En Campagne Pas Sans Nous,En direct des OJ
La COJ a Invité des jeunes au parlement wallon à rencontrer des experts et des politiciens autour des enjeux qu'ils avaient eux-m^mes définis. Des débats qui bousculent.
Le marathon était joyeux. Le 10 mai, entre deux visites du Parlement wallon, près d’une centaine de jeunes se sont dispersés dans les ateliers thématiques de leur choix où les attendaient des experts et des politiciens1… Cette folle journée au sein d’une institution-phare politique clôt le projet de la COJ intitulé En campagne ? Pas sans nous ! Des jeunes s’adressent aux politiques, en écho aux élections politiques 2019 (régionales, fédérales, européennes).
Le projet a démarré en 2018 par des animations pédagogiques en classe sur la politique et ses institutions. Il a été suivi d’un Forum Ouvert (lire COJ#19) où les jeunes ont défini leurs propres préoccupations : les inégalités à l’école, l’agriculture, l’emploi, le climat, la religion, la place de la femme, le revenu universel, le cannabis (voir encart). Aujourd’hui, c’était donc la grande rencontre qui permettait aux jeunes de confronter leurs idées, de débattre de leurs sujets avec des politiciens et des experts.
Questions et préoccupations des jeunes :
L’école est-elle vraiment gratuite ? Le manque d’argent détermine notre avenir scolaire. L’école reproduit-elle les inégalités sociales et culturelles ? | Quelles mesures prendre pour préparer et soutenir les jeunes qui entrent dans le monde du travail ? | A quand le passage de la Belgique vers l’énergie durable à 100% ? Qu’est-ce que les politiciens comptent mettre en œuvre contre le réchauffement climatique ? | Comment assurer un revenu décent aux agriculteurs tout en préservant la planète ? | Comment aborder la question des signes religieux à l’école et au travail ? | La place des femmes dans la société. Comment changer les mentalités ? | Le revenu universel : projet utopique ou réalité de demain ? | Doit-on légaliser le cannabis ?
Et « ça le fait » ! Voir ces jeunes prendre place dans l’hémicycle du Parlement wallon. D’entendre leurs débats vifs, d’assister à quelques bousculades d’idées, de pensées, de propos. Exemple : l’atelier sur le revenu universel a entrainé des débats sur le travail, la société, la solidarité, le chômage, les riches et les pauvres. Celui sur les femmes a vite posé la question de l’image de la femme dans la pub, les mannequins et la prostitution. Des débats vastes, sans fard avec parfois les mêmes clichés que l’on entend dans le reste de la société sur les « chômeurs fainéants », sur l‘image utilisée de la femme « qui le veut bien ». D’autres propos frappent aussi comme un jeune garçon rappelant à ses copains la solidarité salariale, la sécurité sociale, etc. Autres débats : celui sur l’emploi a été mobilisé par les questions d’orientation soulevées par les jeunes, l’atelier « signes religieux » s’est focalisé sur le port du voile, celui sur l’agriculture a posé le débat sur l’environnement durable et les enjeux du métier, le débat sur le cannabis était plutôt un question-réponse.
« Certains débats étaient controversés mais c’est le jeu : les jeunes ont la parole, avec leurs pensées toujours en cours de construction, rappelle Yamina Ghoul, Secrétaire générale de la COJ. J’ai plutôt été impressionnée par la qualité des débats. Ces jeunes avaient une certaine maitrise des sujets et de l’argumentation. D’aucuns ont regretté que toutes les couleurs politiques ne soient pas représentées. Ce n’était pas l’objectif direct même si, du MR au PTB, des invitations avaient été lancées. à la veille des élections, les agendas étaient apparemment fort chargés. L’important pour la COJ – au-delà de ses membres – est de mener ce genre de projet en lien direct avec les jeunes et les écoles. ».
Nurten AKA
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1. Antoine Boucher (Infor-Drogues), Patrick Charlier (UNIA), Pierre-Yves Dermagne (député), Jean-Frédéric Eerdekens (conseiller provincial), Nicolas Goffinet (agriculteur-maraîcher, FUGEA), Gwenaëlle Grovonius (députée), Laura Jacques (CEMEA), Joëlle Janssens (Forem), Christine Mahy (RWLP), Charlie Le Paige (PTB), Sarah Schlitz (députée), Caroline Tirmarche (Ligue des Familles), Esmeralda Wirtz (Jeune déléguée « Climat » auprès de l’ONU), Olga Zrihen (députée).
2. Les écoles participantes : l’école Provinciale d’Agronomie et des Sciences de Ciney, La Fraternité à Laeken, l’Athénée royal d’Andenne (absente à partir du Forum Ouvert), l’Athénée royal Bouillon-Paliseul et le Collège Saint Remacle de Stavelot. Pour des questions de disponibilité, la Fraternité n’a pas pu participer à la journée du 10 mai.
« J’ai participé aux débats sur le revenu universel parce que je voulais voir les alternatives par rapport au système actuel et sur les femmes et la société parce que c’est un sujet qui me tient à cœur. Je pensais qu’on aurait moins la parole mais pas du tout ! Beaucoup de jeunes ont pris la parole, c’était bien de dialoguer entre nous. C’était intéressant d’avoir l’avis des garçons dans l’atelier femmes et société. J’avais peur qu’il n’y ait que des filles. Discuter comme ça sur plusieurs sujets avec différentes écoles qui n’ont pas spécialement les mêmes idéologies, c’est enrichissant. Et aussi intéressant de discuter avec les politiciens même si on a senti qu’ils étaient de gauche. Sur le revenu universel, même s’il y avait un « pour » et un « contre », j’aurais peut-être voulu entendre quelqu’un de droite ». Eve (étudiante)
« Cette journée a été incroyable ! Quelle chance nous avons eue de réaliser au Parlement wallon l’aboutissement de notre cheminement de réflexions ! Les étudiants nous ont remercié d’avoir participé à ce projet ! Je pense que ce qu’ils en ont retiré n’est pas quantifiable ! En termes d’autonomie, d’esprit critique, de construction de soi et d’apprentissage, ce projet ne pouvait pas faire mieux ! » Anne Macoir (Professeure de philosophie et de citoyenneté)
« Intéressant de voir comment les points de vue se confrontent avec des visons de la société différentes. Ce qui n’est pas surprenant : la jeunesse n’est pas uniforme. On est le produit de son histoire familiale et/ou environnementale au sens large. Des jeunes avaient des positions plus arrêtées, d’autres jeunes y répondaient dans l’autre sens. Ce qui était surprenant, c’est la vision un peu brutale ou caricaturale du chômeur profiteur-glandeur lors de l’atelier sur le revenu universel. Et intéressant d’entendre un jeune déconstruire le discours qu’on entend depuis les années 80, l’école de Chicago, Thatcher, Reggan, avec tout le champ lexical à l’appui : le « handicap salarial », « charges sociales qui pèsent sur les épaules de l’employeurs ». D’entendre un jeune répondre : « non, le vrai salaire, c’est le salaire brut, avec un versement à la source vers les mécanismes de solidarité ». Le revenu universel est un thème fourre-tout qui ouvre la porte à une série de discussions sur la sécurité sociale, la fiscalité, le travail,… en fait, sur la cohésion sociale. Du revenu universel, on a un débat sur la société. » Pierre-Yves Dermagne (député)
« C’était intéressant de partager avec d’autres personnes, de voir d’autres mentalités et points de vue. J’ai choisi l’atelier sur le revenu universel parce que cela me semblait flou. Cela m’a éclairci les idées. Et l’atelier sur les femmes car le sujet m’intéresse parce que je trouve qu’on stigmatise trop la société. Certains débats et intervenants ont pu m’agacer, notamment une députée qui me semblait plus Femen que féministe. Selon elle, les femmes devaient prendre les têtes de listes électorales des partis. Pour moi, l’égalité n’est pas d’appuyer sur la tête d’un autre pour monter soi-même. Sur le revenu universel, on a beaucoup entendu les difficultés de trouver du travail. Pourtant, des places vacantes, il y en a. De plus, j’ai été dérangé d’entendre un politicien dire qu’il était moins dérangé par le fait de voir des gens travailler au noir pour payer une PS4 ou des Nike à son enfant ! [Le politicien utilisait là une comparaison, se disant être plus tolérant à ce cas de figure qu’à celui d’un riche qui fraude le fisc pour se payer une villa en Grèce, NDR]. C’est une vision très européenne qui ne me correspond pas. J’ai l’habitude de travailler dans des pays en difficultés. Je viens de faire du bénévolat au Bénin. Je me rends compte que cette mentalité européenne est absurde. Ici, on est dans le luxe et le confort où les gens refusent un travail parce qu’ils vont avoir mal au dos à la fin de la journée. Au final, j’ai trouvé le projet très enrichissant. Un regret ? Qu’il n’y pas eu la diversité des partis pour les débats. Ceux qui ont du mal à avoir un esprit critique, ils n’auront entendu qu’un son de cloche. » Nicolas (étudiant)
« Quand les débats tournent autour des signes religieux à l’école et au travail, c’est évidemment autour du foulard que l’on parle. Des opinions tranchées, des avis divergents, la confiance s’installe, les questions fusent, l’écoute mutuelle advient et voilà que la nuance prend sa place. Beaucoup d’intelligence collective à peine perturbée par l’intervention d’une enseignante manifestement effrayée par la liberté de pensée et de parole des jeunes. » Patrick Charlier (UNIA)
« Ateliers sur la gratuité de l’école et sur l’agriculture. Le premier parce que cela m’interpellait. On a fait des recherches en classe, on s’est documenté. C’était un sujet où je me posais beaucoup de questions. C’était génial. Par exemple on a abordé les inégalités scolaires à travers le cas du voyage scolaire et l’influence des revenus des parents sur ces voyages mais aussi sur l’achat des fournitures, etc. Grâce à cette journée, je vois que les politiques veulent avoir notre avis. Je pensais qu’ils nous écoutaient sans trop nous entendre. La députée PS par exemple, je voyais qu’elle était active au débat. Elle a vraiment envie que les choses changent. L’atelier sur l’agriculture : parce que mon père, dans son temps libre, s’occupe d’animaux. On a discuté avec un expert, ses expériences, etc. C’était chouette. Ce projet valait totalement le coup ! D’abord pour l’expérience personnelle, cela m’a beaucoup enrichi au niveau intellectuel. C’était cool. Et cette journée parce qu’on était dans le vif du sujet, là où les décisions sont prises, avec des politiciens. Je pensais qu’on aurait eu moins de temps de parole et en fait pas du tout, on a pu débattre avec tout le monde. » Louis (étudiant).
« On entend trop souvent que les « jeunes d’aujourd’hui » ne s’intéressent plus à rien, se foutent de la politique … Une fois de plus, les jeunes ont démontré qu’ils étaient engagés, curieux, qu’ils avaient plein de questions, envie de s’exprimer, qu’ils avaient plein d’idées. Je suis heureuse d’avoir pu entendre ce qu’ils avaient à dire, d’avoir pu les écouter et j’espère avoir contribué à éveiller encore un peu plus leur curiosité et leur envie d’investir le débat public. » Gwenaëlle Grovonius (députée)
« Comme souvent, les rencontres que j’ai avec les jeunes ces derniers mois sont vraiment très matures. Ils entrent dans la complexité des enjeux. On sent qu’il y a vraiment une réflexion derrière où les jeunes se posent des questions, de la globalisation, la question de l’Europe, de la Belgique, la question des actes individuels versus les actes des multinationales et le rôle du politique. On sent qu’il y a des mois de réflexion derrière, qu’ils s’alimentent au niveau du fond. En bémol ? C’était un peu court. Ces jeunes auraient pu parler deux heures de plus. » Sarah Shlitz (députée)
« Les jeunes, sans vouloir généraliser, ont une prise de conscience sur un certain nombre de choses et des idées – avec lesquelles je peux ne pas être d’accord – mais il y a une espèce de puissance d’argumentation, de débat. Ici, on a entendu des réflexions/affirmations classiques de la société sur le chômeur fainéant, etc., des positions conservatrices mais aussi des jeunes aguerris à la question sociale. Ces débats sont intéressants parce qu’ils obligent à la confrontation d’idées, à déconstruire avec des éléments objectifs (l’histoire, l’’évolution de l’emploi, de la sécurité sociale…). Est-ce que ce sont les gens qui se sont éloignés de l’emploi ou l’emploi qui s’est éloigné des gens ? Aujourd’hui, les conditions de vie contraignent à reréfléchir soit dans le sens du collectif soit en continuant dans l‘individualisme. J’ai quand même l’impression qu’il y a du ferment progressiste dans la jeunesse. Lorsque j’interviens dans la militance, là où je vois la tranche d’âge diminuer (donc face à des plus jeunes), ce sont sur les questions de climat, d’alimentation, d’environnement, sur les questions migratoires. Toutefois il faut veiller à ce que cela ne soit pas la jeunesse dorée qui soit à ces endroits là parce qu’elle a la possibilité d’y mettre du temps, de payer des billets de trains pour rejoindre des lieux de convergences de luttes etc. Même à ces endroits où les gens s’investissent, il faut se poser la question des rapports de force. » Christine Mahy (RWLP)
Propos recueillis N.A.