Politique,Rencontre & Réflexion
2014-2019: Le Fédéral vire à droite, la région tire à gauche, avec l’austérité pour tous. La Coj a donc interrogé le politologue Jean-Benoit Pilet, directeur du Centre d’étude de la vie politique (Cevipol) et chargé decours en science politique à l’ULB.
Jeux de langage: c’est essentiellement une lutte de communication entre opposants et partisans. Une coalition dite «grecque» ou «éthiopienne» n’aurait pas eu le même effet. En revanche, si cette coalition se met en place, ce sera la coalition la plus à droite de l’histoire de la Belgique avec d’une part la NVA et l’Open VLD (qui sur les questions socio-économiques sont très à droite) et d’autre part, des partis du centre-droit comme le MR et CD &V. Par le passé, quand on a eu des partis de coalition sans les socialistes, c’était des coalitions avec les Libéraux et les démocrates chrétiens (PSC /CV P). Ces derniers avaient une forte présence au centre-gauche liée aux syndicats comme la CSC . Aujourd’hui, cette branche-là au sein du CD &V (ex-CV P) est plus faible. Il est tout seul face à trois partis qui sont clairement à droite. Il y a aura donc un vrai changement qui risque d’amener de vraies différences sur les politiques publiques qui vont être menées en matière de pension, de chômage, de fiscalité, de retour au nucléaire, etc.
C’est en partie vrai. La récente 6ème grosse Réforme de l’Etat donne plus de compétences aux régions notamment en matière d’emploi et de développement économique avec aussi un peu de compétence en matière de fiscalité. Il faut donc tenir compte de ce qui se passe dans les entités fédérées qui ont déjà de grosses compétences comme l’enseignement, la politique jeunesse, l’agriculture, la politique culturelle, le tourisme, l’environnement… Mais ce qui préoccupe le citoyen, c’est l’Etat providence, tout ce qui est lié aux recettes: qu’est-ce que je paie à l’état et qu’est-ce que je reçois en échange en matière de pension, de protection sociale, voire d’allocation de chômage. Cette politique-là reste gérée au niveau fédéral.
« Les Etats où l’austérité a été la plus forte ne sont pas les Etats qui ont retrouvé la croissance ».
Communauté française et régions ont des compétences étendues mais sans moyens associés. Dossier emblématique, les allocations familiales ont été transférées aux régions qui n’ont pas les moyens de maintenir un système fort. Au final, on peut se demander si on a véritablement renforcé les entités fédérées ou si ce n’est pas plutôt un cadeau empoisonné. De plus, on s’attend aussi au niveau des régions à devoir faire des économies qui seront difficiles à vivre pour ceux qui les subissent. D’autres partis sont ici responsables. Du côté francophone, le PS et CDH vont devoir mettre en œuvre ces mesures. Le plus flagrant: les mesures d’économies dans l’enseignement qu’on dit sans douleur, sans toucher à rien. Mais il faut qu’on m’explique comment on peut économiser 500.000 euros sans que cela ne pose de problèmes à personne.
Si l’entièreté du programme négocié par la coalition suédoise est mise en œuvre, on va vers des combats sociaux à répétition. D’ailleurs, on voit que les partis de la suédoise sont prudents sur certains points. On ne parle pas d’abandonner l’index, on ne parle pas de suppression dans le temps des allocations de chômage. On parle de remodeler tout ça, avec des formules prudentes.
Avec une crise économique et une absence de croissance économique qui dure depuis longtemps, il n’y a pas de miracle. Il faut repenser les choses. Le système a été établi sur l’idée d’une croissance constante, éternelle. Ce qui est une erreur. Aujourd’hui, les bases du modèle sont ébranlées. Il faut trouver une solution. Il y a celle de la rigueur et celle de penser un autre modèle radicalement différent. En Belgique, on penche plutôt pour la solution de la rigueur.
En gros, actuellement, on remarque les partisans de la décroissance et les keynésiens qui disent qu’il faut dépenser en période de crise et économiser en période de croissance. On le voit en France, au sein du parti socialiste, avec Hollande, partisan des économies et d’autres disant qu’il faut plutôt dépenser. Ce sont des débats qui animent aussi la Commission européenne dont certains états trouvent que l’austérité ne semble pas ramener la croissance. De fait, les Etats où l’austérité a été la plus forte ne sont pas les Etats qui ont retrouvé la croissance.
Aucun des partis au gouvernement ne conteste l’effort budgétaire imposé par l’UE (sauf dans certains partis comme au PTB ou au sein d’Ecolo). Cela ne devrait donc pas poser de problème majeur. Ils vont se mettre d’accord sur le partage de l’effort.
C’est sans doute exagéré. Le fait que les régions et communautés vivent leurs destins propres et que la couleur du gouvernement fédéral ne soit pas liée à la couleur du gouvernement régional, c’est le fédéralisme pas le confédéralisme. Le confédéralisme serait de dire: on forme un gouvernement régional d’abord et puis on les met ensemble pour former un gouvernement fédéral ensuite. Ce qui n’est pas le cas. On s’en fiche de ce qui se fait en Wallonie. On va d’ailleurs former une coalition qui n’a rien à voir avec. En revanche, on sait qu’on a un parti qui négocie au fédéral, la NVA qui n’a pas intérêt à ce que ce gouvernement fédéral fonctionne bien puisque son objectif est de montrer que la Belgique ne marche pas.
On n’a jamais vu une des deux communautés linguistiques tellement minoritaire au sein du gouvernement. Le MR représente aux alentours de 1/3 de sièges francophones. C’est-à-dire les 2/3 d’élus francophones ne sont pas inclus. C’est une rupture par rapport au modèle fédéral belge qui supposait que le gouvernement fédéral était composé de partis qui représentaient plus ou moins la moitié des sièges dans leur groupe linguistique. Ce n’est plus du tout le cas. Ce n’est pas non plus illogique dans un système fédéral où, a priori, il n’est pas important que le gouvernement fédéral dans on ensemble ait la majorité des sièges. Mais, par rapport à l’équilibre belge, c’est inédit.
Il y a plein de gauche: Ecolo, PS, PTB et une fange (qui rétrécit) de centre gauche au CDH . A l’intérieur de ces partis il y a aussi différentes conceptions du combat de gauche. On peut dir e que plus il y a de la gauche radicale, plus il y a de la gauche sociale. Ici, vu la situation d’austérité et le fait qu’on aura une coalition fédérale très à droite, je pense que la gauche va mieux réussir à se fédérer. Par rapport au fédéral, toute la gauche est dans l’opposition. Tant les syndicats que les différents partis de gauche vont pouvoir se fédérer de façon plus unie mais ce sera lié au combat et non une gauche qui serait intrinsèquement unie et unanime
Les partis se répartissent le nombre de ministres et les compétences. Ensuite, à l’intérieur des partis, le président décide en veillant à divers équilibres internes au parti. La question de la compétence sur le dossier lui-même n’est pas la priorité, sauf à de rares exceptions comme les compétences budgétaires parce qu’il y a des technicités et des arbitrages entre collègues à faire. Toutefois, un ministre n’est pas quelqu’un qui décide tout seul. Il a une grosse équipe autour de lui. Dans la mobilité des ministres, on constate que les experts des Cabinets ministériels ont tendance à rester dans la matière qu’ils connaissent. Ce sont eux qui font ce gage d’expertise.
Propos recueillis par Nurten Aka