Le gouvernement fédéral tente de faire adopter un projet de loi controversé autorisant des "visites domiciliaires" dans le cadre de l'exécution de mesures administratives d'éloignement des étrangers. En quoi ces visites domiciliaires, qui ne sont rien d'autre que des perquisitions, contreviennent-elles à nos libertés fondamentales?
Actuellement débattue au sein du parlement, ce projet de loi est porté par Théo Francken. Il s’inscrit dans un arsenal de mesures qui stigmatisent les migrants et les sans-papiers ainsi que les citoyens et les associations qui les soutiennent : réforme de l’aide médicale urgente, volonté d’enfermement des enfants dans les centres fermés, quota d’arrestations de migrants au parc Maximilien, affaire Globe Aroma…
Nouvelle étape dans cette politique ferme et violente : qu’il soit donné la possibilité aux policiers de pénétrer au sein du domicile d’une personne visée par un ordre de quitter le territoire ou au sein du domicile de la personne qui l’héberge. Il s’agit d’une violation disproportionnée au droit à la protection de la vie privée et à l’inviolabilité du domicile. En effet, l’inexécution d’une décision administrative n’est pas une menace à ce point grave pour qu’elle puisse justifier de telles interventions policières. Et ce d’autant plus que selon les travaux préparatoires, l’utilité de prévoir des visites domiciliaires ne serait actuellement nécessaire que pour un faible pourcentage des décisions administratives d’éloignement inexécutées.
Fait assez rare, ces inquiétudes ont tant été relayées par le milieu associatif que par les avocats, les magistrats et le milieu académique. Pour nombre de ces acteurs, cette disproportion entre l’objectif poursuivi et l’atteinte aux droits constitutionnels est telle qu’aucun amendement ne pourrait être adopté. Le projet de loi devrait être rejeté dans son entièreté. Il est d’ailleurs loin d’être certain que cette nouvelle mesure soit considérée comme étant constitutionnelle.
La Justice instrumentalisée
Au-delà de ce rejet de principe, il convient de constater que pour une perquisition classique, les juges d’instruction instruisant à charge et à décharge disposent d’un pouvoir d’appréciation pour l’autoriser ou la refuser. Dans ce projet de loi, le juge d’instruction est instrumentalisé et relégué à un simple acteur d’entérinement sans réel pouvoir d’appréciation. En effet, la visite domiciliaire sera autorisée dès que les trois conditions suivantes sont remplies : la visite doit constituer une mesure nécessaire à l’exécution de la mesure d’éloignement lorsqu’un ou plusieurs étrangers n’ont pas donné́ suite à une mesure exécutoire de refoulement et qu’ils ne coopèrent pas à son exécution. Ces critères réduisent fortement le rôle de garant du juge d’instruction.
Finalement, ce projet de loi ne prévoit aucune forme de recours ni présence d’avocats.
Il faut veiller en tout temps à la séparation des pouvoirs. En matière du droit des étrangers, le pouvoir exécutif écrit les lois, les exécute et écarte autant que possible le pouvoir judiciaire.
Dimanche 25 février, il y avait plus de 10.000 personnes dans les rues contre cette politique fédérale, plusieurs communes ont officiellement marqué leur désaccord en adoptant des motions à l’encontre de ces visites tandis que le CNCD lance une nouvelle campagne université hospitalière. Les oppositions sont fortes et pourront peut-être permettre le rejet de cette loi. Et si elle est devait malgré tout être votée, pour réduire le risque d’être réveillé par des policiers, il faudra être discret et créatif dans les échanges de noms puisqu’il faudra aux policiers tant l’identité de l’hébergeur que de l’hébergé pour pouvoir solliciter une visite domiciliaire.
Ce projet de loi n’empêchera cependant pas le travail des associations ni l’accueil proposé par les citoyens. En Belgique, la solidarité n’est pas un délit.