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La Fédération Francophone des Ecoles de Devoirs (FFEDD), membre de la COJ, a publié, cette année, un rapport intitulé Les devoirs en question. Sa conclusion se termine sur la citation « Pour que cesse la torture des enfants les plus fragiles ! ». Le COJ#22 a voulu en savoir plus. Interview : Stéphanie Demoulin, coordinatrice de la FFEDD.
La citation a un potentiel de provocation qui recouvre une réalité. Pour certains enfants en difficultés scolaires, notamment en début de parcours, pour qui les maths ressemblent à du chinois ou qui ne suivent pas en français pour de multiples raisons (parce qu’ils ont une forme de dyslexie ou de dyscalculie, parce qu’ils ont raté quelques mois d’école au moment de l’apprentissage de certaines bases, ou encore ont une autre langue maternelle,…), pour ces enfants, les devoirs peuvent prendre du temps (une heure, une heure et demie, parfois plus) et être très mal vécus. Même dans un climat bienveillant, où l’on cherche à aider l’enfant, il peut se fermer, ne plus vouloir essayer, vivre un sentiment d’humiliation devant sa propre incompréhension de l’exercice. Le devoir peut donc être vécu comme un mauvais traitement, voire une torture.
Le constat n’est pas nouveau mais nous sommes de plus en plus interpellés par les retours des équipes éducatives des Ecoles de Devoirs qui mettent en évidence le temps passé par les enfants à tenter de réaliser leurs devoirs, ce qui laisse peu ou pas de temps pour mettre en œuvre les autres missions dédiées par Décret aux structures d’accueil. Les EDD ont d’autres missions et actions que l’école elle-même notamment d’aider les enfants à devenir plus critiques et autonomes, leur proposer de coopérer, de jouer, de s’ouvrir à des activités artistiques et/ou sportives, d’explorer leur temps libre, de participer et de faire entendre leur voix. En plus d’un soutien scolaire, les EDD offre aussi une ouverture sociale, sportive, culturelle et citoyenne.
C’est sous ce nom que notre secteur a été reconnu par un décret en 2004. Un de nos combats prioritaires reste celui mené pour l’égalité des chances à l’école. Les EDD n’ont pas été créées pour l’aide aux devoirs mais pour réduire les inégalités sociales et scolaires. Or, l’une des causes principales des inégalités scolaires est le devoir. Les EDD n’ont donc pas le choix que d’accorder autant de temps aux devoirs. Toutefois, toutes les écoles de devoirs ne sont pas identiques, et en leur sein, les devoirs (et le temps qui leur est consacré) prennent plus ou moins de place. L’aide aux devoirs reste aussi une de nos missions et une porte d’entrée vers les enfants et les parents.
Il n’y a pas un rapport-type « Parents-école ». Au départ de la parole de l’enfant, et avec son accord, l’EDD va effectivement parfois servir de relais vers le(s) parent(s). L’EDD peut être aussi un interlocuteur de l’école dans certains cas, voire faire le lien parents-école dans d’autres. Elle apporte parfois sa connaissance de l’enfant et de son ressenti face aux devoirs, à titre consultatif, par exemple dans le cadre d’une réflexion parents-école sur l’orientation scolaire de l’enfant. L’EDD peut aussi servir de « médiateur » entre les parents et l’école surtout pour les parents maîtrisant insuffisamment la langue française ou les codes de l’école. Parfois, elle participe, avec les parents à des réunions de parents. Cela rassure les parents étant donné qu’il y a souvent une relation de plus grande confiance établie entre eux.
Dans notre société actuelle, on vit tous en contact avec le culte de la performance, et, en miroir, avec la peur d’être incompétent. Les parents baignent dedans et, bien sûr, ils souhaitent le meilleur pour leurs enfants. L’école s’imbibe dans la même société, et véhicule parfois certaines idées liées aux formes de l’intelligence, à l’excellence, à une certaine façon d’apprendre, etc. Elle subit aussi la concurrence d’autres écoles, et des pressions (parentales notamment) pour « apprendre » aux enfants à travailler/étudier beaucoup, et les rendre performants. On rencontre donc fréquemment des parents et des écoles en faveur de « beaucoup de devoirs » et la surenchère est parfois de mise. Entre ces deux partenaires, on peut avoir beaucoup de peine à expliquer qu’une EDD n’est pas qu’un lieu pour faire des devoirs, ou que certains devoirs ne seront pas finis s’ils pèsent trop sur l’enfant (en temps ou en émotion), par exemple. Ce qui n’est pas toujours facile à faire comprendre.
C’est un peu caricatural ! L’école et les parents, ces deux grands pôles dans la vie d’un enfant, sont incontournables. Même si certains enfants/jeunes passent beaucoup de temps en EDD, nous n’avons pas un rôle aussi central que les deux autres acteurs. Toutefois, il a effectivement dans notre secteur une bienveillance envers les parents. La relation avec les professeurs et les écoles, différente d’un cas à l’autre, serait, elle, mieux décrite par « un dialogue critique ».
Pour deux raisons, une de principe et une, de fond. Premièrement, dans une société démocratique, il n’est jamais bon qu’une loi soit majoritairement ignorée pendant 18 ans. Sur le fond, nous croyons qu’il est pertinent de limiter le temps consacré aux devoirs. L’excès de devoirs peut causer de grandes souffrances psychologiques. Les devoirs cristallisent les inégalités scolaires. Mettre une limite, c’est donc aussi limiter les possibles abus et les inégalités. Pour tous les enfants, beaucoup de devoirs, c’est moins de temps pour jouer, rêver, être créatif, tisser des liens librement avec les autres… Autant d’aspects primordiaux dans la vie d’un enfant.
Dans le grand chantier du Pacte d’Excellence, le Secteur des écoles de Devoirs concentre son attention plus particulièrement autour de la question de la réforme des rythmes. Nous ne sommes pas opposés à un retour du devoir à l’école si celui-ci est cadré par le respect de l’Article 78 du Décret Missions, précisé en 2001 par la Circulaire 108. Concrètement, le temps scolaire pourrait être allongé de 30 minutes afin de permettre aux enfants de pouvoir se consacrer à leurs loisirs, de disposer de temps libre et d’avoir l’occasion de fréquenter des lieux d’accueil extrascolaire, des clubs sportifs,… en dehors des murs de l’école. Dans ce dispositif, les Ecoles de Devoirs auraient toujours leur place de partenaires privilégiées des écoles et pourraient encore mieux développer une action complémentaire à celle menée par les enseignants plutôt que d’avoir un rôle, au mieux de palliatif, au pire de pansement sur une jambe de bois, auquel nous sommes, à tort, souvent associés.
Que nenni ! La fin des devoirs permettrait aux EDD de développer pleinement leurs missions d’émancipation sociale, de créativité, de participation et de développement intellectuel en rendant concret et pratique les matières vues à l’école, en faisant du théâtre, des ateliers d’écriture, de lecture,… Cela pourrait être un réel complément à l’école.
Les parents et les enseignants ont désormais des attentes démesurées quand ils envoient les enfants en écoles de Devoirs, notamment sur les aspects « devoirs » et « réussite scolaire ». Par ailleurs, si la reconnaissance des EDD a permis d’obtenir une subvention annuelle, elle reste minime par rapport aux exigences du métier. A raison de 6500 euros en moyenne par an et par structure, ça ne fait pas cher l’importance qui est accordée à la vie extrascolaire d’un enfant et à son développement…
Dossier : Les devoirs en question – COJ#22.
Les EDD sont nées en Wallonie et à Bruxelles suite à une expérience menée en Italie. Elles se sont développées, dans la foulée de mai 1968, sur la base du constat que l’école ne faisait que reproduire les inégalités sociales. Devant l’absence de réponse de l’école face à ces inégalités, des citoyens et des associations se sont mobilisés. La première École de Devoirs est apparue à Bruxelles, en 1973, dans le quartier ghetto de Cureghem où vivait une population ouvrière italienne. Par la suite, d’autres initiatives ont vu rapidement le jour dans divers quartiers, là où l’on trouve une population socialement et culturellement défavorisée, qu’elle soit immigrée ou non. Les écoles de devoirs seront soit l’émanation de personnes privées qui fondent une A.S.B.L., soit un nouveau service offert par des acteurs privés ou publics dans le cadre de nouveaux dispositifs mis en place par les pouvoirs publics tels services sociaux divers, maisons de quartiers, maisons de jeunes, A.M.O., etc.
Pendant plus de 30 ans, ces structures n’ont pas été reconnues ni soutenues financièrement spécifiquement pour leurs activités en tant qu’école de devoirs. Conscient de ce manquement et de la nécessité de reconnaître ces structures répondant à un réel besoin, le Parlement de la Communauté française a voté à l’unanimité un décret, en avril 2004, relatif à la reconnaissance et au soutien des écoles de devoirs. Il leur octroie une existence spécifique et acte que les écoles de devoirs ne sont pas là pour pallier les lacunes du système scolaire mais sont des structures d’accompagnement de la scolarité pour des populations dont le rapport à l’école et au savoir est difficile, et qui ne se limitent pas au soutien scolaire mais organisent des activités socioculturelles et sportives.
In la Fédération Francophone des Ecoles de Devoirs (FFEDD) – www.ecolesdedevoirs.be