Que nous dit le droit sur les restrictions des libertés fondamentales en période Covid ? Réponse avec un Focus sur la santé, le culte, la culture et le rôle de l’exécutif.
Le droit à la protection de la santé est inscrit à l’article 23 de la Constitution. Tout comme le droit à l’épanouissement social et culturel. Cela implique deux choses. La première est que l’état doit agir lorsque la santé de chacun est menacée par une crise sanitaire importante. La seconde est que le droit à la protection de la santé n’est pas isolé mais qu’il entre en concurrence avec d’autres droits. Ces droits doivent être mis en balance.
Culte et culture. Souvenez-vous, en octobre 2020, le Gouvernement fédéral interdisait les rassemblements religieux en intérieur. Le Conseil d’État, saisi par une association religieuse, avait jugé cette interdiction excessive. Celui-ci avait alors adapté ses règles en autorisant l’exercice collectif du culte à 15 personnes en intérieur. Une nouvelle fois saisi par des associations religieuses (qui trouvaient ce nombre de 15 insuffisant), le Conseil d’État avait estimé que, cette fois-ci, l’équilibre entre la liberté de religion et la protection de la santé publique était préservé (). Précision importante : le Conseil d’État n’étant jamais saisi que pour un dossier précis, ici, il ne s’était prononcé que sur la liberté de culte sans se pencher sur les restrictions liées à d’autres secteurs, notamment culturel dont les lieux (théâtres, cinémas, salles de concerts… restaient fermés au public à l’exception des salles d’exposition).
En s’inspirant de cette jurisprudence, le guitariste Quentin Dujardin décide alors de se produire devant… « 15 personnes dans une église ». Il risquait 4000 euros d’amende pour cette messe musicale ou plutôt pour ce concert illégal. La Cour d’appel a cependant donné raison à l’artiste. La Cour a estimé qu’il y avait une discrimination dépourvue de toute justification et de toute raison scientifique. Si un prêtre peut officier devant 15 personnes dans une église pour quels motifs un artiste ne pourrait-il pas jouer devant les mêmes personnes dans le même lieu ?
Ces deux affaires concernant le culte et la culture donnent deux réponses différentes à la question : que faire quand une loi est illégale ? Trois options. La première est d’aller devant les cours et tribunaux pour la faire changer. C’est l’option choisie par les associations religieuses. La seconde est de l’ordre de la désobéissance civile. Quentin Dujardin, en ne respectant pas la loi, espérait que son irrégularité serait mise à jour. Enfin, il existe une troisième option, plus discrète, choisie par de nombreux secteurs : celle de faire du lobbying politique pour que les décideurs modifient les textes légaux.
Une autre question juridique qui s’est posée est celle du rôle du pouvoir exécutif. Durant la pandémie, les ministres ont pris de nombreux arrêtés tandis que le Parlement, lieu du débat démocratique, n’a eu qu’un rôle secondaire. Était-ce légal ? Les juridictions ont eu l’occasion de se prononcer sur les délégations de pouvoir en rendant des décisions parfois opposées1.
Actuellement, une loi « pandémie » est débattue au sein du Parlement. Un des enjeux est celui du « fondement légal » pour, en temps de pandémie actuel ou futur, donner des pouvoirs particuliers aux ministres. L’importante place du pouvoir exécutif n’est pas nouvelle, mais elle est, en temps de crise, fort renforcée. Or, les dérives anti-démocratiques viennent souvent de la concentration des pouvoirs dans une seule main. Il s’agira d’être attentif aux balises insérées dans la loi pour contrôler les décisions prises par le pouvoir exécutif.
En période de crise, surtout celles qui persistent dans le temps, veiller à l’équilibre entre les droits et au respect du principe d’égalité est essentiel. Certaines restrictions peuvent être excessives et opérer des préférences (le culte sur l’art) qui sont irrégulières. Mais si nul n’est censé ignorer la loi, il faut également garder à l’esprit qu’une loi n’est pas toujours … légale.
Elodie Hemberg, juriste à la COJ
1. Toutes les juridictions belges, du Conseil d’Etat à la Cour Constitutionnelle en passant par les juridictions judiciaires ont dû se prononcer sur ces mesures covid.