Invitée au débat sur « Les enjeux idéologiques et économiques de la législation » du collectif 21, Laure Morelli est socio-politologue de formation, formatrice et consultante en milieu associatif. Elle fut auparavant « chasseuse de têtes pour les banques» avant de rejoindre le secteur associatif du non-marchand, en 2008. son intervention fut intéressante, mi-alarmiste, mi-réaliste. Le COJ a voulu en savoir plus.
Depuis le 1er mai 2019, les associations sont intégrées dans un Code des Sociétés et des Associations. Vous épinglez des raisons officielles et officieuses.
La raison officielle est de rendre la Belgique attractive pour des entrepreneurs étrangers. Quel entrepreneur étranger voudrait investir dans mon ASBL ? Où est le sens de tout ça ? Il n’y en a pas. Autre raison officielle : l’assimilation. On a cessé de considérer les ASBL, AISBL, fondations… d’une manière différente des entreprises à visée commerciale. Où veut-on en arriver ? Mon hypothèse est que le CSA veut procéder à un nettoyage du secteur associatif. Sur près sur 170.000 ASBL en Belgique, 70000 à 75000 ASBL sont en ordre. Les ASBL qui font des activités, mais qui ne sont pas en ordre risquent de passer à la trappe. S’est-on, au préalable, posé la question du pourquoi ? Est-ce que la charge administrative est trop lourde ? Est-ce parce qu’elles travaillent avec des volontaires sans personne pour s’occuper de l’administratif ? Ou simplement, ces ASBL ne sont-elles pas au courant de leurs obligations ? Le politique ne semble pas se soucier de ces raisons. Peut-être parce qu’il n’a pas la vision du petit projet utile sur le terrain. Exemple donné d’une ASBL de quelques volontaires qui organise des promenades canines et qui, à son niveau, fait de la cohésion de quartier. Aura-t-elle la capacité de répondre à ses nombreuses obligations administratives ? De plus, il était difficile de concevoir un Code qui différencie des catégories d’ASBL puisque le but était de les intégrer dans le tout entreprise et d’uniformiser les choses. On va repartir dans une
« purge » du secteur associatif par une pression éloignée du terrain des choses.
Le juriste est rassurant, la socio-politologue est alarmiste ?
Ce sont deux visions différentes. Si l’on devait prendre une casquette de juriste, effectivement, le CSA n’a pas modifié grand-chose (excepté une lourdeur administrative). Mon intervention est dire qu’avec ce Code, on scinde l’associatif en deux secteurs : l’associatif non commercial et le secteur associatif commercial (dont l’objet premier sera le profit. Par exemple une ASBL qui fabrique et vend des robes de mariées). C’est un risque majeur de voir le secteur associatif éclater. Cela va tromper le public et déforcer le secteur associatif. De plus, vouloir diminuer le nombre d’ASBL (qui ne sont pas en ordre, etc.), c’est perdre de sa « négociabilité », c’est perdre le sens du terrain. On en sentira les effets peut-être dans 5 ou dans 10 ans. Mais cela a aussi une conséquence importante : va-t-il y avoir une obligation d’hybridation des financements : des subsides + des personnes volontaires + des cotisations + des dons de la société + désormais, des recettes de la vente ? Ce dernier point fait que les politiques s’interrogent : « ce dernier niveau de business va-t-il influencer ou non notre décision de donner des subsides aux ASBL ? ». Tout est possible.
Vous parliez de « L’avènement des pieuvres associatives ». C’est-à-dire ?
Si ces toutes petites ASBL sont amenées à disparaitre, qui va reprendre les projets, et éventuellement les subsides ? Ce seront probablement les ASBL pieuvres qui ont des CA de 30 personnes, qui fonctionnent avec 2000 travailleurs ou avec des multi-agréments. Des ASBL qui ont les moyens en termes de temps, de nombre de travailleurs pour assumer l’administratif, faire les demandes de subsides, etc. Attention : je ne dis pas qu’il ne faut pas de pieuvres associatives car ce sont elles qui auront peut-être une force mobilisatrice.
Que faire ?
Il y a une réflexion à mener sur les « ASBL coupole » qui existent par exemple à Londres. Avec du personnel administratif, l’ASBL coupole est créée pour accompagner concrètement (administratif, locaux, formations, etc.) toute une série de projets, le temps qu’elle démarre. L’ASBL coupole aura comme missions d’accompagner ces ASBL « start-up ». Cela permettrait à ces petits projets de naitre, de se justifier, d’avoir du public, de parfois échouer et se relever, d’avoir une vie. Et puis, d’avoir un vrai recours aux subsides en ayant déjà un rapport d’activités, etc. L’idée vient au départ du management, des incubateurs de start-up.
Le Collectif 21 et d’autres dénoncent l’esprit managérial qui pourrit l’associatif …
On y est forcé puisqu’il y a une gestion des subsides avec de plus en plus d’ASBL et de moins en moins de subsides. Donc, on découpe les subsides, on crée de la concurrence (comme avec les appels à projets) , on crée des « partenaires » formalisés dans des conventions liées aux conditions des subsides. Cela s’est institutionnalisé. On est rentré dans une logique qui était, dans les années 70-80, militante, réactive, un système associatif de coeur (on allait ou non vers un projet de coeur) à une logique de nécessité et de survie. Ce n’est pas critiquable, ce n’est juste pas la même chose. Opposer militantisme et opportunisme serait caricatural. L’opportunité d’un nouveau subside peut aider la population...
Propos recueillis par Nurten Aka