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Alors que l’Union européenne n’a de cesse de vanter la mobilité internationale, et en particulier celledes jeunes grâce à son nouveau programme Erasmus+, c’est une autre réalité que vivent chaque année des centaines de jeunes qui se voient refuser leur entrée dans la «forteresse Europe» pour des projets éducatifs ou de volontariat.
Cela devait être un premier projet international pour la Confédération Parascolaire (CP ). Une rencontre entre des jeunes belges et des jeunes tunisiens autour de la démocratie, thème particulièrement pertinent pour les jeunes belges à la veille des élections en Belgique, et pour les jeunes tunisiens ayant vécu le printemps arabe chez eux. Un projet subsidié par le Bureau International Jeunesse (BIJ ) et la Fédération Wallonie-Bruxelles (FW B).
Seulement, en avril 2014, seuls les jeunes belges ont échangé entre eux sur la démocratie. Car les tunisiens, eux, sont restés dans leur pays, faute de visas. Raisons invoquées par les autorités compétentes pour ces refus? Le manque de ressources financières des jeunes et le peu de garanties de leur volonté de quitter le territoire après le projet. Des conditions d’entrée qui sont d’ailleurs exposées noir sur blanc sur le site de l’Office des Étrangers et dans les différents formulaires.
Cependant ce qui interpelle dans le cas de ce projet, c’est le paradoxe entre la volonté de l’UE de favoriser la mobilité et la rencontre entre les jeunes, surtout ceux qui en sont le plus éloignés (venant de pays tiers, sans emploi, ayant moins de moyens financiers…), et les refus de visas fréquents, même pour des jeunes venant dans le cadre de projets organisés par des organisations reconnues et subsidiés par l’UE . L’Office des Étrangers se justifie en évoquant les abus éventuels, les personnes disparaissant dans la nature, les circuits de traite des êtres humains… car comme le souligne Gloria Picqueur de la CP , «on part du principe que les gens sont malhonnêtes».
Solidarcité a connu le même cas de figure. Un échange de jeunes, subsidié par le BIJ et la FW B, avec des jeunes belges, québécois et tunisiens… donc ces derniers sont restés chez eux également. «Le projet s’est tout de même déroulé, mais seuls les responsables Tunisiens, qui avaient un contrat de travail, sont venus», souligne Jean-Baptiste Vallet. La situation n’est pas nouvelle et est bien connue de certaines organisations. Si beaucoup s’accordent pour parler d’un traitement des dossiers discriminatoire et n’essaient même plus de faire venir les ressortissants de certains pays (principalement du Maghreb), d’autres insistent sur les liens à tisser avec les organisations partenaires sur place et les services du consulat; quand on ne parle pas de réseaux «non officiels» et de contacts personnels permettant de faire avancer les choses en cas de problèmes…
Pour continuer dans le paradoxe entre la volonté de l’UE de promouvoir les échanges et les problèmes de visas, le volontariat long terme, et notamment le Service Volontaire européen (SVE) qui a longtemps fait exception à la règle, n’est plus épargné en Belgique. Rappelons que le SVE est un programme de volontariat européen (programme Erasmus+) permettant à tout jeune de moins de 30 ans, sans conditions de compétences ou de moyens financiers, de pouvoir aller effectuer un volontariat dans un autre pays de l’UE ou hors UE . Prenons l’exemple de Daria. Daria, 24 ans à l’époque des faits, devait effectuer un SVE chez les Compagnons Bâtisseurs (CB) à partir de février 2013. Son projet avait été approuvé par le BIJ et sa demande de visa faite dans les temps au Consulat belge de Moscou. Après avoir dépensé 735,03€ de démarches pour l’obtention de son visa, et après trois mois de procédure, Daria s’est vue refuser sa demande. Motif invoqué? «L’intéressée ne démontre pas valablement qu’elle bénéficie ou pourrait bénéficier d’une dérogation au permis de travail». Comme nous l’explique Grégory Van De Put des CB, «depuis le cas de Daria, ce motif est (presque) systématiquement invoqué par les ambassades traitant des demandes de visa pour des jeunes acceptés sur des projets SVE en Belgique». Le BIJ confirme d’ailleurs ce changement d’orientation de l’Office des étrangers depuis avril 2013. Et là encore, les organisations préfèrent ne plus faire venir de jeunes ayant besoin de visas pour éviter les procédures longues et coûteuses et les refus de visas prévisibles… même si ces jeunes des pays tiers font partie du public bénéficiaire du SVE et d’Erasmus+.
Du côté des ON G européennes, le problème n’est pas nouveau et la mobilisation pour faciliter l’accès aux visas pour tous est en cours depuis des années. Le Forum européen de la Jeunesse suit de près l’évolution des politiques européennes et vient d’appeler ses membres et toutes les organisations liées à la mobilité à se mobiliser, en particulier dans le cadre de la refonte de la directive visas, en cours depuis un an et demi. Le mouvement est suivi par d’autres organisations européennes liées au volontariat (CCIV S, Alliance), aux échanges d’élèves et d’étudiants (EFIL & EEE , ESN), à la formation des adultes (EUCI S-LLL )… Les revendications du Forum? Des délais de réponses réduits, des frais de visas réduits ou nuls, la possibilité de voyager dans toute l’UE avec le visa (et pas seulement dans le pays pour lequel il a été demandé), et la mise en place d’un système d’accréditation pour les organisations. Et surtout, que la directive soit effectivement appliquée par tous les Etats membres.
Côté belge, peu de remous. Le Conseil de la Jeunesse, pourtant membre du Forum, ne s’est pas emparé du sujet. Le BIJ ne va pas se mobiliser mais «soutient toute initiative venant des organisations» et encourage toute mobilisation de leur part, dixit Anne Demeuter. Il avait à l’époque remis une note à la Ministre Huytebroeck sur la problématique du volontariat long terme, en demandant que les Ministres compétents soient interpellés; un premier contact a désormais été pris avec la Ministre Simonis. La CP quant à elle, après avoir sollicité divers politiques belges, travaille avec d’autres organisations et souhaiterait la création d’un visa pour volontaires, qui soit accessible de manière réaliste aux jeunes à la COJ , on a décidé de suivre la mobilisation du Forum en contactant le Ministre de l’Intérieur M. Jan Jambon pour influer sur la prochaine décision du Conseil de l’UE . Car comme le souligne Semra Umay, Présidente de la COJ , «freiner l’accès aux visas des jeunes non européens et limiter la mobilité des jeunes de manière générale, c’est faire obstacle au dialogue interculturel, au rapprochement des cultures et à la compréhension des mécanismes économiques et politiques qui sont à l’œuvre dans notre société globale d’aujourd’hui». Affaire à suivre en 2015.
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Pour suivre l’avancée du travail de lobbying du Forum: www.youthforum.org/freedom-of-movement/. Cette plateforme permet aussi aux jeunes de témoigner sur leur refus de visas.
Hip-hop et démocratie, une histoire de visas, vidéo de la CP sur Youtube
Visa court terme, ou visa Schengen: séjour de moins de 3 mois dans un Etat membre de l’Espace Schengen.Peut concerner tout type de demande (volontariat, travail, etc.) et est valable dans l’ensemble des pays de l’espace Schengen (26 pays). Encadré par le Règlement européen «Code des visas» .
Visa long terme: séjour entre 3 et 12 mois. Concerne les étudiants, chercheurs, volontaires, travailleurs au pair. N’est valable que dans le pays pour lequel la demande a été faite. Encadré par deux directives européennes actuellement révisées pour aboutir à la «Directive Visas». Le traitement des dossiers est effectué par le Consulat belge du pays dans lequel la demande est déposée. Dans certains cas (dossiers problématiques) le dossier peut être envoyé à l’Office des étrangers en Belgique.
«Chaque année nous acceptons des demandes de participation de jeunes de nos partenaires marocains sur nos chantiers de l’été. Nous envoyons alors toujours une lettre d’invitation. Dans les faits, seuls les candidats démontrant d’une situation stable et de revenus arrivent chez nous. Ceci dit, sur ces cas nous comptons aussi sur une certaine vigilance des services de l’ambassade. Nous ne nous insurgeons pas sur tout refus de visa. Le risque est réel que l’inscription à nos projet serve de prétexte à une immigration clandestine (et donc de précarité pour la personne). Nos partenaires à l’étranger sont d’ailleurs aussi très vigilants à cela dans leur préparation des jeunes qu’ils nous envoient. Ils veillent notamment à bien identifier les motivations du jeune. À part avec le Maroc, et grâce donc à ce travail préparatoire de nos partenaires, nous ne rencontrons d’ailleurs pas de problème pour faire venir des jeunes issus de «pays visa» sur nos chantiers».
«En 2012 nous avons invité une jeune employée d’une nouvelle association partenaire marocaine. Comme chaque année pour un accueil court nous prenions en charge logement, nourriture, assurance, frais médicaux, billets d’avions et autres frais de transports, signions une prise en charge… La jeune fille répondait totalement aux conditions demandées par la Belgique pour obtenir un visa, par contre ne pouvait pas démontrer que son salaire était versé chaque mois sur un compte bancaire. Au Maroc, cela ne fonctionne pas toujours comme ça, surtout dans le milieu associatif, elle percevait un salaire en liquide… La procédure a été particulièrement longue et puis nous avons reçu un refus. Après plusieurs coups de téléphone et contacts avec d’autres personnes, nous avons reçu la confirmation que le visa était octroyé… C’est juste très arbitraire. Ceci ne nous a pas du tout dissuadé d’inviter des volontaires Maghrébins».
«La question des visas est très sensible et c’est pourquoi il faut s’y prendre relativement tôt sur ce sujet. Nous accompagnons toujours les demandes de nos partenaires avec des courriers officiels de DBA et un document descriptif du projet, une preuve de leur prise en charge en Belgique pendant la durée du séjour, une assurance, etc. Il arrive que certains dossiers trainent dans les ambassades belges du Sud. Nous privilégions alors des contacts directs avec les autorités et par ailleurs, lorsque nous allons là-bas, nous consacrons toujours une partie de nos missions à la rencontre des représentants belges sur le terrain afin de faire connaître notre association et nos projets. Cela nous aide beaucoup dans les demandes de visas qui suivent. Généralement, nous effectuons ces visites de courtoisie avec nos partenaires locaux comme ça l’ambassade belge peut se faire une idée également. Le fait que ces échanges s’effectuent dans le cadre de programmes co-financés par l’Etat belge leur donne également une garantie de qualité».