« Les Français veulent qu’on les écoute et qu’on les considère.
Cette réconciliation entre la base et le sommet,
c’est le cœur de la tâche qui m’attend pour les prochains mois. »
Emmanuel Macron 1
Réconcilier la base et le sommet… Il était grand temps ! Notre société inclusive ne peut plus tolérer des écarts disproportionnés entre les élites dominantes et le petit peuple qui se prélasse dans les caniveaux. Au moment où les « gilets jaunes » prennent d’assaut la France et les raffineries pétrolières wallonnes, il faut se rendre à l’évidence : y’en a marre.
Nos nouveaux héros fluos, marqueurs d’un malaise bien réel, portent néanmoins des messages flous [serait-ce un hasard si fluo et flou sont des anagrammes ?]. Au-delà des récupérations aux accents nationalistes et racistes nauséabonds, le « combat » qui se mène dénonce la baisse du pouvoir d’achat, le ras-le-bol des taxes, un sentiment puissant d’abandon par le monde politique, le manque de perspectives… Cette détresse est réelle, même si l’objet de la mobilisation est contestable, en comparaison notamment des enjeux climatiques auxquels nous sommes inéluctablement confrontés.
Mais attention de ne pas nous tromper d’ennemi. Souvent, les pauvres et les exploités adoptent massivement le langage de la domination, comme un espoir non déclaré de changer de « camp » un jour ou l’autre. C’est aussi une manière d’accepter sa condition, pourtant injuste. Une méritocratie qui impose l’idée que les gagnants le sont pour de bonnes raisons, et que le sort des perdants leur est imputable.
Dans cette configuration, les enjeux de société se sont progressivement éloignés pour revenir à des ambitions plus proches et plus pragmatiques : le plein de la bagnole, les grosses commissions à la fin du mois, la console de jeu ou l’activité extrascolaire des enfants… Retrouver du pouvoir d’achat2 à défaut d’avoir du pouvoir sur la destinée du monde.
Une tournure des choses qui transforme le rapport à la réalité et fait résonner autrement des acquis pourtant posés de longue date. Ainsi, le triptyque « Liberté / Fraternité / Égalité » cher à la République d’après 1789 tend à se métamorphoser en « Consommation / Respect / Mérite ».
Consommation parce qu’elle est érigée en condition d’existence (je consomme donc je suis) et que tout est fait pour transformer le citoyen en consommateur (en ce compris des services publics).
Respect dans le sens d’acter une diversité et un pacte relatif de non-agression sans pour autant permettre aux différences de se parler ou de se rencontrer (bref, chacun chez soi fait comme il l’entend).
Mérite dans la veine méritocratique déjà décrite et qui promeut l’égalité des chances et non l’égalité des droits. Ce qui fait dire que pour le lièvre comme la tortue, la ligne de départ est au même endroit3.
Ce dévoiement des enjeux du devenir de notre société contemporaine entraine que le fond n’est plus suffisamment interrogé (quel sens pour l’école aujourd’hui avant de définir quelle organisation avec l’appui de Mc Kinsey), que la forme et la gouvernance priment (transparence et efficacité comme leitmotivs), que le rapport au politique se transforme en une mesure des satisfactions immédiates (moins de taxes d’accord, mais qu’en est-il des services à la population ?).
Il y a 100 ans, le pouvoir s’était arrangé pour que les soldats partent fièrement au combat. On les appellera plus tard de la chair à canon. Un siècle plus tard, le bon peuple ne constituerait-il pas une forme de barbaque à consommation ?
Père Spective