L’aide juridique permet à certaines catégories de personnes de bénéficier de l’assistance d’un avocat soit gratuitement (avant la réforme) soit à coûts réduits. Il s’agira, dans cette rubrique, d’analyser un point spécifique1 de la réforme du Code judiciaire entrée en vigueur le 1er septembre 2016 : l’instauration d’un «ticket modérateur».
L’aide juridique gratuite n’est plus. Sur fond de crise budgétaire et constatant une augmentation des procédures engagées dans le cadre de l’aide juridique, le législateur a imposé le paiement, par le futur bénéficiaire, d’un forfait de 20€ avant de se voir désigner un avocat bajiste2 et le paiement supplémentaire de 30€ avant que celui-ci n’initie une procédure devant chaque instance judiciaire ou administrative3. Cette contribution a pour but, selon le législateur, d’éviter les recours abusifs de la part des demandeurs d’aide.
Dans les termes, ce système de rétribution obligatoire préalable n’instaure pas moins une présomption d’abus. Le cliché culpabilisant du bénéficiaire d’aides qui passe la plupart de son temps devant son écran plat en vidant des cannettes de bière s’en trouve à présent joint d’une nouvelle caractéristique : celle d’introduire, par ennui ou par amusement et après s’être rendu sans raison chez son médecin, des procédures judiciaires infondées. Si l’on pressent le caractère erroné du raisonnement, un sentiment ne saurait justifier ou invalider une modification législative. C’est pourtant là que le bât blesse. Ce n’est que sur base d’un « sentiment d’abus » que le législateur a voulu responsabiliser4 les justiciables précarisés. Si les études menées constatent indubitablement une augmentation du nombre de procédures intentées, leur caractère excessif n’est ni démontré ni chiffré5.
L’augmentation du recours à la justice comme mode de résolution de conflits n’est pas uniquement l’apanage des bénéficiaires de l’aide juridique. Le moindre abri de jardin construit en faible infraction et c’est la mise en branle du monde judiciaire. Plus sérieusement, plusieurs facteurs peuvent être avancés afin d’expliquer cette tendance6 : la judiciarisation des relations sociales, la multiplication des lois sur chaque aspect -voire détail- de la vie d’un individu, le rôle de l’avocat, la qualité des textes légaux, la part significative des actes administratifs irréguliers pris par les administrations elles-mêmes (parfois sciemment)… La réflexion se doit d’être plus globale.
à supposer qu’il existe vraiment des êtres humains pour qui aller devant le Juge de Paix procure un plaisir intense au point d’entamer des procédures perdues d’avance, le paiement d’un montant de 50€ est-il le meilleur moyen pour restreindre ces abus ? L’avocat ne devrait-il pas refuser d’intenter des procédures manifestement superflues ?
Dans son dernier film, Ken Loach, nous montre les errances kafkaiennes de Daniel Blake, menuisier de 59 ans, sollicitant l’obtention d’aides sociales. Comme dans ce film primé où le protagoniste doit constamment prouver sa bonne foi, la notion d’abus des bénéficiaires de l’aide juridique inscrite dans les travaux préparatoires détourne les motifs réels de cette modification législative et ne permet pas un débat serein sur son opportunité. Il n’est question en réalité que de deux choix politiques, celui de l’austérité budgétaire et celui de faire porter, au moins partiellement, cette austérité par les personnes les plus précaires en passant par la stigmatisation et le découragement administratif et financier.
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1. L’ensemble des conditions d’accès à l’aide juridique de deuxième ligne est disponible sur www.aidejuridiquebruxelles.com. Le glissement des présomptions irréfragables en présomptions réfragables ainsi que la modification de la nomenclature pour les procédures successives auraient également mérité un article d’analyse. (Ne fuyez pas tout de suite à la lecture de ces mots, le juriste cache souvent sous des termes complexes des réalités simples).
2. Anciennement appelé « pro deo ».
3. Des exceptions au paiement de ces tickets sont prévues par l’article 508/17§4. Elles concernent notamment le mineur d’âge.
4. Doc. Parl., Chambre, sess. Ord. 2015/2016, n°54-1819/001, p.5.
5. Analyse l’INCC de 2012 à laquelle les travaux parlementaires font référence : « Les chercheurs ne concluent donc à aucun abus, mais il est évident que de nouvelles recherches seraient nécessaires pour comprendre les ressorts de l’augmentation constatée » (souligné par nous). https://incc.fgov.be .
6. J. Englebert, « Analyse des aspects « procédure civile » du Plan Justice présenté par le ministre Koen Geens le 18 mars 2015 », www.procédurecivile.be, mars 2015.