Depuis plusieurs années, les médias « traditionnels » (presse écrite, chaines de radio ou de télévision) sont concurrencés par de nouveaux acteurs médiatiques (sites internet, chaines youtube ou viméo, podcasts indépendants, presse alternative…).Avec la covid-19, plusieurs d’entre eux ont défrayé la chronique en se présentant comme une voie dissidente vis-à-vis des médias dominants (« Hold-Up », « Ceci n’est pas un complot », etc.). Coup d’œil sur la question : Ces nouveaux médias « alternatifs » sont-ils si différents ?
Les médias « alternatifs » diffèrent en partie des médias « traditionnels » . Plusieurs éléments peuvent distinguer ces nouveaux acteurs « médias » qui diffusent massivement des contenus, notamment sur Internet, et pas nécessairement pour le meilleur. D’abord, ces nouveaux médias emploient parfois des journalistes, parfois non. Certains prennent la forme de l’investigation, mais ne s’en donnent pas les moyens et la déontologie professionnelle. Si l’expression publique est l’affaire de toutes et tous, le journalisme est quant à lui un métier dont les méthodes sont rigoureuses.
Ensuite, ces nouveaux médias peuvent mettre en avant d’autres formes de financement que la presse traditionnelle. Certains d’entre eux fonctionnent grâce à la publicité (ex. Nordpresse) et/ou les ventes et abonnements (ex. Acrimed, Arrêts sur images), comme les autres médias privés/traditionnels. D’autres sont financés par un état (ex. Russia Today), tandis que d’autres encore attestent de méthodes de financement dites participatives (ex. Wikipédia, reportages produits via KissKissBankBank). De nouveaux acteurs émergent donc grâce au soutien de citoyennes et citoyens. Contrairement à des titres de presse classiques, ils ne sont pas détenus par de gros acteurs industriels ou financiers (en France, par exemple, Le Figaro est détenu par le Groupe Dassault).
Enfin, certains de ces médias sont particulièrement marqués par une ou plusieurs idéologies (par exemple, des sites nationalistes/régionalistes). Là où la plupart des titres de presse prétendent œuvrer pour une approche des faits, pas mal des nouveaux acteurs médiatiques se focalisent sur des opinions politiques, le plus souvent divergentes. Leur raison d’être n’est pas l’information.
Toutefois, la presse d’opinion a existé et existe encore. Les journalistes sont des citoyens avec leurs propres idées et leur libre-arbitre. C’est un fait qu’un journalisme « neutre » n’existe pas, ne serait-ce qu’à travers le choix des sujets ou encore parce qu’ils sont assujettis à des objectifs de rentabilité. Le journalisme est néanmoins aussi un métier avec des méthodes professionnelles pour rendre compte du réel d’une manière qui soit la plus fidèle possible.
De l’alternatif à l’identique ?
Or, justement, les médias qui se disent « alternatifs » reproduisent bien souvent de nombreux fonctionnements de médias plus « traditionnels ». Dernièrement, des œuvres qui critiquent le fonctionnement des médias ont vu le jour (ex. Ceci n’est pas un complot). En réalité, elles font la même chose que ceux qu’elles dénoncent : approche sensationnaliste et/ou qui fait peur, sélection subjective de passages sortis de leur contexte, construction d’un récit orienté… Des effets de style sont utilisés : titres accrocheurs, témoignages émotionnels, musique d’ambiance… On retrouve des codes du journalisme : entretiens avec des (pseudo)experts, angle de l’enquête qui prétend montrer « le dessous des cartes », voix off, ancrage dans la « proximité » avec le public… En ce sens, ces « nouveaux » médias fonctionnent clairement comme les « anciens ».
Un des apprentissages de ce coup d’œil est qu’il est réducteur de parler des médias comme d’un tout homogène. Il y a probablement autant de différences entre une émission d’une chaine d’information en continu, un article d’un magazine de presse people qu’entre cette émission et un reportage se présentant comme divergent. Le paysage médiatique est diversifié – et il l’était déjà auparavant.
Les médias diffèrent par leur modèle économique (de comment ils sont financés), par leur ligne éditoriale (les thèmes et angles qu’ils abordent), par leur cible / leur public (qui les consulte), par leur positionnement idéologique (politique…), par leur format (court ou long, écrit, parlé ou visuel…), etc.
Les catégories « médias mainstream » et « médias alternatifs » n’ont par conséquent pas beaucoup de sens. Elles ne nous renseignent que sur le positionnement revendiqué ou attribué par ces différents médias. Elles sont abstraites et ne disent rien de la complexité du paysage informationnel. Pour mieux comprendre le fonctionnement des médias, l’invitation est de démystifier ceux-ci en les analysant dans le concret, au cas par cas. Cela passe aussi par remettre de l’humain dans notre vision des médias d’information (des pigistes aux actionnaires en passant par les rédactrices et rédacteurs en chef), dont on oublie bien souvent qu’ils sont avant tout une œuvre humaine, et non le fait de groupes occultes dont la façon d’être nous serait totalement étrangère.
Julien Lecomte, chronique des médias (sociaux)