On l’appelle TTIP, PTCI, TAFTA, APT, GMT… cela fait des mois qu’on entend parler du fameux traité de libre-échange transatlantique, sans jamais oser s’y pencher. Et pourtant il est plus que temps.
Il est présenté comme le plus grand accord commercial bilatéral au monde! Nom de code: TTIP, pour Transatlantic Trade and Investment Partnership, un accord de libre-échange US/UE, négocié depuis juillet 2013, visant à éliminer barrières douanières et non tarifaires (harmonisation des lois et normes). Objectif: stimuler la croissance et créer des emplois (on parle dans l’UE d’un gain de 545€/an/ménage) et contrer les pays émergents, notamment la Chine.
Qui négocie? Face aux représentants du Ministère du commerce américain, des fonctionnaires européens, avec à la manœuvre la Direction Générale (DG) du Commerce (et son commissaire Karel De Gucht.Le manque de transparence dans ces négociations a été dénoncé très tôt par la société civile mais aussi par certains hommes politiques, dont des eurodéputés, estimant que la Commission (qui a reçu un mandat de négociation des états membres) ne transmettait pas assez d’informations au Parlement européen et au Conseil. Même la médiatrice européenne, Emily O’Reilly, a écrit au Conseil en juillet 2014 pour dénoncer un manque de transparence et demander de rendre publiques les directives de négociation; et à la Commission pour lui demander un accès public aux documents et un registre de tous les documents existants. La Commission se défend et parle des négociations les plus transparentes de tous les traités commerciaux…
Devant tant d’opacité, difficile se démêler le vrai du faux dans les infos qui circulent; dans l’UE la crainte principale est l’harmonisation des lois sur base de la législation américaine, jugée moins contraignante. L’UE sera-t-elle donc envahie de bœuf aux hormones et de poulets chlorés, autorisés aux US mais pas en Europe? Les grands domaines de négociation sont bien connus (commerce de marchandises, services, investissements…) mais pas les détails des échanges. De même, si certaines déclarations publiques nous rassurent sur les domaines écartés (sécurité alimentaire, services publics…), comment s’en assurer sans avoir accès à des documents plus précis ? Seule certitude: la France a réussi à faire sortir du traité la Culture et ce, avant même le début des négociations, provoquant à l’époque la colère de José Manuel Barroso, jugeant cette position… antimondialiste et réactionnaire.
Si le manque de transparence est sujet à polémique, le plus gros sujet de critique concerne un mécanisme introduit dans le traité: le RDIE (Règlement des Différends entre Investisseurs et états, en anglais ISDS). Ce mécanisme est simple: il permet à une entreprise d’attaquer un état (ou une collectivité) si ce dernier prend une mesure qui nuirait à ses investissements. Et pas devant un tribunal national: devant un tribunal arbitral international avec trois arbitres choisis parmi de grands cabinets d’avocats, à la fois juges et partis, dans un processus peu transparent. Certains détracteurs parlent même de privatisation du système judiciaire…
Les partisans du TTIP nous rassurent: le RDIE existe depuis 60 ans avec peu de précédents; mais on assiste à la multiplication des procès de ce genre depuis les années 2000 (cf encart). Si l’objectif premier de la protection des investisseurs n’est pas d’empêcher les Etats de légiférer, dans la pratique, un état préfèrera sans doute renoncer à une loi plutôt que de prendre le risque de devoir payer des frais exorbitants de procès et d’indemnisations.
Face à la machine TTIP lancée par la Commission et portée par les multinationales (on comprend leur intérêt quand on se penche sur le principe du RDIE), et suite aux nombreux textes fuités qui ont permis une prise de conscience de la situation, la mobilisation de la société civile et des citoyens n’a pas tardé : création de collectifs ou plateformes à tous les niveaux (européen, national, américain), pétitions, courriers à la Commission (par exemple courrier de mai 2014 cosigné par près de 250 organisations de la société civile – ATTAC Europe, Greenpeace, Transparency International EU, Oxfam International…), manifestations… Le tout, couvert de plus en plus par les médias. La Commission a dû réagir: communiqués de presse, mise de documents en ligne (plus de com’ que de réelles infos), dialogue avec les négociateurs sur Twitter (chat de 30 minutes où les négociateurs ont répondu à une centaine de questions: réponses des plus laconiques, renvois systématiques au site de la DG, internautes pris de haut…). L’avancée la plus remarquée a été la consultation lancée par la Commission sur la protection des investissements et le RDIE. Cette consultation longue et extrêmement technique n’a pas découragé de nombreux collectifs citoyens qui ont proposé aux internautes des réponses types à copier coller dans le formulaire afin de dénoncer le RDIE; d’où près de 150000 réponses, principalement de personnes physiques mais aussi d’entreprises et d’ONG. En attendant l’analyse des réponses et les conclusions de la Commission qui devraient arriver en novembre (soit un mois avant la fin des négociations…), les négociations en lien avec le RDIE sont suspendues. Cela veut-il dire que la Commission prendra en compte les résultats de la consultation pour réformer le mécanisme du RDIE ? Rien n’est moins sûr… Dernière déclaration de De Gucht sur le sujet : trop de copié-collé, ne comptabilisons les réponses identiques que pour une seule !
Si les négociations aboutissent bien d’ici fin 2014, d’autres étapes importantes permettront de se mobiliser ensuite : approbation par le Parlement européen, par le Conseil, et probablement par les Parlements nationaux. En attendant, une journée européenne d’action est prévue le 11 octobre 2014, à l’initiative d’associations, syndicats et organisations paysannes de toute l’Europe. Last but not least, une Initiative Citoyenne européenne (ICE) demandant l’arrêt des négociations a été déposée par un collectif de plus de 200 organisations de la société civile (stop-ttip.org). L’ICE vient d’être rejetée par la Commission, et les organisateurs comptent faire appel devant la Cour européenne de Justice. Ils ont décidé de lancer tout de même leur initiative et de tenter de recueillir plus d’un million de signatures. à vos marques…
à côté du TTIP, c’est chaque semaine un nouveau traité de ce type que l’on découvre: TISA (Trade in Services Agreement, dont l’objectif est d’ouvrir les services à la concurrence internationale), Accord de Partenariat Economique d’Afrique de l’Ouest, TPP (Trans-Pacific Partnership); ou encore CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement), l’accord UE-Canada récemment adopté, dont les textes fuités montrent… qu’il comporte la fameuse clause de RDIE!
En mai 2012, l’entreprise suédoise Vattenfall (production et distribution d’électricité) attaquait l’Allemagne pour sa sortie du nucléaire, qui forcerait le groupe à fermer deux de ses centrales nucléaires. Indemnisation réclamée: 3,7 milliards d’euros. L’affaire suit son cours. D’après un rapport de Public Citizen, en juin 2014 c’est plus de 430 millions de dollars de compensation qui avaient été payés à des entreprises dans le cadre de l’ALENA (Accord de Libre Echange Nord-Américain). Si l’UE était jusque à présent quelque peu épargnée, le dernier rapport publié par Transnational Institute et Corporate Europe Observatory montre qu’entreprises et avocats profitent de la crise en attaquant certains Etats pour des mesures prises pour protéger leur économie (Espagne, Grèce, Chypre). Dernière affaire en date ? Philip Morris, encore et toujours, vient d’annoncer son intention de contester la nouvelle directive européenne sur l’harmonisation de la vente de tabac dans l’UE.