J'ai imposé les devoirs journaliers pendant des années, depuis le début de ma carrière, il y a 24 ans. à cette époque, on ne se posait pas de questions. Tous les enseignants du primaire en donnaient, ça rassurait les parents et ça permettait aux enseignants de boucler le planning de la journée.
Chaque matin, il fallait consacrer une vingtaine de minutes à leur correction et quotidiennement, je relevais le prénom des enfants qui les avaient « oubliés », « pas compris », ou « faits à moitié car pas eu le temps parce que rentrés tard du foot ». Cette comptabilité servait à se rappeler de réclamer à nouveau ce devoir le lendemain. C’était toujours les mêmes élèves qui les réalisaient convenablement et toujours les mêmes qui ne les rapportaient pas ou alors, partiellement complétés.
Afin d’essayer de gommer ces inégalités, l’Ecole de Devoirs a pris le relais. Certaines communes n’en disposent pas, mais elles organisent par le biais de garderies, une « aide » aux devoirs.
La pratique des devoirs à domicile est donc (il faut bien le dire !), un outil de stigmatisation. Tous les enfants ne disposent pas du même suivi/confort/outils/regard dans leur cellule familiale. à cela, il faut ajouter les pratiques de loisirs qui n’enferment plus l’enfant chez lui dès le retour à domicile mais, bien au contraire, l’ouvrent au monde qui l’entoure.
J’ai abandonné les devoirs quotidiens après avoir pris conscience qu’ils n’ajoutaient rien à la qualité des apprentissages, ni n’augmentaient les capacités intellectuelles des enfants. à présent, les seules tâches qui sont indiquées dans le journal de classe de mes élèves sont des leçons à relire ou des travaux de recherche sur la présentation d’un métier, d’un personnage historique, d’un fait de société, un coloriage codé, etc. Des devoirs donnés au moins une semaine à l’avance. Le fait que ce ne soit pas un devoir quotidien les motive également en plus du fait d’avoir du temps pour s’organiser. Rares sont les élèves qui « oublient » leur travail à domicile.
Je pratique aussi le cahier d’autonomie, dans lequel l’enfant va retrouver des activités différenciées (exercices individualisés en français ou en mathématiques, remédiation ou dépassement) en lien avec ses apprentissages du moment. Il pourra y travailler durant le temps scolaire, à son rythme et sans aucune contrainte de tout terminer. La méthode porte ses fruits. Moins de travail à domicile inflige moins d’anxiété aux enfants et donc une réelle envie de bien/mieux faire en classe. De plus, un atelier de lecture libre quotidien de 15 minutes après le diner ainsi qu’une courte séance de relaxation tous les matins procurent un climat de classe positif et ajoutent de la motivation.
Bref, de plus en plus d’enseignants décident d’abolir les devoirs, et/ou ont adopté une organisation de travail qui soit plus tournée vers le bien-être de l’enfant. Mais, soyons lucides, dans (encore) beaucoup (trop) de classes, les devoirs sont des feuilles de cours du jour non faites ou incomplètes, à terminer à la maison. Le rôle pédagogique ? Boucler la matière. Personnellement, sur base d’années de pratiques quotidiennes, la notion archaïque des devoirs telle qu’on l’a tous connue, a fait son temps.
Je ne leur jetterai pas la pierre, mea culpa, je l’ai fait. Trop de stress, matière trop dense, pas assez de temps pour voir le programme sur une année… les raisons honorables sont nombreuses, malheureusement.
Aujourd’hui, pour que les devoirs subsistent, ils devraient refléter la diversité culturelle, tenir compte des difficultés financières mais surtout des inégalités sociales des enfants qui les subissent. De plus, il ne faudrait plus évaluer un devoir. Dans bien des cas, ces points sont attribués aux parents ! Au final, il ne s’agit pas de simplifier la tâche des élèves, mais juste de la rendre équitable.
Maria Spinelli, institutrice
[Témoignage ]
Dossier : Les devoirs en question – COJ#22.