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Politique,Rencontre & Réflexion

Député, Just For One Day

  8 Avr , 2016   ,    COJ

Imaginez une simulation parlementaire dans laquelle vous prendriez la place d’un(e) député(e) en mission pour le peuple. Une fiction qui vous propulse aux premières loges de notre démocratie. C’est l’expérience proposée à de jeunes francophones par l’asbl Parlement jeunesse. Siégeants au sein du véritable parlement Wallonie-Bruxelles, ils débattront durant cinq jours sur quatre décrets imaginaires mais dont les débats seront bien réels. Témoignage « Journées crevantes et débats endiablés » avec un de ces usurpateurs - député en culottes courtes - Elias Denis, 19 ans, de Mons-Borinage.

Des journées crevantes

Le travail à abattre est considérable. En cinq jours, nous devions amender (c’est-à-dire modifier une loi à notre guise) pas moins de 4 décrets, sur l’enseignement, la précarité, la finance et la culture (lire ci-contre). Debout à 7h et peu de sommeil car les Commissions pouvaient parfois durer jusqu’à 3h du matin ! Au parlement Wallonie-Bruxelles, les débats en hémicycle commençaient généralement à 9h et duraient jusqu’à 18h voire plus, entrecoupés de pauses. Le soir, de retour à l’auberge, nous dévorions nos sandwichs pour ensuite encore débattre jusqu’à pas d’heure. De quoi s’écrouler dans son lit jusqu’au prochain round. Il y a bien quelques soirs, quelques virées dans les bars bruxellois (assez chers) de quoi discuter/souffler entre jeunes. Des rencontres improbables pour moi. Entre un catho des Ardennes, branché message de la Bible et un émigré chaldéen, étudiant en droit, tous deux très loin de mon Borinage natal, la rencontre fut fort sympathique, cassant au passage quelques-uns de mes préjugés. Si la journée est crevante, l’expérience est riche.

… Des débats endiablés

L’organisation des débats parlementaires est un peu différente de la réalité. Nous étions divisés en groupe (Germinal, Ventose, Brumaire et Thermidor). Le Parlement Jeunesse (PJ) étant une organisation a-partisane, ces groupes étaient des simulacres de partis. Cela ne nous a pas mis à l’abri des « clash » de pouvoir où la majorité (Germinal et Thermidor) se battait dans des joutes oratoires absurdes mais parfois vachement drôles avec l’opposition ( Ventose et Brumaire). Il y avait quatre commissions (une pour chaque décret) où sont soumis les projets de loi présentés ensuite à l’hémicycle, au débat de l’ensemble des député(e)s. S’en suit un débat « équilibré » entre les votes « pour et contre ». Surprise : tout repose sur le pouvoir de persuasion et l’argumentation développée. On voit déjà des député(e)s émerger de la masse. Certains ont un argumentaire en béton, d’autres ne sont que de brillants orateurs, certains bafouillent et n’ont pas les mots ou la force de convaincre le groupe. Mais l’adrénaline est communicative. à chaque prise de parole, faut l’avouer, la ferveur prend le dessus. C’est que le débat pousse la réflexion humaine à son paroxysme. Il télescope les pensées et les émotions et les gens eux-mêmes. On ne peut pas sortir d’un débat sans avoir été ébranlé par l’une ou l’autre prise de parole de député(e). La différence est omniprésente dans l’hémicycle et à moins de n’être qu’un idiot de nombriliste, on ne peut y être indifférent. C’est « le » point fort de ce Parlement jeunesse : favoriser l’ouverture d’esprit lorsque vous débattez avec des gens sensiblement différents de vous.

Au final ?

Cette aventure aura été très enrichissante pour moi, d’un point de vue des rencontres, des idées, des savoirs et des émotions. On découvre la réalité complexe et ardue de la fabrication des lois. Eprouvante aussi : député(e), c’est du temps plein dans la jungle du pouvoir ! Majorité, opposition, diverses alliances, pas mal de stratégies avec le risque de zapper ses convictions (si on en a encore), le citoyen et la chose publique. Toutefois, si je ne devais retenir qu’une chose de cette simulation, c’est l’importance du vote, l’importance d’avoir des idées et de les défendre, par la parole certes, mais aussi par des actions concrètes.

Elias Denis

4 faux décrets, 1 vraie semaine

Enseignement. Il fallait voter un décret sur l’instauration d’un système d’antenne scolaire. Une pédagogie adaptée pour chaque enfant afin qu’il puisse se développer du mieux possible. Ces antennes scolaires auraient en leur sein des trios (composés d’un enseignant, d’un psychologue et d’un psychopédagogue) qui se chargeraient du suivi individuel des enfants ! Enjeu : réformer l’enseignement secondaire avec pour ambition de réduire la reproduction sociale, un phénomène qu’on observe lorsque devenu adulte, l’enfant exerce la même profession que ses parents. Débat : c’était un ascenseur émotionnel ! A chaque argument, l’hémicycle penchait d’un côté ou de l’autre de la balance. Les « pour » énonçaient la responsabilisation de l’élève, le développement de ses talents, l’éveil de sa citoyenneté etc. Les « contre » nous disaient « l’élève sera un assisté, il aura du mal à s’intégrer dans la vie active si on lui prémâche le travail, où est l’argent pour de pareils mesures » etc. Résultat : le décret a été validé !  Impression : je faisais partie de la commission qui a travaillé sur ce décret. J’étais vraiment « pour » à 200 %. C’est fou à quel point vous trouvez des arguments lorsque quelque chose vous tient à cœur.

Précarité. Il fallait voter un décret sur l’interdiction de la mendicité et du sans-abrisme. Des « maisons d’accueil » auraient été créées, ces centres avec toutes sortes d’infrastructures et de services afin de réinsérer le SDF dans la société. Enjeu : ce décret posait un problème éthique. Il visait à enrayer la mendicité et le sans-abrisme au détriment du droit à la liberté de la personne. Débat : cela n’a pas eu l’air de déranger la majorité de l’hémicycle car le décret est passé. Impression : L’assemblée partait d’une bonne intention mais avec une seule vision des choses, celle du « citoyen bien-pensant et bien intégré » qui se dit que le SDF « pour son bien » doit renoncer à son mode de vie. Pour ma part, c’était un décret assez violent et insidieux. Violent car le changement de vie était assez abrupt pour le mendiant qui se voyait du jour au lendemain « casé » dans un centre de réinsertion. Insidieux car le décret interdisait la récidive de mendicité. Or, on peut voir dans cet acte de récidive une volonté de retourner à son ancien mode de vie dans lequel on a toutes ses marques. Débat houleux donc…

Culture. Il fallait voter un décret sur la promotion de l’interculturalité. Enjeu :  promouvoir les cultures au sein de la population afin de freiner les dérives liées à la méconnaissance de l’Autre (exemple avec le racisme). Débat aussi rythmé que les autres, certains points du décret exhumaient les passés sombres de certains pays occidentaux, comme la colonisation. Le décret a été voté lui aussi mais je n’étais pas là pour le voir, j’ai craqué à la fin, trop de débats pour mes nerfs. Impression : au cours de ce débat, j’ai été pris d’un retour de flamme. Toutes les frustrations de la semaine sont réapparues quand j’ai entendu les déclamations des autres. J’étais lassé du combat mené par les camps « pour » et
« contre ». C’est un travail laborieux le vote d’un décret…

Finance. Il fallait voter un décret sur l’abolition de l’héritage et la mise en place d’une allocation donnée à chaque citoyen à partir de sa majorité grâce à l’argent récolté. Le principe était de donner un moyen d’émancipation énorme au jeune pour qu’il puisse bâtir sa vie comme il l’entend. Sans être à la merci du bon vouloir de ses parents ou du manque d’argent, etc. Enjeu : la suppression de l’héritage est quelque chose de considérablement novateur pour notre époque. Ça choque tout le monde, même les jeunes, étant donné que l’héritage est une notion universelle que nous cultivons depuis des millénaires. Le débat a été très mouvementé ici aussi. Les « pour » soutenaient que l’héritage était une pratique archaïque, entrainant une inégalité sociale sans pareille. Les « contre » appuyaient leur position avec des arguments tels que : « l’évasion fiscale sera de mise », « les gens qui auront travaillé toute leur vie ne pourront pas léguer ça à leurs enfants », « le don est quelque chose que l’état peut retirer aux gens », etc. Résultat : le décret a été validé. Impression : personnellement, je trouvais que ce décret allait encore une fois profiter aux riches. L’exil fiscal aurait été inévitable, tandis que l’ouvrier se serait vu confisqué ses biens après tant d’années de labeur !

E.D.