Après plus deux ans de rencontres et de débats, le Collectif 21 plublie les traces de ses travaux. « 100 ans d'associatif en BELGIQUE… et demain ? Les réflexions du Collectif21 » (Agence Alter éditions, 2022). Un ouvrage qui donne à voir et à (re)penser l’associatif ici et mainteant.
Pour rappel. L’arrivée de l’asbl ouvertement marchande, intégrée dans le nouveau Code des Sociétés et Associations (CSA) avait interpellé, en 2019, les initiateurs du Collectif 21 rapidement rejoints par pas mal d’associations issues de différents secteurs (santé mentale, Jeunesse, insertion professionnelle, socioculturel, etc., dont la COJ). Le C21 nous invitait à prendre le temps de la réflexion à travers une série de rencontres « introspectives » autour de thématiques cruciales : inflation administrative, logique économique, enjeux idéologiques, déshumanisation, etc. En 2022, le C21 terminait son périple par la sortie du documentaire 2121, Hypothèses associatives de Michel Steyaert et annonçait la sortie d’un livre, aujourd’hui, en librairie. Dense et précieux, l’ouvrage est à l’image du collectif : éclectique et engagé.
Le livre du C21 regroupe une cinquantaine de contributions émanant de ses travaux et réflexions internes (mais pas que). Elles vont du général au particulier et amènent des approches variées : rétrospectives (chiffres clefs, évolutions législatives, panoramas historiques), analyses thématiques (vu de Flandre, gestion publique, professionnalisation, …) et parti pris (dénonciation du tout numérique, de la marchandisation de l’associatif, …). Des contributions agrémentées de témoignages faisant « focus » sur les phénomènes exposés (expérimentation du modèle de l’autogestion dans les maisons médicales, étude française sur les « entraves institutionnelles ordinaires » à la liberté associative, …).
La lecture est instructive, orchestrée en quatre « portes d’entrée » efficaces : la description du paysage associatif en belge (au nord comme au sud du pays), l’histoire associative (de 1830 à nos jours), les rapports actuels entre l’associatif et les politiques publiques (de plus en plus gestionnaires) et les tensions vécues au sein de la vie associative (professionnalisation versus militantisme, financement vs participation citoyenne). Si le livre trace le portrait du secteur associatif et son histoire, elle s’attelle tout autant à interroger les questions qui le traverse aujourd’hui, tout en concluant sur quelques pistes d’actions apparues consensuellement lors de ses multiples rencontres… L’occasion d’épingler quatre lignes de force.
Engagement associatif : un feu à (r)animer ? Le Collectif 21 opère d’abord « son périmétrage » du « champ associatif » qu’il veut – comme à sa fondation – vecteur d’émancipation et de changements sociaux. Le C21 distingue le « monde associatif » du « fait associatif » dont il entend bien défendre l’existence, « entretenir l’histoire et faire vivre la culture ». Il est, en réalité, le moteur de son livre et de son combat. « L’histoire qui a conduit à la loi de 1921 – sur les asbl – (…) est issue des mouvements sociaux, des luttes syndicales et de l’auto-organisation du peuple tant pour apporter des réponses solidaires et collectives à la question sociale que pour s’émanciper de la tutelle patronale ou étatique ». Le Collectif21 pose « alors que l’émancipation et le commun sont indissociables du fait associatif » et constitue son essence même. « Le rôle de l’associatif consiste à révéler les injustices, faire émerger les questions collectives non prises en charge par le pouvoir public, formuler des propositions inédites et en réclamer la mise en œuvre ou la prendre en charge ».
Faisant le constat que trop d’acteurs du secteur se sont éloignés de ce berceau en raison du peu d’espaces et d’outils offerts pour ce faire, le Collectif 21 a donc voulu « relever le gant et prendre le temps pour le temps, faire histoire pour l’histoire » en retraçant et contextualisant le « fait associatif ». Un regard en arrière pour renouer avec le sens et comprendre où on se trouve ici et maintenant.
Fin de l’autonomie associative ? Fait marquant, au fil des pages, une crainte se dégage avec force : le Collectif 21 s’inquiète du glissement actuel de l’associatif d’une relation de partenariat vers un rôle de « simple exécutant » des pouvoirs publics imposant ses modes de fonctionnement néolibéral, ceux-là n’étant pas sans effets pervers sur l’autonomie associative (qui peut se voir bridée et imposer d’agir parfois contre ses valeurs). Cette « évolution du fait associatif (…) a tendance à le détourner de sa vocation démocratique, émancipatrice et collective autant qu’à réduire ses marges de manœuvre ». « Si des transformations économiques et sociales sont à la base de cette évolution, dans le concret (…), les pouvoirs publics (…) en sont les promoteurs et les interlocuteurs directs ». En conséquence, l’ouvrage du C21 aborde, avec son regard critique, les relations avec le pouvoir public.
Précédemment articulée sur le partenariat (les pouvoirs publics confiant des objectifs généraux et laissant à l’associatif le choix de ses actions – orientation « buttom-up »), de nos jours, la relation tend à placer l’associatif à œuvrer selon un cahier de charges précis, fixé à priori (orientation « top-down ») dans le resserrement des cadres décrétaux et surtout par le diktat de l’appel à projets. « Ce nouveau mode de gestion des relations avec le secteur associatif est lié à l’effondrement de l’état-Providence et à un contexte général de bonne gouvernance, de réduction des dépenses publiques et de la recherche de l’efficience via les outils du new public management ». « L’humain, le social, le sens qui constitue leur matière première de travail se perdent ou se déforment pour entrer dans les cases d’un tableur ou les découpages de procédures de travail standardisées ». L’autonomie associative s’en trouve fragilisée. « Les nuages s’accumulent ». Le C21 questionne : serait-ce (le début de) la fin de la liberté associative ?
Si nous voulons que l’énergie militante soit féconde dans le monde associatif, il lui faut de la place pour s’épanouir.
Professionnalisation, dérive associative ? Le C21 se fait également le relai des tensions et tiraillements vécus sur le « terrain associatif ». à la professionnalisation – développée massivement ces trois dernières décennies – s’opposerait l’activisme militant qui, selon certains, ne pourrait plus se développer que « hors sol ». Le militantisme serait-il devenu impossible dans les associations et l’unique apanage des mouvements sociaux autonomes (Gilets jaunes, Tout Autre chose, MeToo, etc.) ? Pas si sûr. D’aucuns assurent : « Si nous voulons que l’énergie militante soit féconde dans le monde associatif, il lui faut de la place pour s’épanouir ». Pour y parvenir, il faudrait « penser l’implication comme faisant partie des conditions de travail » et « laisser dans le temps de travail des espaces démocratiques pour discuter des enjeux plus larges ». Le subventionnement structurel de l’emploi pose encore d’autres questions. Notamment sur les modes de gestion d’équipe. Ici, on observera l’introduction de pratiques auto/technocratiques tout droit venue du new management. Là, à l’inverse, on induira un investissement no limite « au nom de la cause » (parce que, vraiment, « C’est pas l’usine ») pouvant conduire au burn out. Quelle « homologie (…) entre ce qui est exigé – par le secteur associatif – pour la société et ce qui est pratiqué en interne » ? Avec la structuration de la concertation sociale, le C21 fait également observer l’obligatoire positionnement des « chefs associatifs » sur le banc patronal adoptant des positionnements des employeurs marchands qu’ils dénoncent pourtant ailleurs. Nouveau coup de griffe. « Comment faire pour réactiver l’engagement sans s’épuiser ? » « Comment proposer un travail associatif réellement libéré des contraintes managériales ? ». Quelle « alliance progressiste » est possible entre organisations syndicales et patronales ? Invitation de pistes à travailler et creuser.
Nécessité d’agir. En conclusion, le C21 ne manque pas de proposer quelques moyens d’agir. Il invite à « refaire association » à travers une série de pistes, à chacun de s’en saisir. Préalable à tout : « faire un pas de côté, sortir de la course… réfléchir à ce que nous faisons et ce qui nous arrive, à ce que nous voulons… » et se rattacher à « une culture associative … partagée entre associations qui les distingue aussi bien des services publics que de l’entreprise marchande… pour se préserver ou résister ». Ensuite, oser aller à contrecourant et bousculer les pratiques : « se déployer à travers des pratiques de désobéissance réfléchies, délibérées, concertées collectivement » et ne pas avoir peur de « revendiquer le conflit ». Aussi s’ouvrir davantage et « entendre et s’entendre avec les dynamiques émergentes » ainsi que « faire association entre associations » et « travailler les complémentarités ». In fine, il s’agit pour l’association de « déployer la force de proposition et de production » en réaffirmant leur légitimité, de se « refaire instituantes ».
Au moment où nous connaissons de nouvelles grandes transformations majeures (économique, climatique, sanitaire, énergétique, …), l’édition du livre n’est pas un hasard. Comme le défend le Collectif 21, les associations ont assurément leur rôle à jouer. Le vœu est que le livre – 100 ans d’associatif en Belgique… et demain ? Les réflexions du Collectif21 – puisse passer de main en main, essemer la réflexion et susciter… l’action. Assurément à mettre dans les mains des acteurs du secteur (professionnels, volontaires, militants, etc.), elle intéressera également les curieux sensibles aux questions de société et à l’action démocratique et collective.