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Le volontourisme ou la marchandisation du volontariat

  1 Juil , 2019   ,    COJ

Dernièrement,l'organisation de jeunesse SCI-Projets internationaux, membre de la COJ, donnait une conférence interpellant sur le volontourisme , contraction entre "volontariat" et "tourisme". L'occasion de creuser le sujet avec eux.

Le volontariat est devenu un business, dites-vous…

Aujourd’hui, pour beaucoup de personnes, le volontariat est une forme de tourisme. C’est d’ailleurs ce qu’on enseigne dans les Hautes écoles en section tourisme. Pour son séminaire sur le tourisme durable, un professeur avait invité le SCI à parler du volontariat et du volontourisme !

Qu’est-ce qui a fait du volontariat un dérivé du tourisme ?

Le développement du volontariat comme un business est apparu dès le début des années ’90, une époque charnière. C’est la fin du communisme et l’apparition du néolibéralisme capitaliste comme modèle économique qui prétend assurer la croissance et le développement partout dans le monde. En 1995, l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) voit le jour et promeut la libéralisation des services.

En parallèle, au début des années ‘90 apparait un discours qui met en avant la richesse de la rencontre interculturelle. En Europe, c’est le développement des programmes d’échanges internationaux. On assiste aussi au développement des moyens de communication. Les trajets en avion sont devenus de plus en plus abordables. Et enfin, Internet a encouragé les connexions avec l’étranger. Alors que le tourisme de masse existe déjà, de nombreux jeunes rêvent de nouvelles aventures, de sortir des sentiers battus et de se construire une identité propre par le vécu d’une expérience unique.

Tous ces ingrédients ont permis l’émergence d’agences qui vendent des vacances insolites, qui récupèrent les nouveaux idéaux (interculturalité, liberté, authenticité, sens de la vie) et organisent des produits pour y répondre,  avec les félicitations de l’OMC et du FMI (Fonds Monétaire International) qui voient dans le développement du tourisme une des recettes miracles de la lutte contre la pauvreté.

Le volontourisme joint l’utile à l’agréable. Qu’est-ce qui dérange ?

C’est une corruption, une perversion du volontariat. Ce qui est central dans le volontariat, c’est d’une part la gratuité et d’autre part le désir de construire une société plus juste, plus solidaire, plus équitable. Le volontourisme, c’est d’abord un business. Il suffit de voir à quel prix se vendent les projets. Cela peut facilement atteindre plus de 2000 euros là où le volontariat propose des projets internationaux à 200 euros de participation. Comment peut-on à la fois promouvoir le volontariat et le vendre à prix d’or ?  Les agences de volontourisme vont surmonter ce paradoxe en vendant des expériences, en donnant une valeur marchande aux idéaux et désirs des jeunes occidentaux en quête de sens, en vendant des « parenthèses utiles ».

 

« Formule », « package » – les mots directement pris du langage des agences du voyage « all in » se retrouvent ici pour présenter la possibilité de partir en volontariat. Le volontariat devient alors un produit, le volontaire, un client.

 

Les projets sont des produits ? 

Comme dans l’offre touristique : des « packages » autour de la notion de plaisir de celle ou celui qui réalise le projet. C’est profondément individualiste. La notion de relation est secondaire. Les images qui accompagnent ces offres sont souvent des photos de qualité professionnelle qui présentent davantage le côté magnifié des choses – qui peut tromper sur la réalité de projet: une traversée de nomades à dos de dromadaire pour les « projets sociaux au Maroc » ou une personne sous l’eau avec des coraux ou avec dauphins pour les projets de « protection de la vie marine ». Ceci peut aussi avoir un impact sur les attentes des volontaires qui arrivent en voulant vivre une expérience forte, voir des choses incroyables, avoir un réel impact positif sur le lieu de leur projet. Le travail et sa difficulté, surtout sans expérience, peuvent être vite oubliés et générer des frustrations… Alors que le volontariat est l’occasion de montrer que des relations basées sur l’échange, la gratuité, la solidarité peuvent constituer un modèle, elles sont ici réduites à des expériences, c’est-à-dire à la fois des produits (des services) et des parenthèses qui ne permettent que de mieux supporter la société de compétition et son mode de vie capitaliste (pour reprendre les mots de l’économiste Christian Arnsperger). Pour les agences volontouristiques, le modèle reste le modèle capitaliste. Enfin, ce qui dérange, c’est la compréhension de la notion d’utilité.

C’est-à-dire ?

Les ONG ont fait un remarquable travail de déconstruction des mécanismes liés à l’aide et à l’utilité. Ce travail est inclus aujourd’hui dans les formations données aux jeunes candidat.e.s au voyage. Il met en lumière des mécanismes cachés derrière les bonnes intentions, il montre la face aveugle de nos relations et comportements, un ensemble d’éléments liés à notre histoire personnelle et à notre histoire collective. Cela inclut la colonisation, les ingérences et les guerres, le développement de l’économie, du tourisme, etc.

Et du côté des asbl ?

Les asbl qui mettent sur pied des projets de volontariat insistent sur le fait qu’une rencontre interculturelle, c’est de la convivialité, mais c’est aussi des conflits, des chocs, des incompréhensions. C’est une richesse mais cela comporte aussi des difficultés. On taxe parfois les associations de vivre dans un monde de bisounours : c’est faux, leur discours est beaucoup plus critique que celui des agences commerciales.

Qu’entraine avec elle la marchandisation du volontariat ?

Le problème de la marchandisation du volontariat est donc de dénaturer le volontariat, d’en faire un produit commercial. Quand vous regardez les catalogues des grandes agences de volontourisme, on dirait qu’elles ont repris le concept du « Bongo ». Or le volontariat, ce n’est pas une attraction touristique. Et les gens non plus d’ailleurs. Vous imagineriez vous, qu’un Japonais, un Russe ou un Saoudien paie 2500 dollars à une agence privée pour donner un coup de main à la Ferme du Hayon ou animer un camp de vacances à Ougrée ? Pas nous. Le volontariat, pour la plupart des associations, c’est une manière de faire de l’éducation à la citoyenneté mondiale, c’est-à-dire apprendre à penser localement et globalement et à agir ensemble  sur des enjeux globaux. Et cette éducation, si on la privatise, si on laisse des agences commerciales s’en occuper, elle risque de passer complètement à côté de ses objectifs.

Quels sont les dérives du volontourisme dans les pays accueillant ces volontaires ?

Au Cambodge, le développement du volontourisme a encouragé la création d’orphelinats qui ont accueilli des enfants qui avaient encore de la famille. Pour ces enfants, grandir dans leur famille est la meilleure solution, mais les parents, par manque de confiance en eux, par idéalisation des volontaires occidentaux ou pour d’autres raisons, ont préféré les confier à des institutions. Suite à une campagne menée par plusieurs ONG, une grande partie des orphelinats ont été fermés et les enfants sont rentrés chez eux. Au Togo, il y a quelques temps, un étudiant européen a réalisé un acte médical qui a été fatal pour le patient. Depuis les hôpitaux publics sont interdits aux volontaires. Certains hôpitaux privés continuent d’en accueillir. Au Sri Lanka, la présence de plus en plus nombreuse de jeunes Occidentaux pour donner des cours (en anglais par exemple) n’encourage pas le gouvernement à investir dans l’éducation. Ces dérives parmi d’autres freinent le développement des pays et l’autonomie des populations.

 

Le compte Instagram de Barbie Savior (@barbisavior) distille des photos drôles et piquantes pour sensibiliser aux clichés du genre.  Commentaire des interviewés :
« Tu es sauvé » dit Barbie, symbolisant la posture des Occidentaux à l’égard de ceux qu’ils considèrent « moins développés ». « L’Afrique est pauvre, il faut la sauver ». Bien que souvent motivée par l’altruisme, cette idée est imprégnée de paternalisme et de mentalité coloniale. Elle ne remet pas en question le rapport de force inégal, mais le renforce. » (c)Barbie Savior

La critique du volontourisme cible les organisateurs, pas spécialement les volontaires (jeunes et adultes) ?

Les personnes qui achètent un projet d’immersion à une agence commerciale ne sont pas nécessairement différentes de celles qui s’engagent avec une association sans but lucratif.  Mais, en proposant des projets assez chers, les agences rendent le volontariat élitiste. En fait, seules les personnes d’un certain niveau socio-économique peuvent se payer ce type d’aventure. Les agences mènent des campagnes de pub beaucoup plus importantes, elles achètent les meilleures places dans les salons, elles financent un bon placement sur les moteurs de recherche et elles boostent leurs annonces sur les réseaux sociaux. Ensuite, elles ont un relativement bon « crédit de confiance » auprès des publics : de nombreuses personnes pensent que si elles paient plus cher, elles seront mieux encadrées et plus satisfaites. Les associations ont l’image de structures moins professionnelles ; or c’est une erreur car pour être subsidiées les associations doivent défendre des programmes très rigoureux et bien ficelés, ce qui comprend une politique de partenariat importante.

L’une des conséquences est qu’on a d’un côté des internationaux très privilégiés face à des habitants fragiles et dépendants. Ce ne sont pas les bonnes conditions pour faire émerger une autre société mais plutôt pour organiser la visite de la pauvreté par une élite internationale idéaliste qui n’a pas toujours conscience des mécanismes qui pérennisent ses privilèges. Les jeunes sont souvent portés par de beaux idéaux, la question est « qu’est-ce qu’on en fait ? Quel chemin prend-on pour aller du désir d’aider au changement sociétal ? ».

Une question qui rejoint celle de l’éducation et de la coopération au développement.

L’éducation au développement est un travail qui a suivi les programmes d’aide au développement. Ce travail a d’abord porté un regard critique sur ces programmes, puis il s’est intéressé aux causes des inégalités et notamment aux mécanismes qui les perpétuent. Il s’est ensuite penché sur l’interdépendance entre les questions de développement ici et ailleurs (les enjeux mondiaux). Enfin, aujourd’hui l’éducation au développement est accompagnée d’une recherche d’alternatives au modèle dominant.

Le volontariat international, quand il s’inscrit dans cette réflexion à la fois critique (sur le développement et les inégalités) et constructive (orientée vers les alternatives), a du sens car il peut réellement être vecteur d’un changement. Le volontourisme, quand il propose des voyages ou des missions humanitaires, il ferme les yeux sur un demi-siècle de recherches, de remises en question et de réflexions sur les causes à combattre et sur les espaces de rencontre à créer. C’est du gâchis.

Le volontourisme utiliserait quatre postures des Occidentaux : le sauveur, le manipulateur, le voyeur, le romantique. C’est-à-dire ?

C’est une typologie que nous avons construite à partir des interviews de jeunes volontaires et de lectures sur le volontourisme. Ces quatre postures sont des pièges. C’est un peu comme l’ombre de 4 idéaux. L’envie d’aider, celle d’aller voir la pauvreté loin de chez nous, celle d’acquérir de l’expérience
« professionnelle pour CV », et la croyance que ce qu’on vit dans un petit village en Afrique de l’Ouest ou en Asie du Sud est plus authentique qu’ici. Les organismes de volontourisme n’ont rien à gagner à déconstruire le stéréotype des « pauvres du Sud » parce qu’elles se nourrissent de cette envie de sauver les autres, envie présente chez les candidats aux « voyages humanitaires » – quand on veut aider et qu’un impact réel nous est promis, on est prêt à payer le prix. Toutefois, il ne faut pas oublier que l’intention est quand même bonne : donner de son temps, se développer, s’ouvrir à d’autres réalités, donner plus de profondeur à sa vie. Toute qualité contient deux dimensions : l’une est lumineuse, l’autre est tapie dans l’ombre.

Avec quels risques ?

Nous faire passer à côté de l’essentiel, qui est ici « une relation de qualité », créatrice de sens et de plus d’égalité. Passer à côté de cela, c’est reproduire un mécanisme de domination:  la domination de celui qui donne sur celui qui reçoit, de celui qui développe des compétences sur celui qui en offre juste le terrain, de celui qui peut à tout moment quitter l’injustice qu’il voit sur celui qui la vit au quotidien, de celui qui peut rêver (et choisir le sens de sa vie) sur celui qui est sans cesse rattrapé par une dure réalité.

On peut retrouver ces 4 postures dans le volontariat international classique et associatif…

Tout à fait. Cependant, plusieurs associations en sont conscientes, en tiennent compte dans leur communication et en parlent dans leurs formations, alors que d’autres tombent à pieds joints dans ces pièges, surtout celles qui voient le volontariat comme un grand marché avec des parts à gagner. Les agences volontouristiques usent et abusent de ces postures.

Pour dénoncer le volontourisme, des contre-offensives existent. Un exemple ? 

Radi-Aid. C’est une campagne annuelle créée par les étudiants norvégiens et Academics’ International Assistance Fund (SAIH) pour changer les perceptions sur les problématiques de la pauvreté et du développement, briser les stéréotypes et changer la manière de communiquer des organismes de récolte de fonds. Dans la vidéo « Radi-aid, l’Afrique pour la Norvège » ils utilisent pour ça un concept simple et génial : retourner les rôles. On découvre les Africains qui – choqués par les conditions de vie des Norvégiens dans le froid extrême – décident de faire une collecte de radiateurs à leur envoyer. Cette campagne permet très vite de se rendre compte de l’absurdité d’une telle forme d’aide – basée plus sur un ressenti d’aidants et pas sur une réelle demande de la part des personnes concernées.

Propos recueillis par Nurten Aka auprès de Sabina Jaworek, Marie Marlaire et Emmanuel Toussaint.

Le SCI-Belgique a sorti une brochure de sensibilisation sur le volontourisme, à télécharger sur leur site : www.scibelgium.be