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Tabou des préférences politiques des journalistes

  26 Mar , 2018       COJ

Eddy Caekelberghs, journaliste à la RTBF-La Première, s'est fait écarter des antennes "le temps d'une enquête interne". En cause? Un mail dans lequel il fait part de ses opinions politiques, envoyé depuis son adresse professionnelle. De quoi illustrer l'attachement de la profession à une image "neutre" et "apolitique". Réaliste?

Eddy Caekelberghs a toujours assumé ses opinions politiques. En 2011, il déclarait : « je suis membre du PS depuis mes 16 ans. Rien ne l’interdit dans les statuts de la RTBF, tant que cela ne transparait pas à l’antenne ». Par ailleurs, il n’est pas nouveau de voir une rédaction s’ériger face au risque d’étiquetage politique de ses ouailles. Toujours en 2011, Le Soir Magazine prétendait révéler l’appartenance politique des journalistes des chaines de télévision belges. En réaction, la RTBF et RTL ont déposé une plainte au Conseil de déontologie journalistique. Tant leurs hiérarchies respectives que les journalistes concernés estimaient que leur « intégrité professionnelle » était « remise en cause » (sic). La RTBF a rédigé un droit de réponse et les patrons de l’information de RTL ont souligné « leur attachement à l’indépendance et à la neutralité » dans un mail adressé à toute la rédaction.

 

L’idéologie du fait vrai

En philosophie, l’idée même de « neutralité » pose question car revendiquer un non-engagement est déjà une forme d’engagement. De même, cela peut faire sourire d’entendre des jeunes journalistes affirmer des propos – souvent tous droits sortis de leur école de journalisme – tels que « l’objectivité n’existe pas, mais il faut tendre vers l’objectivité ». Cet énoncé est creux et absurde : comment tendre vers quelque chose qui n’existe pas ? Demandons-nous plutôt comment réconcilier l’objectivité du réel et la subjectivité de celui qui raconte ce réel.

La journaliste Florence Aubenas et le philosophe Miguel Benasayag estiment que « l’idéologie du fait vrai » est l’une des idéologies majeures du milieu journalistique, comme si le journaliste ne faisait que « montrer » des faits objectifs indiscutables. Toute opinion du journaliste serait un obstacle à cette sacro-sainte objectivité. Pourtant, tous les jours, les rédactions font des choix : sujets « à la une », manière de les traiter (cadrage, angle, perspective…), personnes à interviewer, temps et moyens consacrés, etc. L’information est construite.

En corollaire de cette « idéologie du fait vrai », toutes les opinions se valent et seraient subjectives. Cette vision, caricaturée, donne autant de poids au micro-trottoir qu’à l’expert, à des partis aux idées totalitaires qu’à des partis démocratiques. Le journalisme dit « de solutions » (proposant des solutions à des problèmes de société) ne serait qu’une autre forme de journalisme militant, de même qu’un certain journalisme d’investigation. Or, le métier de journaliste n’est-il pas engagé en tant que « contre-pouvoir » ou encore dans la conscientisation citoyenne ? 

Démystifier ce métier

En 2011, les rédactions de la RTBF et de RTL-TVI auraient pu nuancer l’article du Soir Magazine en précisant que leurs journalistes ont comme la plupart des citoyens des préférences politiques, mais que ça ne les empêche pas de faire leur job le plus honnêtement possible. Au contraire : ils ont conforté cette idée que « ne pas être neutre » était un problème.

Une des causes de la méfiance envers le métier de journaliste tient d’une représentation « mystique » de cette fonction. C’est comme si les journalistes étaient entre illuminati, francs-maçons ou reptiliens dans leur tour d’ivoire, si différents de nous.

Un des enjeux est de montrer comment fonctionne ce métier. Les journalistes sont des citoyens comme les autres qui utilisent des méthodes spécifiques pour donner un point de vue sur le réel aux citoyens avec plus ou moins d’honnêteté et de transparence. Quand Eddy Caekelberghs affirmait assumer ses opinions politiques et ne pas oublier d’y être vigilant lorsqu’il s’agit de « cuisiner » publiquement une personnalité politique, ne faisait-il pas preuve d’une saine introspection ? Ainsi, au lieu de se convaincre d’une fausse neutralité, la presse pourrait reconnaître ses perspectives lorsqu’elle construit l’information…

Julien Lecomte , Chronique « La Société des médias »