Le Pacte pour un enseignement d’excellence est un colosse sur lequel réactions et pétitions fusent. aurait-il les pieds d’argile ? Tour de piste non exhaustif des points critiqués.
Avec l’instauration d’un tronc commun autour de la maitrise des langues, des sciences, de l’éveil, de la philo, de la citoyenneté, du bien-être et de la créativité et la fusion de certains cours ne risque-t-on pas de faire un peu de tout et finalement rien en profondeur ? Sur les ondes de la RTBF, Anne Morelli, professeur d’histoire à l’ULB, active dans l’association Histoire et Enseignement, abondait dans ce sens. « Pour qu’il y ait interdisciplinarité, il faut précédemment qu’il y ait eu disciplines maitrisées ». Selon elle, il est important de garder des cours distincts. à chaque enseignant sa spécificité. à ce sujet, une pétition Contre la création d’un cours de sciences humaines fourre-tout sur Avaaz a rassemblé plus de 2700 signatures à ce jour.
Bernard Delvaux, chercheur au Girsef1 – UCL et coordinateur du groupe Tout Autre école (au sein du mouvement Tout Autre Chose) estimait quant à lui que le Pacte n’allait pas assez loin. Pour lui, Il faut encourager la collaboration entre enseignants autour de projets qui font sens pour les étudiants. De plus, pour ce chercheur, la rupture est insuffisante avec la forme scolaire traditionnelle (horaires, regroupement de classes par tranches d’âge, place et posture de l’enseignant…) et le Pacte ne propose rien de fondamentalement différent de l’actuel état de société (utilitarisme, individualisme, compétition…). Ici aussi, une pétition rassemblant plus de 750 signataires intitulée Lettre pour un tout autre tronc commun présente leur interpellation.
Autres questions soulevées : avec l’autonomie renforcée, si chaque école organise Son tronc commun, quelle cohérence retrouvera-t-on d’une école à l’autre ? De plus, qui dit autonomie dit possible concurrence engendrée. Les écoles seraient comparées et le mécanisme de marché scolaire reprendrait toute sa place ?
Le Pacte suggère la promotion immédiate des élèves via un tronc commun qui ne proposerait plus d’évaluation certificative avant 15 ans. Annonçant une réduction de 50% pour 2030, le Pacte est en lutte contre le redoublement le considérant comme inefficace, traumatisant pour les élèves et coutant cher pour le service public. à supprimer donc. Le bon sens pédagogique devrait, à priori, être d’accord avec cela. Oui mais, un peu simpliste… En juin 2018, le sociologue et professeur (UCL), Hugues Draelants publie dans les cahiers du Girsef un article intitulé Le redoublement est-il vraiment moins efficace que la promotion automatique ? Une évidence à réinterroger où il met en avant le manque de congruence des résultats des études mettant en cause le redoublement et la promotion immédiate. Pour lui, la priorité est de réfléchir à la manière et aux moyens de gérer l’échec.
Autres questions soulevées : le dispositif pédagogique des évaluations formatives aura-t-il été ajusté et sera-t-il opérationnel sur le terrain ? Les infrastructures seront-elles à jour dans toutes les écoles ? Les enfants auront-ils accès à la nouvelle technologie pour travailler de manière individuelle et à leur rythme ? Les enseignants, seront-ils accompagnés d’une équipe pluridisciplinaire disponible afin de pallier les lacunes liées aux troubles d’apprentissages des enfants ?
D’après Philippe Soutmans, chef du département normal secondaire à la Haute école De Vinci, le Pacte est une opportunité à saisir et un challenge pour les écoles qui forment les futurs enseignants. Pour lui, plusieurs éléments vont dans le bon sens. Exemple avec la grille horaire revue et corrigée qui laissera plus de place à l’enseignement de la culture, des arts, des techniques… Avec un tronc commun allongé et élargi qui pourrait entre autres rendre la transition primaire-secondaire plus douce mais aussi permettre aux élèves de faire des choix conscients et réfléchis pour leurs études. Pour accompagner ces « innovations », la formation initiale devra armer les futurs enseignants. Concrètement liées au Pacte, les équipes des Hautes écoles pédagogiques n’ont pas attendu pour se concerter autour de la formation, entre autres, par la réflexion sur la réalisation des référentiels et d’outils et ce, en inter-réseaux. Le travail est énorme. Les effets dépendront d’éléments incertains, voire imprévisibles. Tel le degré de cohérence entre le projet du décret concernant la formation initiale des enseignants porté par le ministre de l’Enseignement supérieur, Jean-Claude Marcourt (PS) et le Pacte… porté par la ministre de l’Education, Marie-Martine Schyns (cdH). Autre question soulevée : Pour que ce Pacte vive, il faut des enseignants. Quid de la pénurie des enseignements en Communauté française ?
Dans un avis vidéo posté sur la toile, la Ligue des droits de l’enfant affirme que l’école de demain passe aussi par un réseau unique. En Belgique, l’enseignement est d’abord une histoire de communautés. Ensuite, de réseaux (Officiel et Libre). Cette particularité belge entretiendrait le marché scolaire et la concurrence. Les réseaux seraient en outre source de gaspillage financier. La complexité liée à ce fonctionnement pourrait mettre en péril le pilotage. Les réseaux n’auraient plus de sens dans notre société multiculturelle et pluraliste. Pour d’autres comme Jean-émile Charlier, sociologue à l’UCL-Mons, ces réseaux amènent une concurrence qui peut et qui doit être saine si elle est source de défis pour les équipes pédagogiques tout en leur offrant les moyens d’atteindre leurs objectifs. Le Pacte (initié et porté par des ministres cdH) n’aborde même pas cette problématique.
Last but not least : le Pacte sera-t-il à l’épreuve des changements de gouvernements ? Comme le disait Alain Eraly, responsable du groupe de travail Gouvernance et pilotage du Pacte, les politiques pourront-ils faire preuve de décence politique en évitant d’intervenir dans le processus lors des changements liés aux élections ? Cela semble déjà compromis quand on voit que tous les partis n’ont pas été pleinement associés au Pacte dès le départ. Sans compter les tensions au sein du parti cdH, porteur du Pacte, la députée Mathilde Vandorpe qui s’engage à venir voter mais ne veut pas défendre un texte qu’elle ne rejoint pas entièrement « en toute conscience ». Entre le PS et le cdH qui militent pour un tronc commun et le MR qui ne veut pas en entendre parler par exemple, le Pacte prendra-t-il la direction de celui qui parle le plus fort ? Quelles seront, une fois de plus, les conséquences pour la mise en œuvre du Pacte ? En Belgique francophone, la politique « Enseignement » n’est décidément pas un long fleuve tranquille…
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1. Groupe interdisciplinaire de Recherche sur la Socialisation, l’éducation et la Formation