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La pauvrophobie

  8 Jan , 2020   ,    COJ

Pauvrophobie, N.F., néologisme : attitude d'hostilité, plus ou moins visible, à l'égard des personnes qui vivent la pauvreté ou la précarité 1. De quoi demander un éclairage à notre OJ-membre, ATD Quart Monde jeunesse …

Le 17 octobre, journée internationale de la lutte contre la pauvreté, a été l’occasion de se le rappeler : aujourd’hui, en Belgique, 20 % de la population est en situation de pauvreté. Celle-ci est souvent associée avant tout à des soucis financiers et matériels : fins de mois difficiles, coupures d’électricité, impossibilité de partir en vacances, alimentation premier prix de piètre qualité, logements insalubres…

Certes, ces difficultés sont bien réelles, notamment parce que les montants des allocations d’aide sociale octroyées par l’État sont pour la plupart inférieurs au seuil de risque de pauvreté2. Néanmoins, il existe d’autres conséquences à la vie dans la pauvreté, qui ne relèvent pas de la catégorie des privations matérielles. En voici quelques-unes, rapportées par des militants  engagés à ATD : obligation répétée de raconter son parcours de vie pour pouvoir bénéficier d’aides sensées être des droits ; stress ; isolement ; regard méprisant de ceux et celles qui n’ont pourtant aucune expérience des situations de pauvreté. Ajoutons à cela les choix impossibles auxquels soumet quotidiennement la pauvreté : « ce mois-ci, paye-t-on notre loyer ou le dentiste pour notre enfant ? ». Quoi qu’elles choisissent, les personnes sont jugées continuellement.

De ces jugements découle la honte, omniprésente. Au quotidien, c’est devoir avouer ne pas savoir lire, ne pas savoir payer quelque chose, subir les moqueries des camarades de classe, des voisins, des médias. Dans un pays riche comme la Belgique, les pauvres sont considérés à tort comme responsables de leur situation, et de ne pas arriver à s’en sortir.

Afin de poser un mot sur ce flux incessant de préjugés, le terme « pauvrophobie » a été créé en 2016, à l’initiative d’ATD Quart Monde France. Depuis, il s’est répandu dans les médias, et a notamment été repris par les auteurs de l’ouvrage Pauvrophobie, petite encyclopédie des idées reçues sur la pauvreté, publié l’an dernier en Belgique.

Pour mieux comprendre, quelques exemples concrets de pauvrophobie : les bancs anti sans-abri, munis d’accoudoirs partout pour les empêcher d’y dormir, ou encore les mentions « pas CPAS » en bas des annonces de location.  Rappelons que discriminer une personne en raison de « sa fortune » est interdit par la loi.

Et les jeunes, dans tout ça ?

Être jeune et pauvre, c’est souvent être sans qualification, sans perspective d’accès à un métier qui allie reconnaissance sociale et aisance financière, sans possibilité de pouvoir investir dans un « chez-soi ». L’horizon est bouché prématurément, dès le plus jeune âge, qu’il s’agisse d’apprentissages scolaires ou de vie sociale. L’école, loin d’estomper les inégalités de la société, en devient le reflet précoce. On peut d’ailleurs parler de pauvrophobie face à l’utilisation du mot « cassos » (« cas social ») comme insulte devenue banale dans les cours de récréation… Les préjugés liés à la pauvreté pèsent sur les enfants et ont des conséquences : la quasi-totalité des enfants et les jeunes que nous connaissons à ATD Quart Monde sont dans l’enseignement spécialisé. Certains, à la sortie, humiliés, jamais valorisés, n’ont pas appris à lire. Une jeune fille raconte : « Quand on sait que je vais en spécialisé, on me dit que je suis une gogol ». En dehors de l’école, aussi. Une jeune fille vivant de grandes difficultés se rend pour la première fois à un rendez-vous au CPAS, accompagnée d’une volontaire d’ATD. Pendant tout l’entretien, la personne du CPAS ne s’adresse qu’à la volontaire, parlant de la jeune fille à la troisième personne, comme si elle n’était pas présente.

Sensibiliser le citoyen aisé

La question de la discrimination se pose également au niveau linguistique. La tendance, consciemment ou non, est de déconsidérer une personne qui ne s’exprime pas avec les codes du langage ou l’attitude d’une personne dite « éduquée et cultivée ».

Il y a une véritable fracture sociale. Notre société se fige en différentes tranches sociales, entre lesquelles les interactions sont rares. Chacun·e, enfermé·e dans son réseau, ne connaît de l’autre que ce que les bruits environnants en disent. Les clichés circulent, ils se marquent à notre insu dans les esprits, et deviennent difficiles à déloger : Les sans-abris utilisent l’argent qu’on leur donne pour s’acheter à boire ou pour se droguer ; En Belgique, il y a du travail… qui cherche trouve ; Avec le logement social, les pauvres n’ont aucun problème pour se loger ; Il suffit de travailler à l’école pour réussir, etc.

Éliminer ces clichés passe par la rencontre et la connaissance de l’autre qui vit les difficultés liées à la pauvreté. Toutefois, il ne suffit pas d’aller vers les jeunes précarisés. Nous devons aussi – surtout – sensibiliser les citoyens « aisés » qui ne connaissent pas les réalités de la pauvreté. C’est un travail que font de nombreuses associations, en intervenant dans les classes, ou via des expositions, des stands, des débats.

Pour nous, à ATD Quart Monde, cela passe avant tout par l’écoute des personnes en difficulté, de leur vécu, et par la prépondérance de leur opinion dans la création de solutions, pour que leur parole soit entendue dans les lieux de décision, avec la même valeur que le savoir professionnel ou académique.

Mettre fin aux préjugés, c’est aussi, très concrètement, montrer la réalité derrière les légendes urbaines : mieux faire comprendre le système des aides sociales, d’attribution des logements, le système scolaire, etc. Cela prend aussi la forme d’actes individuels. Chacun de nous peut choisir les mots qu’il utilise, et réagir devant certaines blagues ou commentaires. Car la pauvrophobie est souvent… (in)visible. Il s’agit dès lors de percevoir ses différentes formes pour mieux la dénoncer.

Gilles Clamar et Olivia de Callataÿ,
pour l’équipe d’ATD Quart Monde Jeunesse

www.jeunessequartmonde.be

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1. Pauvrophobie – petite encyclopédie des idées reçues sur la pauvreté, Le Forum – Bruxelles contre les inégalités, éd. Luc Pire, 2018, 400p.

2. Selon le Baromètre social – Rapport bruxellois sur l’état de la pauvreté de 2018, le seuil de risque de pauvreté est fixé à 1139€ pour une personne isolée et 2392€ pour un couple avec deux enfants. A titre indicatif, le RIS (revenu d’intégration sociale) est de 911€ pour une personne isolée et de 1255 € pour un couple avec deux enfants.

3. Les militant·e·s Quart Monde sont des personnes qui vivent ou ont vécu la grande pauvreté et qui choisissent de rejoindre ATD Quart Monde parce qu’ils s’y reconnaissent ; ils apportent ainsi leur réflexion et leur expérience.

« Ce sont des assistés, des profiteurs, des incapables, des fraudeurs… Ces préjugés et stéréotypes sur les pauvres se multiplient. Et s’ils sont associés à la peur ou à l’hostilité, ils se transforment en phobie. La pauvrophobie mène à une vision collective tronquée de la pauvreté et des solutions
à y apporter. Avec les services sociaux et ceux qui les fréquentent, Le Forum – Bruxelles contre les inégalités a identifié 85 idées reçues. Chacune a été soumise à un expert qui s’est attaché à la déconstruire de manière argumentée, sur base des derniers chiffres et études disponibles. Voici donc une Petite encyclopédie des idées reçues sur la pauvreté, qui a pour ambition d’apporter une définition plus juste d’un phénomène qui touche un Belge sur cinq. En éclairant les problématiques les plus complexes, cette encyclopédie est un outil fondamental pour inventer des solutions contre la pauvreté, que ce soit à un niveau personnel, professionnel ou politique. »

4ème de couverture – Pauvrophobie – petite encyclopédie des idées reçues sur la pauvreté, Le Forum – Bruxelles contre les inégalités, éd. Luc Pire, 2018, 400p.