Personne ne vous reprochera de débattre De la météo ou de la dernière saison de « house of cards ». Le débat sur « la liberté d’expression » devient intéressant lorsque nos propos s’approchent d’une polémique, d’une opinion dérangeante, de l’humour noir, glauque ou déplacé…
Une évidence qu’on oublie souvent : la liberté d’expression n’est pas un droit absolu ! A part, peut-être, la liberté de penser, aucun de nos droits n’est illimité. Tant notre Constitution1 que la Convention européenne des droits de l’homme2 portent la liberté d’expression comme principe fondamental d’une démocratie tout en y délimitant les contours.
En droit belge, les limites proportionnées à la liberté d’expression visent à protéger les personnes individuellement (droit à la vie privée, à sa réputation …) ou l’Etat collectivement (ordre, sécurité publique…). Les restrictions principales sont de deux ordres : la diffamation et l’injure, d’une part ; les propos racistes, xénophobes, homophobes, qui incitent au terrorisme, à la haine ou à une discrimination fondée sur la conviction religieuse ou philosophique, l’âge, un handicap ou le sexe, d’autre part.
A titre d’exemple, une photographie, apposée sur une fenêtre, représentant les Twin Towers en flammes, avec les termes « L’Islam, hors de Grande-Bretagne ! Protégeons le peuple britannique » a été jugée comme une attaque violente qui établit un lien entre l’entièreté d’un groupe religieux et un acte terroriste incompatible avec les valeurs démocratiques. Il n’est donc pas interdit de se moquer ou de critiquer une croyance, il est par contre proscrit d’inciter à la haine contre les croyants d’une religion.
Pour vérifier la compatibilité des idées exprimées avec la loi, l’intention de l’auteur, la visibilité des propos ainsi que le genre littéraire utilisé seront généralement pris en considération. L’exigence pourrait ne pas être la même pour une affiche disposée partout sur la voie publique que pour un dessin repris dans un journal papier humoristique. Ainsi, lorsque Nicolas Bedos appelle Marine Le Pen la « Salope Fascisante » dans une chronique, le mot « salope » n’est point une insulte condamnable juridiquement. Le cadre dans lequel s’intègre ce descriptif est parfaitement clair pour le lecteur. Cette chronique se situe dans un registre aux accents volontairement provocateurs, revendiqué comme tel de sorte que le tribunal correctionnel de Paris déboutera la femme politique en appel. Un présentateur d’un journal télévisé grand public n’aurait peut-être pas été relaxé en tenant, pendant son 20h, les mêmes propos.
Par contre, dans le respect du cadre légal, l’exercice de ce droit est (et doit être) entier. Il n’y a pas d’autres limites que les limites légales. Dans le débat public, à propos de Charlie Hebdo, il n’était pas rare d’entendre « oui je suis pour la liberté d’expression, mais… ». C’est d’ailleurs lorsqu’elle explique que « Le tournant c’est ce “mais”. Pourquoi toujours ajouter ce “mais”... » qu’Inna des Femen est interrompue par des tirs de kalachnikov à Copenhague.
L’humour, les chroniques épicées ou les caricatures bénéficient d’une tolérance plus importante. Elles ne peuvent cependant servir de paravent pour masquer des opinions incitant à la haine. La limite est tenue et chaque juge (et uniquement le juge), en fonction du cas d’espèce, appréciera si les éléments qui lui sont soumis constituent, ou ne constituent pas, une infraction.
Elodie Hemberg, juriste à la COJ