La loi sur les ASBL est en passe d’être modifiée et intégrée au code du droit des sociétés. Objectifs du gouvernement : la modernité et l’attractivité. Enjeu pour le secteur : le glissement vers une logique «commerciale». De quoi provoquer le débat.
La modernité d’une loi s’en va-t-elle avec l’âge ? Le droit belge regorge de quelques vieilles lois aujourd’hui absurdes. Par exemple, l’article 1408 du Code judiciaire prévoit qu’en cas de dettes, personne ne pourra jamais vous prendre… votre dernière vache, vos douze dernières brebis ni vingt-quatre de vos poules. Pour autant, toutes les veilles lois ne sont pas nécessairement dépassées. Tel est le cas de la loi du 27 juin 1921 sur les ASBL. Même si, en 2002, elle subit des modifications importantes, la loi sur les ASBL de 1921 est assez stable. Courte et simple, elle participe à l’émergence d’un nombre important d’associations en Belgique.
La réforme de cette loi, annoncée par l’accord du Gouvernement Michel en 2014, est actuellement menée par le ministre de la Justice Koen Geens (CD&V) en collaboration avec le ministre de l’Economie Kris Peeters (CD&V). Les réformes prévues portent sur trois volets qui ne seront pas adoptés simultanément : 1. la réforme de la loi sur les faillites applicables aux ASBL, 2. la réforme du code du droit des sociétés englobant les ASBL et 3. l’élargissement de la notion d’entreprise dans le même code.
Parmi ces changements, l’ASBL voit sa définition changer1. Son adoption est prévue pour fin 2017. Cette définition permettra aux ASBL d’exercer une activité à caractère commercial à titre principal alors que seules les activités commerciales accessoires sont actuellement autorisées2.
Si la définition a déjà fait l’objet d’un ajustement en y insérant « la poursuite d’un but désintéressé », dans les travaux préparatoires, la distinction essentielle entre une société et une ASBL se situe dans la distribution des bénéfices qui ne peuvent, dans le cas des ASBL, revenir aux membres. Cette unique distinction pourrait créer une confusion dans le rôle social des ASBL et les attirer vers une logique marchande. Ce glissement vers l’économique, qui précède partiellement la réforme législative, pose question : l’élément central ne devrait-il pas rester l’objet social ? Le but poursuivi ? L’intérêt général ? Et pour cela, l’activité commerciale nécessairement accessoire au but poursuivi ? Sans prôner l’exclusion des ASBL de tout champ d’activités économiques, il s’agit de s’interroger sur la distinction qui doit exister entre une ASBL et une société.
Il est à craindre, sur le long terme, qu’il soit imposé aux ASBL une rentabilité (puisqu’elles pourront exercer une activité à caractère commercial principale). Et un motif supplémentaire pour diminuer certaines subventions publiques. Il faudra veiller au montant des salaires dans ces ASBL avec une activité commerciale plus importante pour qu’ils ne soient des redistributions déguisées de bénéfices. Ce contrôle, qui devrait être exercé dans un premier temps par les membres mêmes des ASBL, semble d’autant plus problématique que leur nombre minimum a été réduit à deux. Tel est également le cas du nombre des administrateurs ce qui risque d’opérer une confusion entre les deux instances et une absence de contre-pouvoir. En cas de distribution d’avantages irréguliers aux membres, le projet prévoit la nullité de l’ASBL. Cette conséquence semble excessive sauf si cette irrégularité émane du but même de l’ASBL. Une pratique irrégulière ne doit pas nécessairement entrainer la disparition d’une association.
Il est intéressant de se demander si cette modification législative n’a pas pour but ultérieur inavoué de chercher à assujettir, à l’avenir, un nombre plus important d’ASBL à la TVA ou à l’impôt sur les sociétés. Aides à l’emploi, volontariat, concurrence déloyale sont autant de domaines qui pourraient être impactés par la réforme législative.
Cette loi, si elle est adoptée sans modification, pourrait participer au changement du paysage associatif et son équilibre. Sous couvert de la modernité et de l’attractivité, elle soulève quelques débats. Finalement, ne vaut-il pas mieux quelques rides qu’un très laid lifting ?
Elodie Hemberg, juriste à la COJ
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