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Rencontre & Réflexion

Des chiffres (qui nous enfument) et des mots (malheureux)… What the fuck ?

  14 Juil , 2020       COJ

Le confinement imposé par les autorités dans la crise sanitaire Covid 19 a décuplé notre consommation médiatique. Et nous sommes, quotidiennement assaillis par des chiffres dont on peut raisonnablement se demander ce qu’ils veulent bien pouvoir dire…

Le nombre de morts, le nombre de cas (détectés, soupçonnés, estimés…), le nombre de lits (avec ou sans assistance respiratoire)… Il y en aurait plus ou moins en France ou aux États-Unis (on compare rarement avec des pays du continent africain…). Sans mettre ces chiffres en perspective, difficile d’en faire quelque chose si ce n’est d’être contraint de les ingérer. La charge anxiogène qui les accompagne, c’est cadeau ! Sur le champ de la bataille virale, on ne va pas faire la fine bouche.

Le 15 mai dernier, le Soir titrait que « Les Belges ont dépensé 34% en moins pendant le confinement ». Cette « analyse »(1) d’ING rapportée par le quotidien démontre que ce sont les vacances (-69 %), les activités des enfants (-68 %), l’habillement et la beauté (-61 %) et les transports (-52 %) qui ont morflé… Mazette, l’info ! Et balancer cette moyenne, c’est ignorer les familles qui ne savent pas partir en vacances, qui n’envoient pas leurs petits trésors à l’équitation ou qui ne peuvent pas se rendre hebdomadairement au centre commercial chez Lush pour se faire masser les avant-bras avec du savon à la bergamote euphorisante. En dehors de la classe moyenne embourbée dans notre société de consommation, point d’existence !

Autre chiffre bombardé sur le site Info de la RTBF, le 16 mai : « Coronavirus aux États-Unis : la Chambre adopte un projet d’aide de 3000 milliards de dollars ». Quand on lit plus que le titre (trompeur), on constate que le Sénat (dominé par les républicains) ne laissera pas passer ce projet. N’empêche, en termes de relance, l’annonce est ambitieuse : si on rapporte ce montant au nombre de citoyens belges, cela nous ferait un plan à près de 97 milliards d’euros. Le plan de relance que Magnette a proposé au kern(2) (10% du PIB consacré à la relance), c’est la moitié !

Côté vocabulaire, le terme « distanciation sociale » sera certainement l’expression de l’année 2020. Notez qu’il s’agit d’une traduction littérale de l’anglais Social distancing qui s’est imposée à tous et qu’il va falloir se battre sans relâche pour que dans nos gestes, on s’en tienne uniquement à de la distance physique. Les mots utilisés pour faire de la propagande constituent eux aussi une arme de destruction puissante de la pensée !

Et comme s’il était encore utile d’alimenter l’eau du moulin du surréalisme à la belge, le palindrome « Kayak » restera gravé dans les récits héroïques de cette période troublée. Il est évident que ce que la population belge attendait comme premier signal de liberté peu à peu retrouvée, c’était la possibilité de pagayer sur la Lesse en philosophant sur le genre du mot Covid19. L’Académie française, elle, a tranché : c’est féminin cette saloperie de maladie. On dit la Covid19, mais le coronavirus…

En un peu plus de 5 ans, nous aurons connu deux « lockdown » : en novembre 2015 , un lockdown bruxellois suite aux attentats du 13 novembre à Paris et en mars 2020 suite à la pandémie du Coronavirus. Cette réalité inattendue de ce début de XXIe siècle révèle de manière brutale la faiblesse de l’état et son incapacité à protéger sa population. À force de vouloir faire fonctionner l’ensemble de la société (dont l’état lui-même) à flux tendu, sans stocks ni marges de manœuvre à l’image de l’industrie et des circuits de vente, il nous faut constater qu’il devient difficile de parler de force publique quand on évoque l’état.

Cette réalité-là, plus que bien d’autres, doit nous inquiéter dès à présent. Parce que l’état – qu’on ne s’y trompe pas – c’est… nous !

Père Dulabataille (3)

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1. L’usage de guillemets pour le terme « analyse » vise à interroger le choix du terme au regard de la piètre intelligence dont font preuve les commentaires qui accompagnent les chiffres d’ING.
2. Kern (Kerncabinet, en néerlandais) est le Comité ministériel restreint (Kern) qui réunit les ministres les plus importants du gouvernement (Premier ministre, vice-Premiers ministres) et le ou les ministres compétents selon les affaires à traiter.
3. Mais pas la guerre !