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Dans la mouise des jeunes agriculteurs

  28 Juil , 2017   , , , ,    COJ

Peu de jeunes embrassent la carrière d'agriculteurs/agricultrices tant les obstacles sont costauds: de l'accès à la terre aux horaires de travail en passant par la mondialisation. Le tout sans certitude de gagner décemment sa vie… Eclairage avec Guillaume Van Binst, Secrétaire général de la Fédération des jeunes Agriculteurs (FJA), membre de la COJ.  

Guillaume venderbist FJA« 2017 est une année charnière pour les jeunes agriculteurs » dites-vous. C’est à dire ?

Depuis des années, le renouvèlement des générations ne se fait pas car de moins en moins de jeunes s’installent en agriculture. Deux principaux freins à cela seront en chantier en 2017 : 1. La réforme du bail à la ferme, 2. les débats sur le PAC 2020. Le bail à la ferme, c’est la location des terres agricoles ou d’accès au foncier. Dans une ferme moyenne, il y a 75 % des terrains qui n’appartiennent pas aux agriculteurs et sont loués en « bail à ferme ». Généralement, ils sont propriétaires de 25%. Un agriculteur a besoin de la terre pour travailler, produire et vendre. Or, le prix de la terre en Belgique et particulièrement en région wallonne est tellement élevé(1) qu’on privilégie la location. La réforme de 2017 devra permettre de faciliter l’accès pour les agriculteurs en général et le jeune en particulier.

Cela a toujours été. Pourquoi est-ce un problème aujourd’hui ?

Les propriétaires de terrain n’ont plus tendance à les louer à des agriculteurs. Ils estiment que ce n’est pas assez rémunéré. De plus, dans le bail à la ferme (2), le propriétaire a l’impression que son bien lui échappe. Aujourd’hui, ces propriétaires, pour contourner le bail à ferme, ont tendance à conclure des contrats avec d’importantes sociétés de gestion (comme Agriland, Sogesa – NDLR) qui leur proposent une plus grande souplesse via des contrats hors bail à ferme qui bien souvent sont plus rémunérateurs et surtout qui permettent aux propriétaires de reprendre leurs terrains quand bon leur semble. Ces entreprises ont un statut d’agriculteur sauf qu’elles ne répondent pas du tout à l’idée que l’on a de l’agriculture familiale et durable. En outre, ces sociétés accaparent des milliers d’hectares au détriment des agriculteurs et des jeunes en particulier.

Que font ces entreprises de gestion ?

Ce sont bien souvent des gestionnaires de biens plutôt que des agriculteurs. Ils sous-traitent les travaux agricoles à des prestataires de services (qui ont du matériel assez couteux comme des tracteurs, etc.). Ces entreprises ne louent donc pas ces terres à des agriculteurs mais les exploitent elles-mêmes par l’intermédiaire d’entreprises agricoles. Depuis une dizaine d’années, le phénomène s’est accentué.

La PAC, la Politique Agricole Commune de l’UE est le 2ème frein ?

La PAC accentue le phénomène d’accaparement des terres. Les agriculteurs installés depuis longtemps n’ont pas toujours tendance à remettre les terrains qu’ils exploitaient sur le marché. Ils se maintiennent en place au-delà de leur pension car, entre autres, ils perçoivent des aides de la PAC, des compléments aux revenus liés à l’hectare. Ils ont tendance à se maintenir en place.  Il y a 3 % des agriculteurs en région wallonne qui ont moins de 35 ans et près de 50% des agriculteurs qui ont plus de 55 ans. Dans 15 ans, ils auront 70 ans et risquent de mobiliser un budget qui n’ira pas aux jeunes agriculteurs et donc au problème renouvèlement des générations. C’est un défi à relever.

Et donc de moins en moins de jeunes agriculteurs…

Le nombre de formations et d’étudiants en agriculture ne désemplit pas. Ce n’est donc pas un problème de vocation. Le problème des capitaux empruntés pour s’installer rebute les jeunes agriculteurs car les risques à prendre sont considérables. Il faut savoir que de nos jours, l’agriculture est caractérisée par une extrême volatilité des prix. Le tournant ultra libéral pris par la PAC dans les années 1990 a placé l’agriculture européenne sur un marché mondialisé. Et donc, un phénomène climatique ou autre à l’autre bout de la planète peut avoir une influence sur les prix en Wallonie. Des effets yoyos extraordinaires. Le jeune agriculteur doit investir d’énormes sommes sans certitude de revenus alors que l’emprunt qu’il a contracté auprès des banques, lui, n’est pas volatile ! Les capitaux à investir ont augmentés de 80 % en 25 ans.

La faute à la PAC et l’OMC ?

La PAC est une des seules politiques européennes réellement intégrée et commune et tous les états de l’UE. Il est normal donc que son budget représente une grande partie du budget total. De 80 % dans les années 60, on se trouve maintenant à environ 35 % du budget européen. à la base, cela consistait à soutenir les agriculteurs en leur garantissant un prix de vente. Dans les années 90, l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) a poussé l’Europe à alors abandonner ces mécanismes de protection. La PAC a instauré un mécanisme d’aides compensatoires attribuées à l’hectare et dans la grande majorité des cas déconnectées de la production réelle, que les bénéficiaires conservent au fur et à mesure des années.  Le marché désormais mondialisé se caractérise par une dérégulation. Le secteur laitier est exemplatif. En Wallonie, on est sur un marché mondialisé en concurrence avec des bassins de production comme la Nouvelle-Zélande où l’herbe pousse toute l’année. En Belgique, d’avril à septembre, les bêtes peuvent pâturer. En hiver, les agriculteurs doivent produire ou acheter la nourriture des bêtes, ce qui a un cout. Comment peut-on donc concurrencer avec le lait néozélandais ? Sur un marché mondialisé, les prix sont tirés vers le bas. Même chose au Brésil ou en Argentine où il y a moins de normes concernant le bien-être animal, moins de normes environnementales qui leur fait proposer des prix de vente inférieurs à l’Europe. Dès que l’offre, au niveau mondial, est supérieure à la demande (exemple avec le lait), le prix s’écroule et en Europe, avec les couts de production qu’on a, on ne sait pas s’aligner. On est les premières victimes. Tout se passe en « coulisse du consommateur ». Le paquet de frites est aussi illustratif. Le prix de la pomme de terre est très volatile sauf qu’à la friterie le prix du paquet de frites reste le même.

Pourtant des jeunes se lancent.

Généralement, ce sont les enfants d’agriculteurs qui reprennent l’exploitation familiale. Ils ont moins de difficultés. Les autres partent de zéro. Ils doivent chercher des terrains, investir, etc. C’est quasi impossible. Le défi au renouvèlement des générations, c’est aussi, au fur et à mesure, de permettre à ce qu’on appelle des « hors-cadre familiaux » (des gens qui ne sont pas issus des familles d’agriculteurs) de pouvoir s’installer.

La PAC 2020 se discute en 2017.  Que négociez-vous ?

On discute de l’avenir de l’agriculture. Notre objectif global est qu’il y ait un maximum de jeunes agriculteurs qui s’installent sur des fermes dites familiales et durables, c’est-à-dire des exploitations qui soient économiquement viables, respectueuses de l’environnement et surtout transmissibles aux générations futures. Aujourd’hui, les fermes ont tendance à s’agrandir, les agriculteurs ont de plus en plus de travail et de moins en moins de temps libre. Une ferme qui demande des prestations de 16 à 20h par jour –  jours fériés, week-end compris –  n’attirera pas les jeunes. On les comprend ! Il faut aussi respecter l’environnement et protéger la terre qui est le premier outil de travail des agriculteurs. Enfin, que ces exploitations soient transmissibles aux générations à venir. Sinon, on rate la chose.

D’autres freins ?

Le temps de travail et la réputation du métier peuvent rebuter les jeunes. Investir sans certitude, mettre en péril une vie sociale, une vie familiale parce que l’agriculture demande une force de travail énorme, cela peut amener à un choix de non-installation. Il y a aussi la perception du métier. L’agriculture est la cible de campagnes médiatiques souvent stigmatisantes (« 40 jours sans viande », « zéro phyto », « le lait, c’est mauvais pour la santé », etc.). Ce n’est pas facile de braver toutes ces critiques.  Un agriculteur, lorsqu’il va à un souper avec des personnes « lambda », la conversation va se concentrer sur l’agriculture avec des « Vous, de toute façon, vous polluez ! ». Faut avoir une sacrée carapace.  L’agriculteur n’utilise pas les pesticides de gaieté de cœur !  Expliquer cela à des gens inondés de campagnes médiatiques à charge est très compliqué.

Les jeunes agriculteurs sont à bout ?

Il y a de quoi. Les obstacles sont nombreux, les perspectives sont faibles. C’est épuisant et désespérant. Exemple avec les aides à l’installation de la PAC (un coup de pouce jusqu’à 70.000 euros prévu pour les jeunes), c’est le parcours du combattant. Il faut toute une série de critères : formation, plan d’entreprise, etc. Actuellement, il y a des jeunes agriculteurs, installés en 2015, qui en 2017 n’ont toujours rien reçu.  La passion de leur métier les encourage mais cela ne suffit pas. Nourrir la population, façonner les paysages, méritent toute notre attention.           

Propos recueillis par Nurten Aka

          

[1] Dans une région fertile, des terrains peuvent se vendent à 50.000 euros/ha, la location de 200 à 400 euros par an et par hectare – NDLR.

[2] Le bail à ferme garantit une durée d’exploitation (de 18 années et plus) à l’agriculteur –NDLR

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