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Jeunes agriculteurs, jeunes entrepreneurs ? Les frères Geens gèrent 70 ha et 184 bêtes. Une réussite en cours.

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Au bonheur relatif des jeunes agriculteurs

  28 Juil , 2017   , , ,    COJ

Du travail de leur ferme, Les frères Geens gagnent 750 euros par mois et ont plus de 700.000 euros d'emprunts. Ils sont pourtant confiants avec l'exploitation agricole de leur enfance qu'ils ont rachetée aux parents. Une troisième génération d'agriculteurs formée aux techniques entrepreuneriales de leur temps. Rencontre d'une réussite en cours.

Plein soleil, à la ferme des frères Geens, près de à Villers-lez-Heest/La Bruyère, en province de Namur. On s’attendait à trouver la galère et la dépression des jeunes agriculteurs. Pas du tout ! On rencontre deux jeunes agriculteurs de 30-31 ans, confiants en leur ferme traditionnelle (viande et céréales) de 70 hectares et 184 bêtes « Bleu-Blanc-Belge ». C’est Sébastien Geens (photo, à droite) qui se charge de nous faire découvrir, sans fard, leur réalité de jeunes agriculteurs. « On a 40 ha en polyculture de céréales et un mélange d’herbes pour nourrir le bétail. Les 25 ha restants, c’est de l’herbe pour la fauche et des pâturages pour le bétail qui sont de sortie d’avril à novembre. On a arrêté la traite du lait en 2007 parce que c’est assez lourd, que l’on a une petite installation et que notre passion est la partie viandeuse de l’élevage. Je suis naisseur, éleveur, engraisseur. Cela nous fait 90 bêtes par unité de main-d’œuvre à mon frère et à moi. C’est gérable ».

La ferme des Geens est une ferme traditionnelle, en repise familiale. Un classique qui a souvent les atouts de la réussite. « On n’a que 1/140ème de la ferme à nous (1/2 hectare), signale Sébastien. La maison est encore à nos parents qui ont quelques terres (20 hectares). On débute. Mon grand-père avait cette exploitation que nous gérons aujourd’hui. Gamins, nous, on donnait un coup de main, à notre rythme. On est trois frères. Le troisième est musicien. Dans ma génération, on a eu la chance de faire des études, on a côtoyé d’autres gens et on ne veut plus vivre que pour le travail. On a repris l’exploitation agricole avec mon frère dans cette logique-là. On a tout réorganisé, refait des travaux pour que cela aille plus vite. On a simplifié le travail manuel ».

Malgré l’avantage qu’offre une « reprise familiale », les capitaux à investir n’en sont pas moindres. Les frères Geens apparaissent comme deux jeunes entrepreneurs audacieux, chose presque nécessaire à l’heure actuelle pour réussir.  « On a fait un crédit reprise de 300.000 euros pour racheter à nos parents le matériel, le bétail, les infrastructures. On est dans une exploitation agricole moyenne et on arrive facilement à 700.000 euros d’investissements minimum depuis qu’on a repris en 2012. Cela fait deux ans qu’on attend l’aide à l’installation de 70.000 euros pour les jeunes agriculteurs, notre dossier est en ordre, ça traine à l’administration. On a d’autres primes/aides mais aussi pas mal de frais et, vu les fluctuations du marché, il peut nous arriver de ne rien perdre mais de ne pas gagner non plus, de ne pas se payer en main-d’œuvre. Les bonnes années, on met un peu de côté ou on les investit.  Si on n’avait pas ces aides, on n’aurait pas repris la ferme ou en tout cas, on l’aurait fait survivre en l’état, sans investir. C’est sûr, si on est moins bon gestionnaire, on peut creuser le trou ! ».

Restent le travail de terrain, spécifique à l’agriculture, et la reprise d’une ferme familiale qui, de nos jours, est une tradition (ou un déterminisme social) qui ne va pas de soi comme le confirme Sébastien. « Pour moi, cela n’allait pas de soi de reprendre l’exploitation. Mon frère, oui, il a fait ses secondaires en agriculture, à Ciney et un graduat en promotion sociale. Finalement, j’ai fait des études agricoles en école supérieure. Cela me plaisait bien. Et on a alors repris l’exploitation à deux. Et mon père nous donne toujours un coup de main. Il y a 50 ans, on apprenait sur le terrain, on allait à l’école jusqu’à l’équivalent de la troisième rénové et puis on reprenait l’exploitation. Aujourd’hui, il faut faire des études. A l’époque, il n’y avait aucune norme, aucune contrainte environnementales, sociales et économiques. Le travail de terrain reste pratiquement le même qu’à l’époque de mon grand-père. Cela, on l’a appris sur le terrain. Mais il y a des formations techniques qui nous enseignent la base comme l’alimentation du bétail, la gestion sanitaire des cultures, etc. Tout ce qui est gestion journalière du travail manuel, de l’utilisation des tracteurs dans les champs, etc. s’apprend sur le terrain ».

Jeunes agriculteurs dynamiques

Aujourd’hui, de leur ferme, les Frère Geens gagnent chacun 750 euros net par mois. Leur pari est de gagner peu et d’investir pour l’avenir.  « Du coup, on travaille à l’extérieur (ce qui nous permet d’investir un peu plus pour avoir un confort de travail). Quand j’aurai 45 ans, la ferme sera hyperfonctionnelle. On aura fini de payer et quand je commencerai à avoir des difficultés physiques, ma ferme sera nickel. On a investi pour le futur.  Mon deuxième travail est la FJA (la Fédération des Jeunes Agriculteurs) où je fais du conseil aux agriculteurs et des aides à leurs démarches administratives et mon frère travaille à la section wallonne de l’élevage, il fait de l’évaluation de bétail et du conseil. Actuellement, on vit chacun à peu près avec 1800 euros par mois. Mon épouse est enseignante ».

A les rencontrer, on ne peut s’empêcher de se dire que les frères Geens sont des privilégiés qui savent mener leur barque.  « On est privilégiés, acquiesce Sébastien, dans le sens où on a repris l’exploitation saine, sans dette des parents. On a eu aussi l’opportunité de participer à la gestion de l’exploitation plusieurs années avant la reprise. On a ainsi préparé la ferme qu’on allait reprendre. Ce n’est pas donné à tout le monde. Enfin, on a une bonne entente familiale et un travail à côté qui n’est pas pesant (car dans notre domaine) même si cela est une contrainte dans la gestion quotidienne de notre exploitation. Notre père est là pour nous donner un coup de main salutaire. Toutefois, cela repose aussi sur une très bonne gestion : on fait des suivis de fécondité. Une vache ne va pas rester ici pendant 1 an « sans rien rapporter ».  Tout n’est pas positif mais il faut savoir vers où on va et anticiper l’avenir. Chez les jeunes agriculteurs, les aspects économiques et fonciers sont un frein mais aussi l’aspect social. Ici, on a la chance d’avoir des amis agriculteurs avec lesquels on a une vie sociale active ». Justement, quid de la vie sociale ? « On va souvent chez des amis, BBQ, etc. On part 1 à 2 semaines en vacances par an, généralement en dernière minute. On ne peut pas partir au Pérou et planifier des mois à l’avance. Mais cela ne me pèse pas car j’aime mon métier et je vis au milieu de la nature. Mon grand-père a connu les chevaux qui tiraient les charrues, mon père la mécanisation et moi, l’administration. Mes parents ont eu des années difficiles comme avec la crise de la vache folle où ils perdaient de l’argent. Chaque génération a ses difficultés. Mon stress est d’avoir un peu trop investi mais c’est un choix pour être tranquille tôt. Il y a encore cette mentalité ancienne agricole : « on travaille à la ferme et on ne fait rien d’autre sinon on est fainéant ». J’ai connu des agriculteurs qui ont diminué (à raison) leur cheptel et qui se sont fait taxés de fainéants. Les jeunes, ce n’est plus ça. On a fait des études, des cours de gestion, on a rencontré des gens et d’autres mondes. Le travail de la terre et du bétail est plus réfléchi, les cultures plus raisonnées. On peut se permettre de sortir les week-ends ou, comme mon frère, de jouer au mini-foot.».  Heureux qui comme les Geens savent mener leur barque…

Nurten Aka

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Témoignage

D’hier à aujourd’hui

vieux agriculteurs

Anne-Marie et Jacques Dubois sont un couple de vieux agriculteurs avec une pension de 1400 euros. Près de 50 ans de métier ! Aujourd’hui, ils poursuivent leur exploitation en aidant leurs fils. Ils ont une ferme de 135 hectares et s’occupent de 180 vaches laitières. A l’entrée de Bernissart, on peut aller leur acheter du lait, des œufs et du beurre. D’hier à aujourd’hui, ils témoignent. « J’ai toujours fait de la livraison à domicile », explique Jacques. « Je travaille depuis mes 14 ans. Dans les années 70-80, on avait des bonnes années. Le problème, c’est que nos prix de vente n’ont pratiquement pas changé. Le blé qu’on vendait dans les années 80 à 250 euros la tonne est vendu aujourd’hui à 150-160 euros. Le lait était vendu à 40 cents, maintenait il est à 25. C’est pour ça qu’on a eu des aides de la PAC mais on préfèrerait avoir un prix décent que des aides !  D’exploiteur, on est devenu exploité. Avant aussi, nous ne fixions pas nos prix mais nous pouvions vivre du marché. Les prix étaient rentables et équitables dans des circuits courts. Avant, on n’avait pas tant de normes à respecter comme maintenaient où l’on a dû investir beaucoup. Et puis, l’administration : avant, il n’y avait rien, aujourd’hui, c’est quasi un bureau d’avocat ». Anne-Marie de poursuivre : « On était privilégiés car mon mari était fils unique. Il n’y pas eu de souci d’héritage. En 1969, on avait 23 vaches, ça faisait vivre deux ménages. On passait tous les jours à domicile pour vendre le lait. Tout le monde en prenait, il n’y avait pas de grand magasin. Maintenant, on termine notre métier mais notre fils, tout seul, ne saurait pas reprendre la ferme. Il faut être 3 à temps plein pour faire le beurre et la traite, nettoyer le matériel, etc. ». Et les vacances ?  « On est déjà partis quelques heures à la mer, entre deux traites, raconte Jacques. On partait aussi à la Foire de Libramont. Aujourd’hui, le soir, je fais du chant depuis 5 ans. On pourrait avoir des activités mais chacun de son côté. Un de nous doit rester. Il faut faire des sacrifices. ». Et Anne-Marie de conclure : « On va parfois au marché. Ce matin, on s’est absentés quelques heures pour acheter des fleurs. Je vais les planter demain. Cela reste mon plaisir ».  N.A.