Jusqu’à mes 14 ans j’ai été en surpoids, j’ai eu droit aux regards déplaisants de beaucoup d’adultes quand, devant eux, je mangeais un biscuit ou une chips. Parfois, on ne m’en proposait même pas, estimant, j’imagine, que je devais faire attention à ce que je mangeais.
à mon entrée dans le secondaire, j’ai commencé à détester mon corps. Je ne comprenais pas pourquoi mes copines pouvaient manger tout ce qu’elles voulaient sans grossir et pourquoi les garçons étaient plus gentils avec elles. Moi, j’avais droit au regard rempli de pitié de la part de la prof de gym et m’entendais dire par une partie de mon entourage que j’allais devenir diabétique…
Ce qui m’a fait le plus souffrir c’est le sous-entendu permanent que si l’on est en surpoids c’est… qu’on le veut bien ! Qu’il suffit de manger moins, de « faire plus attention », juste un petit effort, m’enfin ! Etc.
L’année du post-confinement, j’avais perdu beaucoup de poids. à mon grand étonnement, tout était devenu plus simple. J’avais gagné deux points de moyenne en gym (en fournissant moins d’efforts), les garçons étaient devenus plus gentils avec moi et toutes les personnes – qui me faisaient des remarques auparavant – me félicitaient. La baraka ! J’étais heureuse de ce changement, pendant un temps…
J’ai réalisé que je ne trouvais pas ça normal. Je ne trouvais pas ce changement d’attitude « juste ». Pourquoi s’intéressaient-ils à moi maintenant ? J’avais toujours été la même, la seule chose qui avait changé, c’était mon corps. Était-ce donc tout ce qui comptait ? L’apparence physique ?
à quatorze ans, je n’avais pas le recul pour comprendre, j’avais seulement la sensation que quelque chose ne tournait pas rond. Aujourd’hui, j’ai 16 ans et demi et j’ai pu observer/comprendre que les jugements et les préjugés que j’ai pu subir, étaient en fait sociétaux. On appelle cela la grossophobie. Je pense que celle-ci existe uniquement parce que notre société est viscéralement inscrite dans le culte de la minceur. Voyez les réseaux sociaux avec l’image de corps « parfaits » qui y est véhiculée. C’est ce qui me choque le plus ! Des femmes minces, voir maigres, avec une taille fine, une poitrine imposante mais pas trop, des hanches marquées et des fesses parfaitement proportionnées. Il faut être musclée mais pas trop, avoir une peau sans vergeture, sans bouton, sans cellulite. Un corps parfait mais photoshoppé, un corps parfait mais qui n’existe pas. Un corps qui rend des filles malades, un corps qui m’a moi-même fait détester le mien !
C’est ce que j’ai réalisé, cet été, en trainant sur les réseaux et en voyant tous ces programmes de sport pour préparer son « summer body », ces articles intitulés « Top 10 pour un ventre plat, parfait pour mettre votre bikini !! », et ce phénomène était parfaitement cautionné par la majorité des gens. Une femme ronde qui postait une photo d’elle en maillot de bain, pouvait recevoir des centaines de commentaires haineux de la part d’inconnu.e.s la traitant de « grosse vache », « baleine échouée » ou lui demandant si elle n’avait pas honte de s’afficher comme ça. Des remarques qu’elle pouvait se prendre de plein fouet. Pourquoi ? Parce qu’elle affiche un corps réel. Parce qu’elle ne rentre pas dans les tailles standards des magasins de vêtements.
Finalement, ne serait-ce pas ceux qui jugent et qui approuvent ces normes irréelles qui devraient avoir honte ? Evidemment, l’obésité peut entrainer des problèmes de santé sérieux, mais la culpabilisation ne fonctionne pas ! Alors, je pense que proposer aux gens de se sentir mieux ou carrément bien tel qu’ils sont, est peut-être la seule piste sérieuse pouvant les mener à ce déclic intérieur qui ne se commande pas avec la tête (malgré ce qu’on nous fait croire) et qui est le début de l’allègement physique. J’ai compris que la valeur personnelle ne réside pas dans l’apparence physique, que je suis bien plus que cela. C’est aux instigateurs de cette propagande du culte de la minceur d’avoir honte (milieu de la mode, la publicité, les utilisateurs de filtres, les « photoshoppeurs », chacun de nos préjugés…) et non à moi, ni à aucune femme ou aucun homme peu importe son poids, sa taille, son âge. J’ai l’impression que nous avons le devoir de créer un monde où l’on peut être fière de nous et nous sentir bien peu importe notre apparence. Parce que personne ne fait « exprès » d’être gros, c’est tellement plus profond.
J’ai seize ans et demi. Aujourd’hui je suis grande, mince et ce sujet est celui qui reste le plus compliqué à aborder pour moi, parce que c’est difficile de se regarder dans le miroir… et encore plus difficile de se dire que le problème n’est pas le corps que je vois, mais bien ce qui m’a poussé à croire qu’il ne méritait d’être aimé… moi me laissant influencer par un idéal illusoire.