Qui n'a pas l'image d'un professeur remuant ciel et terre pour mener à bien un projet, trouver des budgets, organiser des sorties, inviter en classe un artiste, une association militante,…? Ouvrir les portes parfois hermétiques de l'école, amener de l'air frais, aérer les esprits. En termes pompeux : créer des ponts entre l'école et le monde associatif/artistique.
Cet enthousiaste ne vient pas de Mars: l’Unesco elle-même préconise dans ses recommandations « des relations plus dynamiques et fructueuses entre l’éducation, la culture et les arts » (Feuille de route de Lisbonne, 2006). « Dynamiques et fructueuses » : du mouvement et un résultat.
En Belgique francophone, ces relations sont généralement favorisées par des pouvoirs publics, comme la Cocof dont on a en tête la longue tradition du projet Babel, ou des associations comme « Promotion Théâtre » et ses « Scènes à deux » qui convoquent l’énergie d’auteurs, d’hommes de théâtre et de jeunes passionnés. Voire par la peu connue « Cellule Culture-Enseignement » de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Et évidemment par des enseignants eux-mêmes, réinventant les savoir-faire à l’aune de leur propre enthousiasme, souvent sans soutien, évidemment sans pérennité. Mais non sans un mérite évident.
La rencontre entre le monde extérieur et l’école est à mon sens un carrefour à quatre bras: la classe et l’enseignant qui ne devront faire qu’un, l’association ou le groupe artistique, le médiateur et le projet, un acteur à part entière du processus.
Avec sa classe, l’enseignant cherchera à appréhender les enjeux de la société, favoriser la dimension participative du monde de l’école, développer de nouvelles grilles de lecture chez le jeune. Mais il devra s’assurer que le projet est bien celui de ses élèves. Car, au fil de la démarche, le jeune devient spect-acteur et son regard s’aiguise. Il passe à l’action pour se mesurer à l’ampleur de la tâche. Dans une asso, chacun a pour objectif d’apporter quelque chose, qu’il soit bénévole ou bénéficiaire. C’est une forme de micro-société dont le quotidien est fait d’enthousiasme et de petites contrariétés. Quand il s’agit de création artistique s’ajoute la dimension de doute, de trac. La personne-relais, le médiateur, accompagnera les jeunes et les professeurs. Sans lui, pas de projet : il cherchera à faire partager les questionnements, les clés d’analyse de l’association dont il sera souvent un des membres. Mais il restera aussi à l’écoute des préoccupations des enseignants et de la sensibilité des jeunes. Le talent de se placer à équidistance. Car on ne crée pas ici de nouveaux militants: c’est la rencontre et le transfert d’expérience qui doivent rester au cœur de la démarche.
Tout au bout de la démarche: la finalisation. Le projet en école répond à une alchimie bien difficile à atteindre. Harassant, il découragera tout le monde. Déconnecté, il perdra l’adhésion des élèves. Pourtant, aboutir à un résultat tangible est le moteur du travail : monter sur scène, sortir un texte, prendre la parole, peindre un mur. Un « quelque chose » modeste certes, mais terreau de souvenirs inoubliables.
On le comprend bien, ce scénario idéal, presque utopique, se heurtera à mille difficultés: l’asso aura l’impression de caricaturer son propos, l’artiste de perdre le temps précieux de la création pure, le prof se sentira dépassé alors qu’il aurait pu s’en tenir au chemin confortable de la matière, le jeune aura abandonné 1000 fois…
Mais n’est-ce pas ainsi qu’on aura pleinement servi le projet d' »infusion artistique » tel que le définit J.G. Carasso dans son livre cocasse et très sérieux, « Quand je serai ministre de la Culture » (L’Attribut, 2012) : « inscrire fortement les œuvres et le travail des artistes dans les territoires, multiplier les occasions de rencontre et de croisement avec les populations… ». Et pour le monde de l’enseignement, risquer de faire tomber l’école de son socle de compétence par le courant d’air de la vie qui la traverse.
Paul Ernst, professeur de français, ancien coordinateur d’une Organisation de jeunesse