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La Loi en mouvement

  20 Sep , 2021    coj

Stabilité et flexibilité sont les deux faces d'une même règle de droit. La stabilité permet de connaitre les normes et assure une sécurité juridique. La flexibilité permet, en revanche, au droit de s'adapter ou de participer lui-même à des changements de sociétés déjà initiés. Comment la balance entre ces deux impératifs opposés s'opère-t-elle? Focus sur trois exemples récents.

Le bon vieux père de famille

S’il y a bien une expression en droit qui ne colle plus à la réalité, c’est celle du « bon père de famille ». Dans le projet de réforme du Code civil, cette locution a été remplacée par celle de « personne prudente et raisonnable ». À juste titre, les rédacteurs du projet de loi ont estimé que cette formule était « incompatible avec le principe du respect de l’égalité des genres »1 . Les deux expressions étant synonyme en droit, le changement de vocable ne modifie pas le contenu de la règle. La stabilité juridique est maintenue. Cet ajustement du langage permet, par contre, de rendre le droit plus inclusif. Il n’était en effet pas nécessairement agréable, pour une femme, de signer un contrat de location par lequel elle s’engageait à gérer le bien en « bon père de famille ». Le langage véhicule des clichés dont il est souvent bon de se défaire. Sauf pour quelques irréductibles amoureux des locutions latines (l’expression bon père de famille venant du latin bonus pater familias) et quelques inévitables qui y voient des « considérations politiques éphémères », la modification législative est largement soutenue.

La reconnaissance du lien entre frères et sœurs

C’est toujours dans le Code civil qu’est intervenue cette récente reconnaissance de la fratrie. La définition du lien entre frère et sœur inscrite est importante puisque sont également considérés comme des frères et sœurs les enfants éduqués ensemble dans la même famille et qui ont développé un lien affectif particulier. Il ne s’agit dès lors pas uniquement de frères et sœurs au sens biologiques ou juridiques du terme. Cette définition moderne et respectueuse des droits humains permet de prendre en considération les changements sociétaux (familles recomposées…). Les frères et sœurs pourront, à tout âge entretenir des liens entre eux. Pour peu que l’intérêt de chaque enfant soit préservé, les frères et sœurs auront le droit de ne pas être séparés. Les tribunaux veilleront à ce qu’un hébergement unique ait lieu pour l’ensemble d’une même fratrie.

Nouvelles protections contre les discriminations

C’est enfin la loi tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes qui a été modifiée en 2020. La loi interdit à présent les discriminations liées à l’allaitement. Le législateur constatait que dans l’espace public les femmes
« sont parfois victimes de discriminations et de comportements indésirables. Cela découragerait de nombreuses femmes à poursuivre l’allaitement, ce qui participe au taux d’allaitement relativement bas en Belgique »2. Le législateur a également voulu expressément protéger les personnes intersexes dont les caractéristiques sexuelles « ne correspondent pas aux normes sociétales, essentiellement binaires, qui régissent l’assignation d’une identité masculine ou féminine »3. Il souligne la pression normalisatrice subie par ces personnes tout en précisant qu’il ne s’agit là que d’une première étape vers un débat plus large. C’est d’ailleurs dans la poursuite de ce travail qu’a été adoptée, en février dernier, la proposition de résolution à la Chambre visant à reconnaitre le droit à l’intégrité physique des mineurs intersexes.

Si ces changements légaux modifient avec une intensité différente le contenu du droit, ils participent cependant tous à la création d’une société plus inclusive, plus égalitaire et plus respectueuse des corps. Il ne faut pas négliger la force symbolique d’un mot. Une révolution commence moins par un grand bouleversement que par « un hiatus, une pause, un déplacement minuscule, une déviation dans le jeu des improvisations et des apparences »4.

Elodie Hemberg, juriste à la COJ

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1. Exposé des motifs de l’avant-projet de loi portant insertion des dispositions relatives à la responsabilité extracontractuelle dans le Code civil, 2019, p.64.
2. Amendement n° 2, Doc. parl., Ch. repr., 2019-2020, n° 55-165/003, p. 2.
3. Amendement n° 13, Doc. parl., Ch. repr., 2019-2020, n° 55-165/009, p. 2.
4. Paul B. Preciado, Un appartement sur Uranus, Gracet, 2019.