Enseignement en Fédération Wallonie Bruxelles, Education nouvelle, pédagogie active, mixité, programmes scolaires, manuels pédagogiques... Témoignage d'une institutrice du Borinage, 23 ans de métier.
Je suis institutrice dans une école communale du Borinage, depuis 23 ans. J’ai 43 ans. J’ai actuellement une classe 5e et 6e primaires de 19 enfants. La mixité ? Elle est là mais parfois les enfants ne comprennent pas pourquoi, par exemple, d’autres s’absentent pour une fête religieuse comme c’est le cas avec la fête de l’Aïd. Au niveau du respect de la culture de l’autre, il y a encore du travail à faire. Mais quand je fais la comparaison avec Noël, là, ils comprennent. En fait, ils sont « façonnés » par la famille ou ce qu’ils ont entendu ailleurs. Mais à cet âge-là, le dialogue est ouvert. C’est l’âge idéal pour soulever des questions car ils commencent à réfléchir autrement que « comme à la maison ». L’éducation nouvelle ? Cela fait une dizaine d’années qu’on a changé notre façon d’enseigner. Faut dire que les manuels pédagogiques avaient aussi du retard en « pédagogie active » où l’on implique dès le départ l’enfant. La mise en place des savoirs était stéréotypée, identique pour tous. Aujourd’hui, on est dans une révolution. Depuis un an, j’ai refait toutes mes leçons (math, éveil, français…). L’école nous encourage. Une inspectrice nous avait aussi conseillé de mettre l’enfant plus dans une pédagogie participative. Mais cela reste une démarche personnelle que j’ai eue avec deux autres collègues bien avant la contrainte ministérielle. Ça m’a chamboulé. Je n’étais pas sûre de moi, en proie au doute sur mes propres capacités. Il m’a fallu un an pour mettre en pratique la théorie.
Pendant mon cursus d’institutrice (il y a 23 ans), on a étudié la pédagogie Decroly. C’est nous qui maintenant nous formons car on voit bien que des pédagogies Montessori en maternelle fonctionnent, qu’il faut poursuivre dans le primaire. Exemple : l’année dernière, on a suivi une petite formation pour intégrer l’émotionnel dans l’enseignement. L’école d’avant, comme je l’ai moi-même connue, puis comme je l’ai découverte en début de carrière, était frontale : le tableau était rempli, l’enfant comprenait ou pas, puis on passait à autre chose. J’ai cassé cette « routine », progressivement, voilà plus de 10 ans. Je fais de la pédagogie active parce que cela me permet d’aider les enfants qui en ont besoin.
Il nous manque un allègement de la matière. Avec les enquêtes PISA qui épinglent les mauvais résultats du secondaire, on accuse l’enseignement de base qu’on finit alors par surcharger. En sciences, la matière est énorme pour un année scolaire, avec des notions difficilement assimilables pour cet âge-là. On risque de passer moins de temps pour l’élémentaire (français, math, etc.). Sur 180 jours annuels d’école en moyenne, c’est un parcours du combattant pour arriver au bout du programme…
Les inégalités sociales ? Dans les écoles des villages, cela ne se ressent pas. C’est plus en ville, même si, au sein d’un même village, on peut pourtant noter des différences au niveau de la mixité sociale entre les écoles.
En Belgique, il manque un type d’enseignement. On a l’enseignement traditionnel et l’enseignement spécialisé. Entre les deux : rien. Alors qu’il en faudrait pour de très petites classes où le rythme est plus lent que dans une classe traditionnelle, non pas parce que des enfants manquent d’intelligence mais parce qu’ils ont besoin de plus de temps pour leurs apprentissages. Et cela, sans nécessairement qu’on les oriente vers l’enseignement spécialisé comme c’est souvent le cas ! Toutefois, je pense que dans les villages les enfants sont plus épargnés que dans les écoles des villes.
De plus, nos programmes sont édités par le CECP (Conseil de l’Enseignement des communes et des Provinces) alors qu’il existe 3 autres réseaux d’enseignement qui éditent leur programme (Wallonie-Bruxelles Enseignement, Enseignement libre confessionnel subventionné et Enseignement libre non-confessionnel subventionné). C’est à en perdre son latin ! Si le référentiel de travail n’est déjà pas commun, si le suivi n’est donc pas commun, comment prétendre à un projet unique de remaniement de l’enseignement ? On parle d’inégalités au sein des classes. Mais les inégalités sont à tous les niveaux.
Maria Spinelli, institutrice