10 thématiques-clés pour comprendre les enjeux de l'information avec l'exemple des Gilets jaunes en France.
Les journalistes sont entre autres suspectés de ne pas être indépendants des pressions politiques et financières. Néanmoins, cette méfiance ne se traduit pas toujours dans des pratiques informationnelles plus critiques : certains individus délaissent dès lors la presse traditionnelle au profit de sources peu scrupuleuses. Ils se sentent « trahis » mais manquent d’outils pour différencier les informations fiables des autres contenus. Aussi, la défiance envers la presse en tant qu’institution s’accompagne parfois d’animosité voire de violences envers des journalistes.
L’un des principaux reproches adressés aux médias traditionnels est que ceux-ci ne sont pas neutres, mais au contraire au service du pouvoir dominant. Les groupes de presse français sont, en effet, majoritairement détenus par de riches actionnaires (Dassault, Bolloré, Niel, Lagardère…) qui parfois ne cachent pas leur soutien au pouvoir en place. Ceci néglige l’autonomie plus ou moins grande des professionnels humains qui produisent l’information. En effet, derrière l’information, il y a des journalistes qui sont eux aussi des citoyens avec une diversité d’opinions et de valeurs morales. En même temps, les conditions de travail (dont les pressions directes, mais aussi indirectes, comme l’impératif de publier rapidement, par exemple) ne sont pas toujours optimales pour que cette liberté puisse s’exprimer.
En lien avec le manque d’indépendance reproché aux journalistes, il a été reproché à la presse de mal couvrir les violences policières en les occultant, en les traitant de manière superficielle ou encore en les mettant sur le même pied que des violences commises par des Gilets jaunes. Si les tirs de flashballs au visage et autres bavures font désormais aussi les gros titres des médias, certains journalistes admettent toutefois que la presse a peut-être tardé à mettre l’emphase sur ces débordements.
Dans l’Histoire, il y a bel et bien eu des complots, c’est-à-dire des moments où un petit groupe d’individus ont manipulé l’opinion publique pour des objectifs cachés. Il est possible qu’il y ait actuellement des complots, ou du moins des manipulations par le pouvoir en place comme certains l’affirment. Cette posture est fortement liée à la défiance envers le pouvoir en place. Néanmoins, il ne faut pas confondre les deux : en effet, l’accusation de « complotisme » est souvent utilisée pour discréditer les contestataires.
Une difficulté liée au mouvement des Gilets jaunes est que celui-ci est par essence pluriel, tout en affichant une homogénéité identitaire assez forte. Il n’est donc pas évident d’en présenter un message univoque. Ce message se construit au fur et à mesure, de manière participative, en fonction d’une diversité de revendications. Cependant, certaines figures influentes ou des groupes Facebook étiquetés « Gilets jaunes » affichent des messages populistes, complotistes, voire parfois teintés de racisme ou autre. Ces canaux de communication sont noyautés par des mouvements contestataires « classiques » comme le Rassemblement National (ex-FN), la Manif pour tous (conservateurs anti-IVG) et autres qui utilisent généralement très bien les réseaux sociaux pour donner une grande visibilité à leurs opinions, fussent-elles minoritaires. Cela biaise les consultations et sondages en ligne.
Au contraire des médias « traditionnels », certains médias ou journalistes recueillent plutôt les faveurs des Gilets jaunes. C’est le cas par exemple de Brut, un média exclusivement en ligne créé en 2016 par des anciens de Canal+, diffusant essentiellement des vidéos ou encore du journaliste indépendant, David Dufresne, qui répertorie sur Twitter les violences policières depuis le début de la contestation. Ces acteurs ont la particularité d’être proches du terrain. Ils relaient l’information en direct, côté population. Brut a notamment consacré des live Facebook lors des actions sociales où il a vraiment donné la parole à des manifestants.
Dans ce contexte de méfiance envers les institutions traditionnelles, pas mal de médias « alternatifs » sont utilisés pour s’informer. Russia Today, média russe francophone accusé d’ingérence politique et de propagande, est ainsi vu comme une alternative crédible à la presse traditionnelle. Cet exemple est loin d’être le plus inquiétant : des sites et pages dits de « réinformation » (souvent d’extrême droite, comme FdeSouche, Dreuz.info…) accueillent chaque jour une large audience. Or, pour ces sites, la fiabilité d’une info est clairement un critère secondaire pour la partager, tant qu’elle correspond à leurs idéologies et/ou « fait du clic ».
Si la méfiance envers la presse traditionnelle repose sur une critique parfois bien légitime, néanmoins, cette posture ne s’accompagne pas toujours d’attitudes raisonnées. Ainsi par exemple, plusieurs indicateurs attestent qu’une majorité de personnes partagent des articles sans même lire leurs contenus. La mécanique est connue : lorsqu’une information nous conforte dans nos opinions préalables, dans nos émotions, nous avons tendance à y être moins vigilants. Ceci est propice au simplisme, notamment au niveau identitaire.
Un algorithme est une formule mathématique (un programme) qui décide pour nous ce que nous allons voir comme informations. C’est un algorithme qui organise notre « fil d’actualités », en fonction de ce que nous avons déjà aimé, de ce que nos amis aiment, de notre localisation géographique, etc. La conséquence est que nous voyons la réalité à travers un certain filtre, comme si nous étions dans une bulle. Et là encore, cette « bulle de filtre » a tendance à nous confirmer dans nos opinions préalables, et non à nous faire réfléchir à des thèmes complexes.
Enfin, un dernier thème en lien avec la circulation de l’info en temps de contestations sociales est celui de la vérification des faits (fact checking) et de l’esprit critique des citoyens. Malheureusement, de nombreux contenus partagés sur les médias sociaux ne sont pas fiables. Ils comportent des erreurs. Ils sont imprécis, orientés, voire même parfois volontairement trompeurs, pour plein de raisons qui vont de la négligence de bonne foi à la propagande. Dans ce contexte, c’est certes aux professionnels de l’information de veiller encore davantage à la fiabilité de leurs propos, mais c’est aussi aux citoyens de prendre le temps de faire le tri dans cette masse d’infos et de s’interroger sur leur propre rapport à l’info. Sans parler des autres leviers (politiques, éducatifs, etc.) pour contrer la désinformation.
Julien Lecomte, chroniqueur médias