Voilà comment je commençais la rentrée « dans le temps », il y a plus de 30 ans.
Ceux, confus et gênés, qui osaient poser la question « Madame, je ne suis pas parti(e). Qu’est-ce que j’écris ? », je répondais : « raconte ta meilleure journée.» Pas top pour assurer l’accrochage quand certains enfants racontent leurs « merveilleuses vacances à l’étranger » …
Quand j’ai démarré mon métier d’institutrice de village, l’école « d’autrefois » était pour beaucoup un symbole d’instruction dans lequel Discipline et Exigence régnaient en maitre de l’Éducation, assurant le calme dans des classes surpeuplées. On ne se posait pas la question des méthodes pédagogiques, de la disponibilité des enseignants, de la différenciation, des ateliers, des classes adaptées… Encore un coup de pied au derrière de l’accrochage. Les enfants « devaient suivre » le troupeau. Au diable les difficultés d’apprentissage !
Actuellement, dans grand nombre de familles que je côtoie, les deux parents travaillent alors le choix de l’école relève d’une vision pratico-pratique. Mais aussi : les petites écoles de village se sont parfois dépeuplées au profit de celles des grandes villes ou des grands villages. Par ailleurs, les classes « populeuses » dans les gros villages ou en ville, ont dû gérer un problème majeur dans la réussite scolaire : entretenir l’accrochage dans des groupes de 28 à 30 enfants, voire plus. L’accrochage scolaire étant devenu, aujourd’hui, un outil, une politique face au décrochage scolaire d’où il émerge.
On a longtemps pensé que plus les classes étaient bondées plus les écoliers et les élèves étaient susceptibles de décrocher. Toutefois, ces dernières années, il est apparu qu’aucune école n’était épargnée par le décrochage scolaire et la question de l’accrochage occupe la place centrale dans la remise en question du système. Petite parenthèse : aucun milieu n’est épargné ni les plus « aisés » avec des parents qui nourrissent inconsciemment une concurrence des écoles/enseignements, avec, pour conséquence désastreuse, des profs qui tirent à fond sur la matière faisant fi de l’élève acculé à décrocher au grand dam des parents qui avaient mis le prix de l’excellence scolaire qu’ils fantasmaient. Un cercle vicieux.
Depuis des années, j’observe que certaines familles sont dépassées par les exigences scolaires. Elles n’ont plus le temps « comme dans le temps » où l’on comptait sur les parents pour « taper sur le clou » en faisant revoir régulièrement leurs enfants à la maison. Non pas parce que nos exigences sont irréalistes mais, parce qu’en comparaison avec les soucis quotidiens (alternance de garde en cas de séparation, retour très tard le soir du boulot, nombreuses activités extra scolaires…), le suivi scolaire passe en dernier lieu ou « à la trappe ». Des parents surbookés oublient de vérifier le journal de classe, et du coup : leçons ou devoirs oubliés, sac de gym non préparé, collation qui reste à la maison, etc.
Il arrive que des familles demandent l’aide de l’enseignant, souvent dans le cas d’une séparation, mais aussi si l’un des parents abandonne l’éducation (« Je ne m’en sors plus à la maison, pourriez-vous lui parler ? »). On attend alors que l’école fasse tout : instruire mais surtout éduquer (« Je n’ai pas d’autorité sur ma fille/mon fils… Je l’ai prévenu que j’allais vous raconter ce qu’il me fait pour que vous le punissiez… »). La tâche de l’enseignant est d’autant plus difficile qu’il ne peut pas compter sur le suivi à la maison. Même des élèves ayant des aptitudes de base se retrouvent en échec, faute au manque de soutien, d’appui, d’encouragement à la maison ou parfois à l’école.
Qu’est-ce qui peut être amélioré pour favoriser l’accrochage ? Personnellement, cette année, j’ai changé l’organisation de la classe en passant totalement à la classe flexible. J’ai remplacé une partie des bancs par des coussins, des petites tables, des fauteuils, des ballons… et, surtout, on sort du cadre de la classe : activités extérieures, visites pédagogiques, musées… Après plus d’une année chamboulée, il est temps de rendre confiance aux enfants, de leur prouver qu’à l’école mais aussi en dehors, on peut apprendre de manière ludique…
Une institutrice