Pour chaque gouvernement, l'emploi est une question cruciale. La Vivaldi n'échappe pas à la règle. Elle paufine depuis février son « jobs deal ». Quelles sont les mesures phares de ce projet de loi ? Révolution de l'organisation du travail ou poudre aux yeux ?
Le projet de loi connu sous le nom « Deal pour l’emploi » a été déposé au parlement fédéral début juillet pour être débattu dans les semaines qui viennent. Même s’il ne s’agit pas d’un texte définitif, il est possible d’en dégager certains éléments significatifs. Ce projet comprend toute une série de mesures diverses allant de la formation à l’e-commerce, en passant par les prestations via des plateformes numériques. C’est ce qu’on appelle dans le jargon un projet « fourre-tout ». C’est un premier constat : il n’est pas question d’une réforme globale du droit du travail. Seul un objectif large a guidé le gouvernement dans l’élaboration de son projet : atteindre un taux d’emploi à 80% à l’horizon 2030. Pour atteindre cet objectif, le projet a voulu « offrir un nouveau souffle et de nouvelles opportunités aux travailleurs et aux entreprises ».
Trois mesures méritent que l’on s’y intéresse plus largement : la semaine de 4 jours, le travail hebdomadaire alterné et le droit à la déconnexion. Ces mesures post-covid s’inscrivent dans la continuité des aménagements que de nombreuses entreprises ont mis en place après ces années de travail confiné. Le mot d’ordre : la flexibilité.
Il est d’abord important de dire ce que n’est pas la semaine de 4 jours. Elle n’est pas une réduction collective du temps de travail. Les travailleurs qui le souhaitent effectueront une semaine de travail normale à temps plein sur une période plus courte de quatre jours. L’objectif du projet de loi est d’atteindre un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Cette nouveauté pose plusieurs questions. Travaille-t-on aussi bien quand on fait des journées de 9h30 ? Ces journées sont-elles soutenables pour le travailleur ? Les crèches et les garderies qui sont déjà surchargées pourront-elles augmenter leur temps d’accueil pour les parents qui travaillent plus tard ? Comment préserver son cinquième jour de tout travail ? Un directeur arrivera-t-il à ne pas décrocher son téléphone le vendredi ? Une première adaptation du projet de loi a été d’interdire les heures supplémentaires volontaires pour justement que ce cinquième jour d’inactivité soit réel.
Une autre nouveauté proposée est celle de l’alternance. Le travailleur peut faire une semaine plus light suivie d’une semaine plus chargée. Cette solution pourrait attirer les travailleurs coparents qui ont des gardes d’enfants alternées.
Dans notre secteur, certaines dérogations socio-culturelles permettaient déjà d’ajuster le temps de travail en fonction des événements (séjours avec des jeunes, accueil des volontaires, etc.). L’utilisation des horaires flottants avec des plages de présence facultative et d’autres obligatoires laissent également une marge de manœuvre pour les travailleurs. Le projet de loi n’opère pas une grande révolution mais il poursuit l’évolution d’une époque vers un désir d’aménagement du travail au cas par cas. Avec le risque pour les entreprises qu’on ne sache plus exactement qui travaille quand et sous quel horaire.
Ces aménagements rendent le droit à la déconnexion plus que nécessaire. Il est présenté dans le projet de loi comme utile dans la lutte contre le burn out et est obligatoire pour les entreprises qui emploient plus de 20 travailleurs. Les entreprises devront préciser les modalités pratiques qui garantissent le droit à la déconnexion. Comme le précise le projet de loi, les mesures peuvent être variées : « consignes pour ne pas répondre aux mails ou à des appels sur son téléphone portable ; dispositifs de mise en veille des serveurs informatiques en dehors des heures de travail ; activation des messageries d’absence et de réorientation… ». Elles seront inscrites dans le règlement de travail. De manière générale et dans le cadre global du bien-être au travail, ces discussions auront de toute façon lieu dans toutes les entreprises.
Comme l’augmentation d’une liberté va rarement sans l’augmentation du contrôle y attenante, ces mesures vont accélérer la mise en place de l’obligation pour les employeurs « de mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur »1. Pointeuse ou tableau Excell : difficile d’y échapper. C’est peut-être le paradoxe de cette réforme, une liberté qui n’en est pas tout à fait une. Parce que l’illusion est là : flexibilité n’est pas l’exact synonyme de liberté.
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1. C.J.U.E., Grande Chambre, 14 mai 2019, Aff. n° C-55/18, FEDERACIÓN DE SERVICIOS DE COMISIONES OBRERAS c/ DEUTSCHE BANK SAE. Voir aussi C. trav. Bruxelles, 22 mai 2020, R.G. 2018/AB/424.