Logo COJ

En direct des OJ,Rencontre & Réflexion

Devoirs et inégalités, le faux débat ?

  18 Sep , 2019   , , ,    COJ

Les devoirs à la maison sont une grain de sable pour tout le monde : élève, parent, enseignant, animateur d’école de devoirs. Au-delà du débat "pour ou contre", le COJ#22 s'est plongé dans le sujet.

Pour les aficionados, les devoirs permettent un suivi de la scolarité de l’enfant ou un moyen de rester dans la course à l’excellence. Les hostiles, eux, s’insurgent contre cette source d’inégalités et un manque de respect des droits de l’enfant au temps libre et aux loisirs.  En Belgique, l’école devient obligatoire en 1914. Dans le programme des études de 1922, la tendance est de laisser aux l’enfant du temps pour qu’ils « s’ébattent au grand air après une journée de classe bien remplie ». Pourtant, au XXème siècle, les devoirs sont au menu de chaque écolier. Cahiers, crayons, tables de multiplication, exercices de grammaire, sciences, éveil… « B » comme bien, « TB », comme très bien, « Peut mieux faire », « Devoir non fait. Zéro ! ».

Aujourd’hui, au sein de la Fédération Wallonie-Bruxelles, qui gère les politiques de l’Enseignement, deux textes ont leur importance. Le premier est le Décret Missions de 1997 – art.78 qui pose un cadre pour l’enseignement fondamental. Il stipule : pas de devoirs en maternelle, en 1ère et 2ème années du primaire, 20 minutes par jour en 3ème et 4ème années, 30 minutes en 5ème et 6ème.  Malgré ses limites, surtout en termes d’arguments pédagogiques, ce décret a le mérite de jalonner la durée de travail acceptable en fonction du niveau d’étude. Autre texte important : le décret du 29 mars 2001 (détaillé dans la Circulaire 108). Il régule les devoirs dits « travaux à domicile » dans l’enseignement fondamental. Ce décret met en exergue plusieurs points : le délai raisonnable à laisser à l’enfant pour réaliser ses devoirs, le fait d’individualiser les devoirs en fonction des enfants et de leurs difficultés, la question de l’évaluation qui doit être formative (pas de points ou de sanction mais une évaluation constructive qui permette à l’enfant de progresser), la communication avec les parents, etc.

A travers l’histoire de l’enseignement, les devoirs ont donc toujours posé question mais il existe bel et bien une réglementation. Malheureusement, celle-ci semble méconnue ou, tout du moins, n’est pas systématiquement appliquée. 

Actuellement, dans l’avis n°3 du Pacte pour un Enseignement d’Excellence (p.303), il est envisagé de modifier les rythmes scolaires.  La journée d’école pourrait, par exemple, être plus longue et entre-coupée d’un temps dédié à la culture, au sport, à la citoyenneté avec des acteurs extérieurs. à noter :  les devoirs des enfants seraient, dès lors, également intégrés au sein du temps scolaire. Une façon de pallier les inégalités, la pierre d’achoppement des devoirs scolaires à la maison.

Pour ou contre ? Et si la question n’était pas là ?

Sur le terrain, il existe de multiples perspectives pour aider l’enfant à faire ses devoirs : des études organisées au sein des établissements, des écoles des devoirs, des profs privés, des grands-parents à la rescousse ou encore des parents disponibles et compétents. Mais on le sait, toutes les familles n’ont pas les ressources pour garantir l’accompagnement nécessaire en termes de moyens matériels, pédagogiques ou culturels.  De quoi accentuer l’idée que les devoirs à la maison restent une source d’inégalités.

Certains parents tiennent à ce temps de devoirs. Ils estiment que c’est pour eux le moyen d’avoir un retour voire de faire un contrôle sur ce qui se passe à l’école.  Cependant, Danielle Mouraux, sociologue, précise1 qu’en ramenant des devoirs à la maison, les enfants rentrent chez eux avec la casquette d’élève et placent alors de facto les parents dans une posture pédagogique.  En introduisant les devoirs à la maison, on perturbe donc le fonctionnement familial.  On crée un climat infantilisant voire culpabilisant pour les parents.  Ils peuvent bien vite se sentir incompétents ou impuissants alors qu’en réalité, cette tâche n’est pas la leur. Ils sont victimes d’une forme d’ « impérialisme scolaire » car les enfants et leurs parents vont devoir montrer à l’école de quoi ils sont capables.  Ce n’est donc plus un moyen de communiquer sur ce qui se vit à l’école.  « Il faut que l’enfant montre à la maison ce qu’il a fait en classe et pas qu’il montre en classe ce qu’il a fait à la maison ».2

Du côté des théoriciens de l’éducation, certains ne jettent pas le bébé avec l’eau de bain. Ils redonnent de la nuance au débat en sortant de cette question « pour ou contre ? ». Tel Philippe Meirieu pour qui « Il est indispensable que les élèves aient un travail personnel à accomplir.  Il doit être progressivement de plus en plus complexe, pour passer de la restitution au travail d’élaboration. Le travail individuel est un objet de formation tellement important qu’il ne faut pas l’abandonner à des gens qui ne sont pas des professionnels de l’apprentissage ni le laisser à la diversité des situations familiales individuelles et des soutiens payants que les parents peuvent ou non fournir à leur enfant ».3

Enjeu social pour les OJ

Là est peut-être la question. Les devoirs à la maison ne créent pas de l’inégalité mais ils… l’amplifient car ceux-ci nécessitent de la débrouillardise de la part des enfants et des familles et non pas de l’autonomie. Là est le danger. Ce n’est donc pas le fait de donner des devoirs qui renforcent les inégalités mais, pour l’élève, le fait de devoir les faire en dehors du cadre scolaire et, pour l’école, de ne pas prendre le temps de réfléchir à la plus-value du devoir en termes d’objectifs pédagogiques.

Du fait de son enjeu social, la question des devoirs est un sujet sensible pour le secteur jeunesse qui a – dans le cadre de ses pratiques d’éducation permanente – l’émancipation sociale des jeunes comme objectif. Or, l’organisation actuelle des devoirs, tels qu’ils sont proposés, a tendance à mettre en péril cette aspiration. Le monde associatif l’a bien compris avec notamment avec des ASBL comme les CEMéA – Centres d’Entrainement Méthodes d’éducation Active – engagés dans des pratiques d’éducation qui défend le respect du rythme de l’enfant, partisans de l’intégration des devoirs (intelligents) dans le temps scolaire. Ou encore, la naissance des EDD, des Ecoles des Devoirs, concept né dans les années ’70 ! En 2017-2018, la Fédération Francophone des Ecoles de Devoirs (FFEDD) a d’ailleurs mobilisé un groupe de travail pour réfléchir à la question des devoirs. Avec un constat : les devoirs, notamment au sein des EDD, prennent bien souvent énormément de temps malgré le cadre légal, au détriment de projets, de partager d’autres expériences, de vivre ensemble, de pratiquer des activités culturelles, artistiques, citoyennes, sportives, d’avoir du temps libre. 

Aujourd’hui, peut-être, le Pacte pour un Enseignement d’Excellence pourrait être une opportunité pour ménager aux enfants du temps libre, du temps pour apprendre autrement et du temps à partager en famille comme nous le rappelle l’Art. 31 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE) dont, le 20 novembre prochain, on commémorera les 30 ans. Espérons donc qu’à l’aube de 2020, les politiques mettent enfin tout en œuvre pour qu’il y ait une vie après l’école… 

Virginie Pierre , détachée pédagogique à la COJ

Dossier : Les devoirs en question – COJ#22.

 

————————————————

1. Danielle Mouraux, Quand l’enfant devient élève – entre rondes familles et école carrée, De Boeck, 2017.

2. cesoirpasdedevoirs.blogspot.com

3. Entretien de Philippe Meirieu (philosophe et professeur en sciences de l’éducation) par Isabelle Willot sur les rôles des devoirs et celui des parents dans le développement de l’autonomie des enfants.  Le Soir, 11 mars 2000.