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Rencontre & Réflexion

Comment réenchanter des jeunes qui décrochent de l’école ?

  18 Oct , 2021   , , ,    Virginie Pierre

Pour soutenir un jeune en décrochage, il est indispensable de prendre le temps de considérer le jeune dans sa globalité et pas seulement dans son métier d’élève ou d'apprenant.  C’est ici que se fait la connexion entre le monde scolaire et le tissu associatif au sens large. Des protocoles d’intervention d'accrochage scolaire existent, des services, des acteurs sont mobilisés.  Comment tout cela s’articule-t-il ? Tour de piste…  

Marius a 17 ans. Il est inscrit en secondaire mais s’absente souvent des cours car il est atteint de phobie scolaire. Hafida a 16 ans. Elle est inscrite en secondaire en qualification. Elle va régulièrement à l’école mais manque systématiquement le cours de comptabilité.

Louis a 21 ans. Il n’est plus inscrit à l’école et il ne travaille pas. Il n’a aucun diplôme. Il est perdu et ne sait pas quoi faire de sa vie. Toutes ces situations (ici, fictives) sont des formes de décrochage.

Le décrochage scolaire est donc complexe à définir car il est multiple. Dans son sillon, on retrouve aussi bien le jeune en âge d’obligation scolaire inscrit dans aucun établissement (ou cours par correspondance) que le jeune qui, lui, est inscrit dans une école mais accumule trop de demi-jours d’absences injustifiées ou encore le jeune qui est présent à l’école mais qui accumule les lacunes et semble se désintéresser de sa scolarité. Il y a aussi le jeune sans diplôme, sans formation/apprentissage en cours et sans travail. On parlera d’absentéisme, d’abandon ou de décrochage actif ou passif selon les situations.

S’il y a plusieurs types de décrochage, il y a aussi plusieurs facteurs en cause. Un processus qui est parfois long et dont les signaux (démotivation, déconcentration, échecs, retards, lacunes, difficultés, isolement…) sont souvent difficiles à cerner faute de temps, de moyens ou de connaissance de la problématique par les enseignants, les éducateurs ou les parents.
Aujourd’hui, des décrets régissent l’organisation de politiques conjointes (1) et divers dispositifs (2) pour venir en aide aux jeunes en situation de décrochage mais aussi aux enseignants, aux éducateurs ou aux parents.

D’ailleurs, dans le Pacte pour un Enseignement d’Excellence, l’objectif du plan de lutte contre le décrochage scolaire est de réduire le taux de jeunes en décrochage de 50 % d’ici 2030 en insistant sur l’axe préventif entre autres par un repérage et une prise en charge rapide des élèves et en s’appuyant sur les services existants (SAS, DASC, …) et en améliorant l’offre et la qualité de ces services. Il y a également, dans ce plan de lutte, une volonté affirmée d’uniformiser le protocole d’intervention et de rassembler autour de celui-ci les différents acteurs.

SAS et DASC, deux programmes d’accrochage

Les SAS, Services d’Accrochage Scolaire, sont des services externes à l’école composés généralement d’une équipe pluridisciplinaire (éducateurs, psychologues, médiateur, juriste, …). Ils ont pour mission d’apporter une aide sociale, éducative et pédagogique aux mineurs en âge d’obligation scolaire et de (re)créer du lien entre le jeune et sa structure d’apprentissage. Leur intervention est limitée à une période de 6 mois par année scolaire pour un jeune. Le public visé par le SAS reprend les élèves de primaire, de secondaire de l’enseignement ordinaire ou spécialisé. Leur objectif est la prise en charge du mineur pour l’accompagner dans son retour vers une structure scolaire ou de formation dans les meilleures conditions possibles.
Le SAS travaille sur base volontaire du jeune et de ses parents et en collaboration avec les centres psycho-médico sociaux (CPMS).

Chaque jeune est pris en charge dans le cadre d’un projet personnel qui tient compte de son vécu. Mais ce projet peut bien entendu se faire dans le cadre d’activités collectives (découvertes professionnelles, ateliers d’expression, services et bénévolat, …). Ce qui compte, c’est la mise en projet du jeune, lui redonner confiance en lui et en ses compétences. On veillera à y inclure une facette pédagogique en lien avec les socles de compétences (3). Des discussions régulières ont lieu entre le jeune et l’équipe du SAS. Les parents sont tenus informés.

Le DASC – le Dispositif de Soutien aux Activités d’Accompagnement à la Scolarité et à la Citoyenneté des enfants et des jeunes – est un programme bruxellois de subventions qui répond à un double objectif : « augmenter l’offre de soutien collectif à la scolarité et offrir un soutien scolaire adapté et ciblé aux jeunes en situation précaire, plus exposés au risque de décrochage scolaire ». Leurs projets sont menés par des ASBL offrant un soutien à la scolarité en dehors du temps scolaire aux enfants et aux jeunes sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale. Ils impliquent leurs écoles, les parents et les partenaires locaux culturels, sociaux, éducatifs, et l’Aide à la Jeunesse. L’appel à projets est lancé tous les trois ans.

Régulièrement, les SAS sont amenés à faire appel à des partenaires externes pour accompagner les jeunes dans leurs projets. Les DASC sont, quant à eux, menés par des ASBL. Certaines Organisations de Jeunesse, d’AMO ou l’Aide à la Jeunesse sont des partenaires pertinents et réguliers de ces dispositifs.

L’importance de l’éducation non formelle

Ainsi, pour reprendre nos témoignages fictifs. Louis a 21 ans. Il avait commencé un cursus scolaire et s’est rendu compte que les études n’étaient pas faites pour lui. Peu à peu, il a décroché, ne s’est plus rendu en cours. L’année suivante, il ne s’est pas réinscrit. Il ne travaille pas et se décourage car il perd son temps. Le SAS pourrait lui proposer de faire une année citoyenne via une Organisation de Jeunesse (OJ), dans le cadre de son projet personnel. Cela pourrait l’aider à remettre du sens à ce qu’il veut faire, rencontrer d’autres jeunes au parcours similaire, échanger, se raccrocher à un projet/apprentissage personnel. Quant aux enseignants de Marius, ils pourraient faire appel, via le DIAS (4) de leur établissement scolaire à la cellule « accrochage scolaire » d’une OJ spécifique comme une AMO, une structure de l’Aide à la Jeunesse, etc. Ensemble, ils pourraient construire un projet qui retisserait du lien entre Marius et son environnement scolaire.

Ce ne sont ici que deux exemples mais la place qui est confiée au jeune dans les projets d’éducation non formelle est certainement l’un des meilleurs moyens pour le jeune de reprendre confiance en lui, en ses pairs, de le raccrocher à des projets de vie.

Avant la pandémie COVID-19, un des objectifs UE2020 consistait à réduire le taux de décrochage scolaire à moins de 9,5% (le pourcentage était de 17,6% en 2000). Il s’agit du pourcentage de personnes âgées de 18 à 24 ans n’ayant pas obtenu de diplôme de l’enseignement secondaire et ne suivant plus, sous quelque forme que ce soit, d’enseignement ou de formation. Ce pourcentage suit une tendance en baisse depuis des années. Selon le site Statbel, en Belgique, en 2020, le pourcentage de 18-24 ans qui ont quitté prématurément les bancs de l’école s’élevait à 8,1 % « le plus bas de ces 20 dernières années ». Le pourcentage de décrochage scolaire est de 9,7 % chez les 18-24 ans résidant à Bruxelles, 9,8 % en Wallonie et 6,7 % en Flandre (extrait du site Statbel).

Il reste du pain sur la planche. Pour les jeunes qui avaient déjà tendance à s’éloigner de l’école, les confinements n’ont sans doute pas eu que des effets positifs. Certains jeunes ont vécu des situations bien difficiles pendant ces temps de crise. Familles, isolement, perte de motivation, angoisse, syndrome de la cabane… quelles seront les conséquences en termes de décrochage scolaire ? Aujourd’hui, les services en place sont-ils assez solides pour répondre à toutes les demandes qui émaneront ? Sont-ils assez nombreux ? Ont-ils assez de moyens, de partenaires ?

Espérons que le Pacte pour un Enseignement d’Excellence tiendra ses promesses dans le domaine de la lutte contre le décrochage scolaire : améliorer l’offre et la qualité de l’accueil et de l’éducation de la petite enfance, travail en réseau avec les parents et les intervenants extérieurs et les activités périscolaires, améliorer la communication intersectorielle. L’enjeu est crucial pour le jeune… et la société.

Virginie Pierre

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1. Décret du 21-11-2013 organisant des politiques conjointes de l’enseignement obligatoire et de l’Aide à la jeunesse en faveur du bien-être des jeunes à l’école, de l’accrochage scolaire, de la prévention de la violence et de l’accompagnement des démarches d’orientation
2. Décret du 21-11-2013 organisant divers dispositifs scolaires favorisant le bien-être des jeunes à l’école, l’accrochage scolaire, la prévention de la violence à l’école et l’accompagnement des démarches d’orientation scolaire
3. Référent commun à tous les réseaux qui définit les compétences (maths, français, sciences, etc.) à atteindre en fin de chaque cycle à l’école.
4. DIAS : Dispositif Interne d’Accrochage Scolaire : Cellule d’enseignants, d’éducateurs, CPMS … au sein de l’école qui a en charge la gestion du décrochage.