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Politique,Rencontre & Réflexion

Ré-enchanter le politique

  8 Mai , 2014   ,    coj

Election et représentation, partis et citoyens : quelles relations? Eléments de réponses avec le politologue Jean-Benoit Pilet, directeur du Centre d’étude de la vie politique (Cevipol, chargé de cours en science politique à l'ULB.

Comment le politologue aborde les élections ? Avec quelle place aux jeunes ?

Jean Benoit Pilet

Jean Benoit Pilet – Directeur du centre étude de la vie politique (CEVIPOL)

Nous travaillons sur des enquêtes électorales. Ici, on interroge un panel de 2000 citoyens avant et après les élections. On analyse l’influence de la campagne sur leur comportement de vote et leurs opinions politiques sur une série d’enjeux (fiscalité, environnement, intégration européenne, etc.). Par ailleurs, on compare les programmes des partis en Belgique et en Europe.

Le panel est une représentation de la population et comporte évidement des jeunes. Toutefois, on a déjà étudié les opinions politiques des ados de 14-18 ans. Ce qu’ils pensent des partis, des enjeux comme l’homosexualité, l’immigration ou le droit de vote à 16 ans.

Que constatent vos enquêtes ?

Loin des idées reçues. Que les -18 ans ne sont pas plus ouverts et tolérants que le reste de la population, notamment en matière d’immigration et d’homosexualité ; que la mixité ne fait pas partie du quotidien des jeunes, même ceux des villes. En termes de préférences politiques, si jusque dans les années 2000 les jeunes étaient proches des partis écologistes et de gauche, on constate (dans beaucoup de pays) des préférences électorales pour des partis aux discours plus tranchés. En Belgique, la NVA est le 1er parti qui ressort des préférences chez les – 18 ans et les – 25 ans.

Comment expliquez-vous cela ?

L’image du jeune hyper ouvert, international, multiculturel n’est pas aussi vraie qu’on le pense. De plus, avant, on déclarait soutenir Ecolo, Groen, Les Verts en France, ou des partis de gauche radicale dans une volonté de rupture aux partis établis. A partir du moment où ces partis ont participé aux gouvernements, on est moins dans la « rupture ». Là où les nouveaux partis populistes mobilisent leurs discours. On n’est pas forcément d’accord sur le programme mais on est au moins d’accord sur l’idée qu’il faut rompre par un « changement radical ». Aux prochaines élections, il sera intéressant de voir si le PTB (qui mobilise ce discours-là) réussit à capter un électorat jeune alors que pour l’instant ce n’était pas le cas. La croissance du PTB aux élections communales ne s’expliquait pas par l’adhésion des jeunes mais par l’adhésion de déçus du PS et d’Ecolo dans la catégorie des + 40 ans. Il y a un fort désenchantement politique.

Compréhensible dans une époque fermée, rigide et conservatrice.

C’est le modèle méritocratique. L’idée que tout se mérite. Il faut mériter son chômage, l’accès au territoire, aux études, etc., alors qu’auparavant nous étions dans des politiques universalistes : tout citoyen a droit d’accéder à la sécurité sociale, aux études… Cette idée de la sélectivité (est-ce que vous méritez vraiment le fait qu’on soit solidaire envers vous ?) est une tendance qu’on observe depuis une quinzaine d’années, qui touche de plus en plus de sphères politiques pas simplement l’immigration mais aussi le chômage, les soins de santé, les pensions,…

Pourtant certains partis parlent de solidarité et d’émancipation.

Oui, on va vous aider à vous émanciper mais vous devrez fournir l’essentiel de l’effort. L’idée du droit et de la responsabilité universels – que chacun est responsable de tous les autres – a disparu. C’est lié au changement idéologique depuis les années 80 (avec Thatcher et Reagan) mais surtout, ce sont des discours en période de crise économique qui accrochent les gens qui disent « moi j’ai du mal à payer mes factures. J’ai un peu moins envie d’aider les autres».

Le vote est devenu une corvée ?

Depuis les années 70, il y a une montée de l’abstentionnisme. Rien n’arrive à enrayer cette mécanique malgré les épiphénomènes qui ré-enchantent le politique comme la 1er élection d’Obama. Mais, cela ne suit pas. C’est lié au sentiment qu’on ne sait plus qui est responsable de quoi dans la complexité du monde actuel, avec la dispersion des compétences à des niveaux multiples (européens, internationaux, régionaux..). Une dispersion où il est difficile pour un seul acteur de changer véritablement les choses. Donc, lorsqu’ on promet beaucoup à son électeur et qu’on ne peut pas le réaliser, forcément ça désenchante. On le voit en France avec Hollande mais c’est le cas partout. Les partis au pouvoir sont plus sanctionnés qu’avant.

Avec le retour de la démocratie participative, délibérative, certains partis proposent la consultation populaire…

En effet, mais les recherches montrent une dualisation. Ceux qui veulent plus de participation, éventuellement des référendums, et ceux qui en demandent moins, souhaitant confier la gestion à des experts. Ceux-ci demandent que le citoyen fasse les grands choix de société puis qu’on arrête de demander leurs avis. Ainsi cette idée du « choix de société » est parfois remise en question en disant que la politique est une question d’efficacité. Un discours qui contredit la démocratie participative. C’est un peu ce que font tous les partis en vous parlant de mesures efficaces, chiffres à l’appui, genre « l’isolation des maisons va créer 100.000 emplois ». A partir du moment où on tombe dans ce discours d’efficacité, on n’est plus dans l’idéologie mais dans une question de conception politique. Le désenchantement vient aussi de là. Toutefois, quand il y a une crise de confiance dans la politique, on a recours à la pratique participative.

Scrutins cruciaux ?

Oui. Il y n’en aura plus avant 5 ans. Cruciaux aussi parce qu’on pourrait encore être paralysé. Les programmes sont tellement différents. En gros, si la NVA ne fait pas de gros score, on aura le même gouvernement Di Rupo II, avec les mêmes. Si avec la NVA, aucune majorité n’est possible, on risque de bloquer.

Peut-on bloquer fédéral et avancer aux régions et communautés ?

Oui mais c’est à double tranchant. Côté positif : cela permet de débloquer une bonne partie des politiques. Côté négatif : cela rendra encore moins indispensable le fait d’avoir un gouvernement fédéral, avec le risque aussi de laisser traîner les choses.

L’Europe dans tout ça ? On nous annonce des élections anti-européennes.

Dans certains pays européens (France, RU, Pays-Bas, Rép tchèque), ce sera sans doute le cas. Mais pas partout ; et en Belgique l’euroscepticisme demeure marginal. Toutefois, l’opposition a son importance. Par exemple, si on a une grande opposition eurosceptique au Parlement européen, les partis dominants (PSE, PPE) ne vont pas gouverner l’Europe avec elle. Mais ils seront moins actifs dans la promotion de plus d’intégration européenne.

A choisir: « Elections, piège à cons ? »  ou « Abstentions, piège à cons ? ».

Je ne peux pas trancher. On peut juste constater que l’abstention n’a jamais conduit les responsables politiques à changer leurs orientations avec des réformes démocratiques profondes pour répondre à ce malaise.