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Rencontre & Réflexion

Tout le monde est un média

  20 Jan , 2021   , ,    COJ

Aujourd'hui, la bataille de l'info ne se résume plus aux "faits": chacun semble détenir sa vérité et à chaque récit correspond un contre-récit. De quoi élargir l'éducation aux médias?

Filmer le réel, c’est le raconter à sa manière, ne serait-ce qu’en sélectionnant et en agençant différents faits. Aujourd’hui, tout le monde peut capter un événement à l’aide de son smartphone, le raconter dans une vidéo, dans une publication sur TikTok ou encore en faire un montage caricatural (un « meme »). Nous sommes tous des émetteurs de contenus qui peuvent atteindre une large audience.

En France, le projet de loi de « sécurité globale » vise à restreindre le droit de diffuser des images des forces de l’ordre sur le terrain. Si cette loi contrevient à un droit démocratique, les forces de police n’ont pas attendu de nouvelles lois pour adopter elles-mêmes le réflexe de filmer leurs propres interventions afin d’opposer ces éléments à ceux diffusés par des militants ou manifestants. En cas de litige, ce sera récit contre récit, une perspective contre une autre. Le policier pourra montrer cette image du militant qui balance un pavé pour justifier son intervention musclée, tandis que le militant affichera les images de ce groupe de flics qui tabassent une jeune maman tombée par terre. Aujourd’hui, tout le monde est un média.

A chaque événement majeur, il y a la « version officielle » et la « version complotiste ». A chaque collection de faits, on peut opposer des « faits alternatifs. Dans bien des cas, nous sommes confrontés à des visions du monde qui s’affrontent.

Récits et contre-récits

Dans l’inconscient collectif, c’est presque « acquis » que les médias ou les politiciens peuvent avoir des intérêts à présenter les faits d’une certaine manière, voire à inventer des rumeurs ou des histoires de toutes pièces. Il y a des intérêts financiers, du lobbying, des motivations idéologiques ou religieuses ou encore la soif de pouvoir mais aussi des lacunes dans le travail journalistique, à cause d’œillères ou simplement de mauvaises conditions de travail. Paradoxalement, cette critique est plus discrète par rapport à des discours émanant de personnes échappant aux catégories associées au pouvoir (politiciens, médias « mainstream » …), comme si seuls les « gros poissons » pouvaient mentir ou se tromper. Pourtant, nous avons tou.te.s des convictions politiques, des idées, des faits de société qui nous touchent, voire affectent nos intérêts, etc. Or, désormais, sur la place publique, à chaque récit correspond un contre-récit.

A chaque événement majeur, il y a la « version officielle » et la « version complotiste ». A chaque collection de faits, on peut opposer des « faits alternatifs ». Bref, les faits ne suffisent plus pour mettre tout le monde d’accord. Dans bien des cas, nous sommes confrontés à des visions du monde qui s’affrontent.

Éduquer aux médias, éduquer à l’analyse critique

Historiquement, l’éducation aux médias visait surtout à développer un regard critique à l’égard des « médias traditionnels ». Il est pourtant nécessaire d’appliquer un doute équivalent à d’autres sources, qu’il s’agisse de groupes politiques, idéologiques, militants, ou même de simples citoyens qui souhaitent partager leurs idées sur le monde. Certains indicateurs peuvent éveiller notre vigilance, que les propos soient issus d’articles de presse ou d’un vidéaste amateur : titraille « piège à clic », présence de contenus erronés, ligne éditoriale manifestement idéologique ou connotée en termes de jugements de valeur, auteur non identifié ou manquant de transparence quant à ses sources, utilisation d’arguments fallacieux, etc.

De plus, cette déconstruction critique ne doit pas se limiter à la recherche des faits, mais aussi prendre en compte les éléments sociaux et émotionnels qui gravitent autour des médias. Il est important de comprendre combien les nouveaux médias peuvent contribuer à nous conforter dans nos visions du monde, en sélectionnant les informations auxquelles nous sommes confrontés selon leur popularité auprès de nos amis, par exemple.

Hier, nous étions tou.te.s concernées par l’éducation aux médias, principalement en tant que « récepteurs ». Désormais, nous le sommes encore davantage, également en tant qu’émetteurs1 …

Julien Lecomte, chronique des médias (sociaux) 

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1. Avec Action Médias Jeunes ASBL et l’Université de Paix ASBL, nous avons sorti Critique de l’info : l’outil ultime, disponible gratuitement sur https://acmj.be/outilultime/. Des ressources (fiches d’animation, documentation, vidéos, etc.) pour développer son esprit critique face à l’info, à destination des élèves du secondaire. Les contenus « théoriques » (dossier de l’enseignant) sont transposables aux adultes. Les thèmes : comment débusquer les fake news ? Comment enquêter en ligne ? Comment déjouer les arguments fallacieux ? Comment s’informer en tenant compte des algorithmes et des formats sur le web / de l’économie des médias ? Comment débattre de manière constructive sur les médias sociaux ? …