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Rencontre & Réflexion

Des médias et des humains

  1 Juil , 2021       COJ

EN AVRIL DERNIER, NOTRE CHRONIQUEUR MEDIAS, JULIEN LECOMTE (1) DONNAIT UNE CONFERENCE TEDX INTITULEE LES MEDIAS NOUS MANIPULENT-ILS ? DES MEDIAS ET DES HUMAINS. POUR LE COJ, IL REVIENT SUR LE SUJET.

Les médias nous manipulent-ils ? La question touche à la notion de confiance. à la base, une évidence : nous sommes obligé.e.s de faire confiance à d’autres personnes lorsque nous nous informons, parce que nous ne pouvons pas tout vérifier par nous-mêmes. Même nos connaissances scientifiques scolaires, nous les avons pour la plupart apprises sans pour autant avoir pu les confronter empiriquement à la réalité.

Les médias nous manipulent-il ? La chose qui frappe dans la question telle qu’elle est formulée ici est qu’elle distingue un « eux » (« les médias ») et un « nous ». Comme si nous avions affaire à deux entités distinctes : d’une part des machines et d’autre part des humains. Ces derniers mois, il il semble que le fossé s’est davantage creusé entre « les médias » et « nous ». La presse d’information est régulièrement accusée de tromper les citoyen.ne.s. Ces accusations généralisantes méritent d’être
nuancées.

De qui parlons-nous exactement ?

En effet, de qui parlons-nous lorsque nous nous demandons si « les médias » nous manipulent ? Parlons-nous de la presse d’information dite « traditionnelle », du journalisme dit « mainstream » ? Si oui, cela reste assez large et flou. De plus, de nombreux médias non-journalistiques comme des blogs d’opinion et autres sites dits de « réinformation » (souvent d’extrême droite, complotistes…) sont parfois bien plus trompeurs que cette presse généraliste. Nous devrions dès lors spécifier davantage en identifiant « la presse », en précisant des chaines de télévision, de radio, des titres de presse écrite, etc. Faisant cela, on progresse, même si le propos demeure encore vague. Comment s’y retrouver dans la galaxie des diffuseurs d’informations ? De qui parlons-nous exactement ?

Il existe des critères pour différencier des médias entre eux. Quels sont leurs supports et leurs formats (écrit, vidéo, audio, en ligne ou pas, etc.) ? Quelles sont leurs étiquettes politiques, s’ils en ont une ? Quels sont leurs modèles économiques (public, avec publicité, avec abonnements…) ? Comment y exerce-t-on (ou non) le métier de journaliste ? Un média n’est pas l’autre. Il y a peut-être autant de différences entre la RTBF et Le Soir qu’entre un.e vidéaste de vulgarisation ou d’opinion sur Youtube et La Libre. De plus, au sein de ces médias, une émission n’est pas l’autre, un contenu n’est pas l’autre, une personne qui prend la parole n’est pas l’autre.

Remettre l’humain, sortir de la mystique des médias

Par conséquent, j’irais encore plus loin dans la réflexion, en remettant l’humain au centre de l’analyse des médias. Il s’agit de démystifier le fonctionnement de ce que nous appelons les médias. Les rédactrices et rédacteurs en chef et les journalistes sont des citoyen.ne.s. Les publicitaires, les actionnaires, elles et eux aussi. Comment fonctionne une réunion de rédaction dans tel titre de presse ? Comment les sujets sont-ils investigués par les journalistes de cette rédaction ? Comment sont choisis les thèmes mis en avant, et l’angle pour les aborder ? Quelle place est accordée à l’éthique et aux opinions personnelles ? Quels moyens sont alloués aux personnes pour exercer leur métier ? Il n’est pas question de ramener l’explication du fonctionnement des médias à une dimension individuelle, mais de montrer que ces mécanismes n’ont rien de mystique.

Les médias ne sont pas des machines magiques qui nous transforment en marionnettes. Derrière les informations que nous consommons, il y a avant tout des humains, avec leurs qualités et leurs failles, avec leurs opinions sur la société, avec leurs intérêts plus ou moins égoïstes, cupides ou altruistes, avec leur plus ou moins grand professionnalisme, avec leurs ressources, etc.
à l’heure où « tout le monde est un média » (lire COJ#27), il est temps de laisser tomber la science-fiction. Posons ces questions : « Quels rôles occupons-nous dans ce système d’info et de désinfo ? Comment interagissons-nous en son sein ? Qui est responsable de quoi, à quels niveaux ? ». Nous pouvons tou.te.s nous poser ces questions. Que nous soyons émettrices/émetteurs ou réceptrices/récepteurs. Que nous soyons journalistes ou citoyen.ne.s.

Julien Lecomte, chronique des médias (sociaux)

1. Julien Lecomte a étudié la sociologie des médias. Actuellement, chargé de communication à l’Université de Paix Asbl (UP, membre de la COJ), il est avant tout un témoin attentif de son époque et un ardent défenseur de l’éducation aux médias. Il partage ses analyses et réflexions dans les pages du COJ mais aussi sur son blog Philosophie, médias et société (www.philomedia.be).