Les "Fakes News" véhiculées dans l'espace public ne sont pas diffusées ou partagées pour les mêmes raisons. La fiabilité n'est pas toujours l'objectif premier dans la circulation de l'information. Tour d'horizon des motivations.
Ecrire un article intentionnellement faux (désinformation) est en effet très différent de faire une erreur (de bonne foi). De même, en tant que public de différents médias, nous n’avons pas toujours les compétences pour vérifier toutes les infos, et donc il peut nous arriver de relayer des contenus erronés.
Il arrive que les médias commettent des erreurs ou des approximations dans le traitement d’une information. Sur cette base, les journalistes sont parfois accusés de rédiger des fake news au même titre que des acteurs qui désinforment sciemment leur audience, comme des sites de propagande, par exemple. Bien sûr, il n’est pas exclu que certains contenus émanant de titres de presse « mainstream » soient délibérément mensongers, mais il est important de distinguer les négligences de la volonté consciente de manipuler.
Un critère important dans la circulation de l’info est le plaisir, le divertissement ou encore les émotions qu’elle suscite. Cela explique les nombreux partages des slogans Facebook qui disent que les gens qui ont un prénom commençant par « J » sont scientifiquement plus beaux que les autres, ou encore que l’intelligence des femmes est statistiquement corrélée au fait d’aimer les mojitos. Çà ne mange pas de pain. C’est vraisemblablement faux. Mais c’est marrant, ça divertit ou ça fait réagir. La fiabilité du contenu est secondaire.
Parfois, des contenus faux sont partagés « sait-on jamais », parce qu’il se pourrait qu’ils aient un impact sur notre quotidien. Autrement dit, on imagine qu’ils peuvent avoir une utilité pratique. Ainsi en est-il des rumeurs de camionnettes blanches qui rôdent près des écoles, des appels à la prudence envers ces véhicules immatriculés à l’étranger stationnés dans le quartier ou encore du conseil de se mettre de l’ail dans le vagin contre les mycoses… L’émotion de peur joue également un grand rôle dans la circulation de ces contenus. Souvent, il s’agit de choses que nous n’avons pas les moyens de vérifier par nous-mêmes, comme dans le domaine (pseudo)médical notamment, face à des sujets qui suscitent la méfiance : « et si c’était vrai ? Mieux vaut prendre des dispositions ! »
Dans le cas de la désinformation, il y a bien sûr la présence d’intérêts économiques, idéologiques et politiques. Ainsi, certains sites font un commerce d’informations volontairement fausses (et sensationnalistes, cf. critère précédent), parce qu’ils savent que celles-ci leur rapporteront du clic, et donc de l’argent.
D’autres véhiculent des contenus, peu importe leur véracité, tant que ceux-ci vont dans le sens de leur idéologie. C’est le cas par exemple de sites dits de « réinformation » qui relaient tous les articles qui dépeignent l’immigration comme un danger. Peu importe que ces articles soient vrais ou faux : la véracité est secondaire. Il n’y a pas de preuve d’un acte de violence commis par un migrant ? Peu importe : ça aurait pu exister. Cela correspond à la vision du monde des personnes qui partagent ça.
Le fait que l’on partage une actu est un acte fortement connoté en termes de socialisation et de positionnement social.
Pourquoi les articles qui parlent d’éducation font-ils souvent débat ? Parce que nous avons toutes et tous un mot à dire à leur sujet. C’est un sujet vendeur : tout le monde peut intervenir dans la conversation. Typiquement, les rumeurs, par essence on ne sait pas si elles sont vraies ou fausses : « il parait qu’un couple de stars est en train de se séparer ». La presse people fonctionne souvent sur ce mode.
De plus, lorsque des personnes critiquent une certaine presse en se déclarant « pas dupes » (« On ne me la fait pas, à moi ! »), souvent, ils témoignent davantage d’un positionnement social (« anti-système », rôle dans le système…) que de compétences poussées en vérification de l’information. Il arrive donc que certains de ces individus partagent des contenus encore plus fallacieux, émanant de sources se revendiquant contestataires.
En conclusion, ces éléments montrent qu’au-delà de la question de la fiabilité des contenus en tant que tels, il est intéressant d’interroger notre rapport social et affectif à ces contenus : pourquoi y adhérons-nous ? Pourquoi les partageons-nous ? Quelles sont les préoccupations derrière les messages relayés ?
Il apparaît que pour se prémunir des « fake news », c’est important de comprendre aussi toute les dimensions émotionnelles et relationnelles derrière la propagation d’une information…
Julien Lecomte, chroniqueur médias