organisations de Jeunesse, aux centres d’expression et de créativité, etc. L’idée est ne pas couper ce parcours du monde culturel qui est plus large que le monde artistique.
Les recherches qui ont été faites sur le PECA – notamment avec l’Observatoire des politiques culturelles et l’université de Mons – ont mis en avant l’importance de la notion de confiance, à plusieurs niveaux. Premièrement, il y a la confiance entre deux mondes qui ne se connaissent pas : le monde de l’école et des enseignants et le monde culturel, les opérateurs culturels, les artistes, etc. Il y a aussi la confiance des élèves et des enseignants en leurs propres capacités culturelles et artistiques qui est essentielle mais à construire. Au centre, ce sont les élèves. Enfin, il y a une troisième forme de confiance, souvent oubliée, qui est la confiance institutionnelle. Pour l’instant, la tendance est à la peur plutôt qu’à réjouir les foules. On essaye de lever ces freins même si beaucoup font déjà des mini-parcours d’éducation culturelle et artistique dans leurs classes. La différence fondamentale est qu’ici, cela doit toucher de manière égalitaire tous les élèves.
C’est la première difficulté pour nous. Il y a des écoles complètement oubliées. Il y a des classes qui ont très peu de contacts avec l’éducation culturelle et artistique parce que l’école n’a pas le temps, que ce n’est pas une priorité, qu’il n’y pas d’opérateur culturel à proximité, que ce sont des publics difficiles, qu’il y a des problèmes de moyens financiers ou de transport, etc. C’est pour cela que dans le décret PECA (qui est en cours), un des rares prescrits sera l’obligation d’une activité culturelle et artistique dans et en dehors de l’école/an. Un autre angle d’attaque sur lequel on réfléchit actuellement, en projet laboratoire, vise les familles précarisées dans l’enseignement maternel. On a pas mal de tout petits qui n’ont pas accès à l’école, simplement parce que les parents ne se sentent pas « légitimes » au sein de l’école. Nous sommes convaincus que la culture et l’art sont un bon moyen de nouer le dialogue avec ces parents-là.
Le secteur des Organisations de Jeunesse est spécifique et dépend d’un autre Cabinet et d’une autre Ministre. J’ose espérer qu’on introduira cette réflexion PECA dans le décret en cours. Mais dans les décrets qui dépendent directement de la Ministre de la Culture (exemple pour la lecture publique, les centres culturels, etc.), il est prévu qu’on inscrive une intention aux activités à mener dans les écoles. Il sera demandé à chaque opérateur de réfléchir à la manière dont ils peuvent consacrer une partie de leur travail au public scolaire.
On va aller croissant jusqu’à atteindre près 6 millions d’euros pour la partie que l’on consacre aux activités culturelles et artistiques que le PECA subventionne. à ce budget, vient s’ajouter une part de budget d’opérateurs culturels bénéficiant déjà d’un contrat-programme ou de conventions et donc de subventions.
Les budgets de la cellule Culture-Enseignement s’arrêtent mais ils seront remplacés par le budget PECA, plus substantiel. C’est un paradoxe : on amène des moyens supplémentaires et on en parle comme si on enlevait des moyens. Les seuls moyens qu’on a modifiés (et non enlevés), c’était les moyens dans la cellule Culture-Enseignement, dont une partie des projets a été intégré, à l’identique, à l’Administration Générale de la Culture (le concours slam, la lecture en classe, etc.). En parallèle, la seule chose qui a changé, ce sont les projets durables et résidences d’artistes, les « partenariats privilégiés ». Pour l’instant, c’est un discours négativiste. On est dans une phase aussi d’expérimentation. à part les projets de la cellule Culture-Enseignement (qui présente 20 partenariats privilégiés, c’est-à-dire 20 opérateurs culturels qui travaillaient sur le format semi-court – mais ces formats sont toujours possibles dans le cadre de leur contrat-programme). Il reste quelques opérateurs et artistes non subventionnés qui n’avaient que ces types d’appels pour effectuer le travail avec les écoles. C’est une petite proportion d’acteurs pour lesquels on cherche actuellement des solutions adaptées. Plutôt que d’avoir plusieurs programmes disparates, l’Administration Générale de la Culture a fait des propositions de deux grands types : des opérateurs territoriaux et des opérateurs thématiques. Au lieu de faire des appels à projets annuels (chronophages et lourds administrativement), le choix a été fait de lancer des appels à candidatures. Si vous êtes un opérateur culturel (centre culturel, OJ, etc.) et que vous souhaitez renforcer les efforts du PECA, vous pouvez postuler en tant qu’expression particulière/thématique (orchestre, bibliothèques, danse) ou bien vous êtes « territorial » (centre culturel, un musée…) et à ce moment-là vous travaillez avec le public de votre zone. Si vous êtes un « thématique », vous pouvez toucher l’ensemble des écoles de la FWB.
C’est un des grands mystères. Comment évaluer un impact culturel ou artistique ? On peut évaluer un impact statistique. C’est ce que l’on va faire : est-ce que chaque année, le PECA touche plus d’élèves ? Cela fait hurler de quantifier/évaluer au chiffre. On peut, régulièrement, interroger les perceptions qu’ont les enseignants, les opérateurs culturels, les artistes et les élèves. Mais l’impact réel, culturel et artistique auprès des élèves ? Il faudra attendre des décennies. Cela se mesure à la santé d’une société, d’une démocratie de ses habitants et citoyens. Aujourd’hui, vous et moi, adultes devenus, vivons de l’impact de démarches culturelles et artistiques que nous avons vécues (ou non) lorsque nous étions enfants, ados, etc. Évaluer l’impact de ce parcours sur la vie des autres n’est ni pertinent, ni intelligent. C’est comme photographier le cosmos à travers une loupe. Cela n’a pas de sens.
L’idée était de ne pas soumettre les opérateurs culturels à des appels à projets assez chronophages en termes de dossier à remplir et à suivre. Cela parait énorme vu comme ça mais 1000 élèves par an, c’est un peu moins de 50 classes c’est-à-dire à peu près 1 classe par semaine. C’est basé sur ce que faisaient des opérateurs culturels de taille moyenne. Rien n’empêche les opérateurs de plus petite taille de collaborer avec les opérateurs de plus grande taille qui remplissent ces appels à candidatures, par exemple, avec un centre culturel, une bibliothèque proche, une fédération. L’idée est aussi de stimuler la mise en réseau et le travail collaboratif.
Certains pense qu’aller faire des chansons pour enfants avec les institutrices dans les classes, ce n’est pas de la culture ou encore, qu’« il vaut mieux aller dans peu d’école avec un niveau qualitatif que d’aller dans les écoles avec les petites choses ». Je m’oppose à cette notion « élitiste ». En Fédération Wallonie Bruxelles, le parti pris est de favoriser tous les enfants avec une accessibilité financière et de qualité. Il y a deux visions. Aller dans deux collèges techniques pour faire six mois de résidence d’artiste, avec présentation finale au quartier ou, avec le même budget, aller durant une année complète dans toutes les classes maternelles. Notre option est de se dire que la sensibilisation ne peut pas se faire si on doit sélectionner les écoles ou classes. De plus, on peut aller écouter un atelier poétique ou de slam avec des enfants et déclencher chez eux une réaction esthétique, sensible et perceptible qui sera extrêmement importante et, a contrario, proposer un atelier de slam de dix séances qui ne sera pas forcément efficace. En connaissance de cause, même si je suis d’accord de l’intérêt à mener des formats longs dans les écoles, on n’a jamais démontré de manière scientifique ou généralisable que l’impact qu’on a sur les élèves avec un format long est plus grand que l’impact qu’on peut avoir avec un format court. Cela dépend du cadre, de la façon de l’artiste ou l’opérateur mèneront l’action. Cela dépend du nombre de fois où on le répète et, non des moindres, cela dépend de la sensibilité de l’élève à un moment donné de sa vie. J’ai vu des élèves transformés après des séances de 50 minutes musicales et j’ai vu des élèves qui, après trois mois de résidence d’artiste étaient épuisés et en avaient marre de travailler dans ce cadre-là. L’inverse est vrai aussi. Il ne faut donc pas opposer le long (égal « qualitatif ») et le court (égal « quantitatif »). C’est d’autant plus faux que les opérateurs pratiques les deux. De plus, il faut aussi parfois approcher l’art et la culture par petites touches. L’artiste qui bouleverse les gens pendant 3 mois peut ne pas être pas forcément salutaire pour tous les jeunes. Accéder à un concert, une pièce, une expo, une lecture ou participer à une animation culturelle et artistique, le tout sans demander au jeune de nécessairement se positionner, suffit parfois à démarrer quelque chose sans faire prendre de risque aux jeunes.
La difficulté sera de nourrir ce terreau-là. Sur deux plans, selon moi. Premièrement : assurer la curiosité culturelle et artistique qu’ils soient futurs profs de langue, de math, de français ou de musique, travailler avec eux la dimension culturelle et artistique de leurs propres apprentissages. Le deuxième plan est le travail de la confiance. Aujourd’hui – et c’est un défi – vu l’exigence du métier, sa complexité, la diversité des publics à laquelle ils font face, quand on leur parle du PECA, ils répondent : « Pitié, n’en rajoutez plus ! ». Le challenge est d’introduire l’élément transversal au sein de l’enseignement. J’ai rencontré une institutrice qui enseignait la géométrie avec un tableau de Sonia Delaunay. En cherchant sur internet « géométrie et art », elle est tombée sur Calder, Delaunay, Miro, Mondrian,… et a préféré utiliser ces peintures plutôt que dessiner des cercles au tableau. De plus, cela ne la bousculait pas car elle n’analysait pas les tableaux mais les utilisaient pour ses compétences mathématiques. C’est un bel exemple (gratuit) de PECA.
Toutes les Organisations de Jeunesse, avec leurs missions CRACS, sont des opérateurs culturels. Elles amènent des questions culturelles sur la table, pas forcément artistiques. J’émettrais une nuance sur les mouvements de jeunesse qui agissent hors du cadre temps scolaires (c’est un autre domaine) mais la plupart des Organisations de Jeunesse agissent et interagissent avec les élèves. Ils font partie du processus PECA dans lequel ils vont s’intégrer à un moment donné. Les Maisons de Jeunes, c’est différent car, à nouveau, elles agissent en général hors du temps scolaire. Cela dit, on a déjà vu se nouer, dans un quartier, une Maison de Jeunes et une école pour travailler avec un artiste. La question des ministres différents est une question d’articulation au niveau institutionnel. à nous de nous débrouiller pour faire parler ces ministres. Cela n’empêche pas les Organisations de Jeunesse de contribuer au PECA. .
Dans le cadre de la grande réforme de l’enseignement menée dans le – très médiatique – « Pacte d’Excellence », l’éducation culturelle fait (enfin) son apparition. Dans la multitude des changements programmés (congés scolaires, décret inscription, gratuité, etc.), il est notamment prévu de redéfinir et renforcer les contenus et les matières abordées dans les classes francophones. L’art et la culture font partie du lot ! La volonté de la ministre de l’Éducation – Caroline Désir – est claire : donner accès aux arts et à la culture à tous les enfants et ce, à travers tous les âges (maternelle, primaire et secondaire) et toutes les matières (que ce soit le cours d’initiation artistique lui-même mais aussi tous les autres : la psychomotricité, le français, la géo ou l’histoire …). Plus précisément, la Fédération Wallonie-Bruxelles déclare vouloir renforcer « la dimension culturelle dans tous les domaines d’apprentissage en ouvrant l’école sur le monde extérieur, en construisant des ponts entre des disciplines, décloisonnées ». Ainsi, l’art et la culture deviennent formellement une composante inhérente de l’éducation. Un tournant attendu des opérateurs culturels. Une réelle plus-value pour une démocratie culturelle. Comment cela va-t-il se passer ? La FWB a imaginé mettre en place un dispositif dénommé « Parcours d’Éducation Culturelle et Artistique », le PECA. La finalité est de permettre à chaque élève de traverser l’art et la culture avec des connaissances, en vivant des expériences, en rencontrant des acteurs culturels et en découvrant des lieux de rencontres et d’expression. Tout cela dessinant un parcours propre à chaque enfant, avec autant d’expériences uniques. Le tout devant donner un ancrage artistique et culturel à leur scolarité. Le coup d’envoi a été donné en 2020. Les élèves de maternelle (180.000) ont été les premiers à intégrer le PECA par le biais de projets pilotes et d’expérimentations transitoires. Lors de cette rentrée 2022, ce sont les autres enfants de primimaire et secondaire qui entrent dans la danse. Au total, près de 900.000 élèves sont concernés. Pour mettre en œuvre ce parcours, de nombreux partenaires sont sollicités. Les acteurs culturels sont évidemment en premières ligne. Pour ce faire, ils sont rassemblés au sein de « consortiums de médiation culturelle » mis en place par les ministres de l’Éducation et de la Culture (10 au total répartis sur 10 bassins géographiques). Leur rôle ? Impulser et organiser la coopération locale entre les acteurs de l’enseignement et de la culture et aussi mettre en avant l’offre des opérateurs culturels vers les écoles et organiser la médiation entre eux. Les consortiums sont composés principalement de centres culturels, bibliothèques, artistes, Organisations de Jeunesse, etc. Le secteur de la Jeunesse a donc sa place dans ce parcours en tant qu’opérateur culturel, car, ils ont, eux aussi, pour mission d’être amplificateur de démocratisation culturelle… V.P.