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Rencontre & Réflexion

Sous les pavés1… plus rien

  26 Mar , 2018   ,    COJ

Au moment de célébrer les 50 ans d’un élan de protestation contre la société traditionnelle et l’autorité, le contexte actuel de renforcement des inégalités et d’aliénation à une société de consommation décomplexée appelle à une révolution.

Serions-nous dans une histoire cyclique qui tend à resservir les plats régulièrement ? Déjà Gramsci, dans l’entre-deux guerres, disait : « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres »2. Cette pensée résonne de manière cinglante sur notre époque contemporaine.

Que reste-t-il de Mai 68 à part des souvenirs romancés, la nostalgie de combats plus affirmés, une utopie qui avait le mérite – essentiel – d’exister ? Les yeux ouverts sur notre monde, la tendance est à penser que c’était mieux avant. Et c’est précisément à ce moment-là qu’il ne faut pas se tromper. Ce n’était pas mieux avant ! Mais aujourd’hui n’est pas nécessairement mieux qu’hier non plus. L’enjeu consiste à travailler à l’amélioration des conditions de notre Humanité, au regard notamment du triptyque Liberté-Egalité-Fraternité.

Asséner « C’était mieux avant », c’est participer du travail de sape de toute velléité de changement. L’idée de progrès est à conserver, mais dans son versant de combat politique. En 1968 déjà, l’idée du progrès était prédominante. Et l’on pouvait croire à une évolution inéluctablement positive. Mon œil ! Hier n’était pas forcément bien et aujourd’hui pas assurément mieux.

D’autant que les modèles de société qui imposaient à tout le moins une réflexion dialectique sur le devenir du monde – le communisme versus l’économie de marché – ont été substitués par un modèle totalitaire de société de consommation. TINA3  – There Is No Altervative – est bien ancré dans nos têtes, alimentant la bien-pensance et les fausses évidences qui nous empêchent de penser : la gestion comme vertu, les politiques publiques comme des coûts, la transparence comme valeur…

Le tout dans un monde théâtralisé par les médias de masse qui nous abreuvent de la mort de Johnny, de la Champion’s League et de la Fashion Week… Même la critique est devenue « entertainment » comme le magazine Quotidien4, troublant la fonction de la critique et risquant de la faire basculer dans le cynisme fataliste plutôt que comme levier de transformation sociale.

Notre monde a besoin d’utopie et de  rêve

Utopie tuée dans l’œuf quand notre Didier Reynders national déclare : « Nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde, mais nous devons en prendre notre part »5. L’idée même de l’existence de la misère dans notre société n’est plus insupportable. Elle s’est normalisée et appelle à être gérée tout comme les tunnels bruxellois…

Un besoin d’utopie pour penser notre monde et son destin autrement. Différemment des logiques à l’œuvre de la part de nos « gestionnaires » politiques, comme lorsque la Fédération Wallonie-Bruxelles fait appel à McKinsey pour organiser le Pacte pour un enseignement d’excellence…

Cours camarade, le vieux monde est derrière toi .

Abbé Ration

 

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1 Extrait du slogan de mai 1968, Rue Sommerard : Sous les pavés, la plage

2 Gramsci Antonio, Cahiers de prison, Cahiers 3, Ed. Gallimard, Paris 1983 (recueil et notes du philosophe et membre fondateur du Parti communiste italien, de 1929 à 1935, durant sa période d»emprisonnement politique par le régime fasciste)

3 Slogan attribué à Margaret Thatcher, Premier Ministre du Royaume-Uni au début des années 1980, signifiant que le marché, le capitalisme et la mondialisation sont des phénomènes nécessaires et bénéfiques et que tout régime qui prend une autre voie court à l’échec

4 Emission de télévision française d»infodivertissement présentée par Yann Barthès diffusée sur TMC.

5 Le Soir en ligne, mis en ligne le 25/02/2018 à 18h35.

6 Slogan de mai 1968, Sorbonne et/ou Odéon, rue Rotrou et/ou Sorbonne, hall grand amphi.