International,Rencontre & Réflexion
De temps en temps, Les rencontres du monde associatif traversent les frontières. Marc Chambeau (président de notre OJ-membre, la FMJ) était à Marrakech pour participer à l'Université de développement social. Objectif : échanges sur la société civile marocaine. Et pour lui, apporter son regard sur l'associatif belge (francophone). Regard subjectif et sentiments, il nous écrit à son retour de voyage.
En décembre dernier, j’étais à Marrakech pour participer à l’Université de développement social, à l’invitation du centre marocain d’études et de recherches en sciences sociales (CERSS) pour parler de l’expérience associative belge (essentiellement francophone), mais surtout, de mon côté, pour découvrir cette société civile marocaine.
Deux jours de colloques sur « Les métiers de la vie associative ». Deux jours tout en paradoxes, parfois similaires à ce que vit l’associatif belge (la liberté associative versus la mainmise des pouvoirs publics) parfois davantage exacerbés (l’engagement associatif dans un pays où l’on enferme encore pour ses opinions). Deux jours d’échanges francs, à quelques années de distance des révoltes civiles du Printemps arabe, un événement d’ailleurs régulièrement rappelé lors de ce colloque, manifestement déclencheur de nouvelles dynamiques associatives. Des dynamiques davantage politisées (au sens noble du terme) qu’avant les printemps où seules les dynamiques caritatives trouvaient leur place.
L’événement dont je me souviendrai est significatif, pour moi, de cette difficulté de l’associatif marocain à se libérer totalement de son passé. Lors d’un repas avec mes hôtes marocains participants aux travaux, il y avait parmi eux un homme qui a passé 10 ans dans les geôles d’Hassan II (père du roi actuel) pour raisons politiques. Aujourd’hui, il peut (davantage) dire ce qu’il pense. Toutefois, sa colère est palpable, notamment, parce que parmi ceux qui se présentent aujourd’hui comme porteurs d’une société civile vivifiante au Maroc, certains avaient été au moins complices de ses tortionnaires. Paradoxe et émotion.
La société civile, académique, citoyenne, associative, parle et débat comme j’ai pu le constater dans ce colloque. Les thèmes étaient relativement similaires à ceux que nous connaissons en Belgique (la recherche de financements structurels, l’indépendance et la liberté associative, …) avec toutefois cette différence marocaine où la démocratie et la liberté d’expression sont moins assurées que chez nous. Mais le regard marocain se fait insistant vers chez nous. Pour se servir de l’expérience.
Cet associatif marocain est essentiellement bénévole (voire militant). Il remplit des tâches similaires de l’associatif belge : santé, aide aux personnes fragilisées, immigration, formations, environnement, culture, jeunesse, …
Une des questions posées ici à Marrakech : l’associatif marocain doit-il davantage se professionnaliser, s’orienter « services » ? Avec le risque de perdre les valeurs qui le portent comme la participation citoyenne, le développement des droits pour tous, le chemin vers plus d’égalité(s), une construction de la démocratie à partir de la base et des gens, etc. Mais aussi l’opportunité de développer un secteur économiquement porteur d’emplois et de formations professionnalisantes pour une jeunesse en recherche de repères stabilisants. Du coup : quelle place laisser à ces pouvoirs publics déjà tellement présents dans la société marocaine et qui risqueraient de contrôler davantage encore ?
Deux jours de questions et de débats sur ce dilemme marocain : le développement d’un associatif pour soutenir le développement socio-économique ou pour bétonner une démocratie et une citoyenneté en attente de garanties ? Rien de neuf par rapport à notre expérience en Belgique. Sauf que là-bas, tout est à construire tandis que nous, nous sommes, le plus souvent, à défendre des acquis sévèrement malmenés…
Marc Chambeau