Politique,Rencontre & Réflexion
Suite à la démission en avril dernier de Joëlle Milquet, ministre de la Culture et de l’Enfance, Alda Greoli (CDh) a débarqué à ce poste en affichant « haut et fort » ses compétences ministérielles en éducation permanente. Un impromptu qui pousse le COJ à rencontrer cette inconnue du grand public, connue du secteur non-marchand.
Elle a occupé les postes de Secrétaire nationale du CDh pour le secteur non-marchand, de Secrétaire nationale de la Mutualité chrétienne, de présidente de la plate-forme du volontariat ou encore, membre de l’UNIPSO et de l’UNISOC… Aujourd’hui, Alda Greoli est vice-présidente du gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles ainsi que ministre de la Culture et de l’Enfance. Son dada : la charte associative et la culture pour tous. Autre objectif : l’évaluation du Décret éducation permanente. Interview…
L’éducation permanente faisait partie des compétences mais pas du titre de ma prédécesseure. On n’a pas changé les arrêtés mais j’ai la liberté d’afficher les compétences que je souhaite mettre en évidence. Que ce soit en Enfance ou Culture, l’Education permanente est une manière d’aborder les questions politiques. Elle met en évidence l’intelligence de mon interlocuteur qu’est le citoyen. C’est à la fois un processus, une méthode de travail avec un groupe, une méthode d’être comme citoyen mais aussi une politique définie comme telle avec un budget, des décrets spécifiques, etc. Je voulais mettre cela en évidence car je suis convaincue que la réussite politique repose sur la liberté d’entreprendre au sens social du terme c’est-à-dire celle des associations et des gens qui s’engagent. Qu’il y a, par ailleurs, un véritable enjeu en Communauté française à pérenniser le secteur, son financement et d’évaluer le décret. Aujourd’hui, il y a 280 associations reconnues en éducation permanente pour un budget de près de 50 millions.
En éducation permanente, il me manque 1.500.000 euros pour mettre à jour les reconnaissances et donner à chacun ce qu’il pourrait avoir au niveau de sa reconnaissance. Je me battrai là-dessus dans les négociations budgétaires à venir. En attendant, il faut ramener les exigences d’évaluation à des niveaux en adéquation à ce que l’on peut donner.
J’ai établi un gel pour mettre sereinement en place l’évaluation du décret. Et mes budgets actuels ne me permettent pas d’aller plus loin. A l’automne, je viendrai avec une note sur la méthode d’évaluation du décret. Il me paraît important de voir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas dans ce décret. De comment on peut simplifier la vie administrative des acteurs qui passent beaucoup de temps à remplir/ justifier des dossiers au détriment du temps de l’action sur le terrain.
Par ailleurs, si l’éducation permanente, avec ses différents axes, permet de faire de la recherche, des études, des campagnes, il y a un axe qui me paraît primordial : comment cela participe à l’émancipation de la population ? Le processus est aussi important que le résultat. Il faudra évaluer cette articulation. L’autre balise à mettre en place est de réfléchir aux enjeux de complémentarité avec d’autres politiques menées, par exemple, avec les politiques sociales, l’égalité hommes/femmes, les politiques de lutte contre les discriminations, contre le racisme, etc. Comment peut-on assurer cette transversalité, complémentarité, du décret de l’éducation permanente par rapport aux autres politiques ? Il s’agit d’évaluer le décret (et non d’évaluer le secteur !) avec trois acteurs essentiels : le terrain (le secteur), l’administration, et le politique.
La charte associative m’a fait basculer, en 1995, de mon investissement sur le terrain associatif à mon entrée en politique, dans les structures nationales du parti humaniste (PSC, Parti Social-Chrétien, à l’époque – NDR). Un des grands principes est de garantir la liberté d’association, la capacité des acteurs de la société civile de s’organiser en associations pour s’occuper de fonctions et services de savoir-être ensemble. Le politique doit en donner le cadre. Aujourd’hui, nous avons une divergence de vue fondamentale avec certains qui refusent que la charte associative inclue l’ensemble du secteur associatif, y compris l’Enseignement.
Je ne peux pas concevoir un cadre juridique qui exclurait l’Enseignement ! Aujourd’hui, nous avons une société sortie des piliers (libéral, socialiste, social-chrétien). On ne choisit plus une association de services suivant un pilier mais par rapport à un besoin, à des convictions sociales loin de la pilarisation traditionnelle entre Laïcs et Chrétiens. Avant, la régulation politique se faisait au travers de cette balance, en gros, chrétiens/socialistes. Aujourd’hui, la population ne la fait plus. Or, sur le terrain, il existe encore des tas de services en mutuelles, dans les hôpitaux, dans les maisons de repos, dans l’enseignement… qui sont issus de cette régulation du passé. Comme le citoyen se positionne désormais comme un consommateur de ces services plutôt que comme un adhérent, un des risques est que le marché l’emporte sur cette ancienne régulation. D’où l’importance de la charte associative pour une meilleur gouvernance qui éviterait d’installer une marchandisation dans l’associatif et le secteur non-marchand. La Charte associative installe d’autres règles de régulation que les piliers. Elle reconnait le rôle pérenne des associations, avec une égalité de traitement pour tous (écoles communales, de provinces ou catholique, hôpitaux laïques ou chrétiens). Des services non-marchands indispensables à la population. D’où l’enjeu de l’enseignement à l’intérieur de la charte associative. Depuis 1995, on n’est pas parvenu à un accord là-dessus.
La charte associative est une compétence du ministre-président (Rudy Demotte, PS – NDR). Il sait qu’il peut compter sur moi pour faire avancer ce dossier. En attendant un décret-cadre, j’applique la charte associative dans les politiques que je mène. Dès que je sors un décret, ses principes y sont intégrés : égalité de traitement, objectivité de la distribution des subsides, capacité de recours, respect de la concertation sociale… Cela n’existe pas dans l’ensemble des politiques. Si je prends l’égalité de traitement en Santé ou en Enseignement, il y a encore moyen de progresser, entre les acteurs associatifs et publics.
Je veux renforcer deux volets importants à la démocratisation culturelle. Le premier : faire prendre conscience à la population qu’elle a droit à la Culture. Il y a principalement une barrière socioéconomique mais pas que ! C’est d’abord un rapport à soi-même, un droit que l’on s’octroie. Dans ce cadre-là, c’est évidemment le soutien aux initiatives associatives comme l’Article 27, les médiateurs culturels, ou toutes les associations de quartier, les bibliothèques de rue, etc. Ce sont des expositions qui ne se font pas dans des lieux où il faut déjà se reconnaître le droit pour oser les franchir. L’autre volet est de soutenir la diversité culturelle qui renforce la démocratie. Par ailleurs, la question art et culture doit être inscrite dans le parcours d’ouverture des enfants, à l’école mais aussi en dehors. Il y a une incroyable liberté créatrice dans les écoles de devoirs, les académies, etc. Je suis convaincue que quand on a la démocratie associative et qu’on s’approprie un rapport à l’art, on a deux fondamentaux pour pérenniser la démocratie politique.
La culture à l’école est essentielle. Avec Marie-Martine Schyns, Ministre de l’Enseignement, on a augmenté de moitié le budget qui permet d’associer dans les écoles, des projets culturels et artistiques, d’inviter des artistes en résidence. On travaille dans le cadre – et à l’intersection – du Pacte d’excellence et Bouger les lignes. La place de la Culture, à la fois dans sa rencontre avec l’art (la culture n’est pas que l’art) et par ailleurs, dans l’expression artistique. Il ne s’agit pas d’impulser des consommateurs d’art mais aussi des citoyens qui osent leur créativité.
Propos recueillis par Nurten Aka