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« L’éducation est un processus de vie, et non une préparation à la vie »

  29 Sep , 2017   , , ,    COJ

Le titre en citation est signé John Dewey, extrait de son livre Mon Credo pédagogique (1897). Pour les 70 ans des CEMEA-Belgique, Le COJ a voulu interroger l’Education nouvelle qui semble se re-pointer, çà et là, pour redonner du sens (et de l’engagement) aux jeunes, aux enseignants, aux écoles, aux parents... Tour de la question et des enjeux avec les Ceméa et son co-directeur, Geoffroy Carly. 

Les CEMEA* (Belgique) ont 70 ans et s’inscrivent toujours dans le combat de l’éducation nouvelle, un courant pédagogique qui date, non ?

Le terme « nouvelle » a été certainement un mauvais choix puisqu’il limite la notion à un moment précis de l’Histoire. La nouveauté de l’époque résidait dans l’opposition à une éducation descendante et dominatrice dans une perspective de reproduction sociale et qui entrainait à l’obéissance et à la soumission, en ignorant totalement les besoins de l’enfant. Ce courant date mais il est toujours d’actualité pour combattre l’école des inégalités où l’état disqualifie le désir des personnes pour les assigner exclusivement à une fonction productrice. Quand on parle de rapprocher l’école du monde de l’entreprise, il s’agit bien de fournir de la main d’œuvre qualifiée, pas de changer le monde. La question du choix de l’éducation est avant tout politique : quelle éducation pour quelle société voulons-nous ? Notre société de marché a donné sa réponse. Nous la combattons.

Avez-vous participé au Pacte d’excellence (actuellement à l’état de « feuille de route ») ? Certains parlent de « révolution » avec l’allongement du tronc commun, le renfoncement de la remédiation, une évaluation de l’élève moins portée sur le « bic rouge », un nouveau souffle à la formation des enseignants appelés à plus de coopération entre eux. De quoi réjouir les CEMEA et permettre l’éducation nouvelle de sortir de la marge ?   

On n’a pas participé au Pacte d’excellence – disqualifiés d’avance et non reconnus comme acteur potentiel de l’école en Belgique francophone. Ce Pacte, c’est du management privé qui s’empare de l’école avec des contrats d’objectifs, des évaluations objectives, etc. Le Pacte n’a pas posé la question essentielle : à quoi sert l’école du XXIème siècle ?  Le tronc commun plus long et pluridisciplinaire, c’est bien, à condition que le regard sur les disciplines change et qu’elles ne soient pas hiérarchisées entre elles, mais plutôt articulées. Cela suppose une vision globale de la vie de l’élève à l’école, d’envisager l’enfant avec tout ce qu’il est en soi et en dehors de l’école. Or, les matières restent segmentées dès qu’on quitte le primaire et les possibilités de travail d’équipe entre les profs sont extrêmement étriquées. Si on soutient l’évolution des élèves selon leurs rythmes d’apprentissages, le terme « remédiation » ne devrait même pas être nommé comme tel.  Le « bic rouge » contraste assez bien avec le bleu ou le noir, ce qui permet de repérer les notes du prof de celles des élèves. L’important, c’est ce qu’on écrit avec et le statut de l’échec qui est toujours envisagé comme une erreur dans les apprentissages, Or, l’échec fait partie intégrante du développement. Mandela disait « Je n’échoue jamais. Soit je réussis, soit j’apprends. » Il avait sacrément raison.

Si vous deviez citer trois problèmes à solutionner prioritairement ?

1. La formation des enseignant-e-s pour les amener au matérialisme pédagogique. On ne prône pas l’autonomie en obligeant les élèves à ingurgiter de la matière complètement décidée en dehors d’eux, en les laissant assis sur des chaises pendant 6h et en sapant toutes leurs initiatives si elles sortent quelque peu du programme ! 2. Repenser l’institution scolaire comme lieu de vie (à taille humaine et démocratique), à penser tous les moments comme importants, en ce compris l’accueil, les repas, les intercours… Il faut soigner ces moments de vie quotidienne, leur donner une valeur (y compris éducative). 3.Travailler à la culture des institutions scolaires. Les enseignant-e-s doivent faire équipe, interroger leurs pratiques et le projet éducatif de l’établissement, définir une éthique de travail, des enjeux.

Quels sont les enjeux sur lesquels les CEMEA militent ? D’hier à aujourd’hui, qu’est-ce qui a changé ?

Les terrains d’action sont variés : les crèches, l’Accueil Temps Libre, les centres de vacances, l’école, la culture, l’égalité des genres, la santé mentale… Tous les lieux où il y a éducation dans une relation pédagogique réfléchie. Ce qui a changé ? La segmentation des politiques publiques qui a diversifié arbitrairement les enjeux et les terrains d’action. La professionnalisation des secteurs non-marchands a également profondément modifié le rapport à l’action et au politique. Face aux marchés publics, aux procédures et aux professionnels formés au management associatif, les idées qui dépotent peinent à passer la rampe.

Education nouvelle, on est toujours « bloqué » à la même bande : Decroly, Freinet, Montessori & co ?  Qui sont les noms d’aujourd’hui ? Et que disent-ils aujourd’hui ?

Il y a Laurent Ott, Francine Best, Hamdou Sy, Nicolas Go, Bernard Collot, Catherine Chabrun et bien d’autres. Ils et elles actualisent les principes, inventent de nouvelles pratiques adaptées aux contextes d’aujourd’hui. Par exemple, Laurent Ott sort des institutions pour aller à la rencontre des populations Roms là où elles sont.

Les familles qui mettent leurs enfants dans ces écoles « alternatives » ont déjà un certain bagage et des moyens. Ça sent parfois la petite bourgeoisie « bobo » ? Significatif : un collectif d’enseignants vient de créer une école à « pédagogie active et accessibilité de tous » à… Molenbeek.

Des écoles de quartier portent aussi des projets alternatifs. Malgré un décret Missions et le discours mou sur l’intérêt des pédagogies actives, l’offre scolaire est trop pensée dans une logique de marché : ici de l’immersion linguistique, là la cantine bio, ailleurs la « méthode » Freinet… Parfois même, la revendication de la bonne vieille école traditionnelle ! Dans l’individualisme grandissant, l’offre scolaire n’est plus pensée comme un projet collectif. On ne peut se contenter d’initiatives plus ou moins spontanées. C’est une question de société.

Propos recueillis par Nurten Aka

* Les CEMEA sont un mouvement fort militant (« d’éducation populaire, laïque et progressiste, contre tout déterminisme social, pour le développement d’un esprit critique et la liberté d’expression »).  Ils sont nés en France en 1937 à l’époque du Front populaire et sont arrivés en Belgique, suite à la 2ème guerre mondiale.

A lire aussi :

Témoignage : l’école à la maison
La routine du tableau, les inégalités à tous les niveaux…
Apprendre à vivre et vivre ce qu’on apprend

 

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Save the date

6h pour l’école démocratique – le 18/11 à Bruxelles. Thèmes : Pourquoi il faut enseigner l’Histoire à TOUS les élèves ? Quelles mesures pour combattre les ségrégations sociales à l’écoles ? à quelle sauce les travailleurs de l’éducations seront-ils mangés ?  Une journée organisée par l’APED (Appel pour une école démocratique) . www.ecoledemocratique.org

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1ère Biennale internationale de l’éducation nouvelle, du 2 au 5/11 à Poitiers (France), organisée par six mouvements français : CEMEA, Groupe français d’éducation nouvelle (GFEN), ICEM-Pédagogie Freinet, CRAP- Cahiers pédagogiques, FESPI (établissements scolaires publics innovants), FI-CEMEA (fédération internationale).

www.gfen.asso.fr/actions/premiere_biennale_educ_nouvelle