Le terme "Fake news" ("Actualités mensongères") s'est progressivement répandu ces derniers mois. A croire que la véracité des faits importe peu lorsqu'il s'agit de partager des contenus.
En éducation aux médias, les compétences qui permettent d’évaluer la fiabilité des sources sont identifiées depuis longtemps comme un enjeu fondamental. Dans un monde idéal, les journalistes et les citoyens ne diffuseraient que des informations méthodiquement vérifiées. Leurs sources seraient transparentes et leur démarche d’informer, impartiale. C’est sans compter sur les collusions politiques, les œillères idéologiques ou encore le contexte de production (délais serrés, formats imposés, moyens limités…) qui ne favorisent pas toujours un travail de qualité.
Ces compétences de vérification ne s’appliquent pas qu’à la presse ou à la communication. Déjà les historiens, bibliothécaires ou encore chercheurs appliquent la critique historique lorsqu’ils sont confrontés à un document. Que le contenu figure sur un parchemin, dans un livre ou un journal, dans un film ou sur un site internet, la question de sa vérité ne date pas d’hier. Le problème, c’est que ces compétences ne sont pas « innées ».
Comme les journalistes, et même en toute bonne foi, nous ne sommes pas toujours en mesure de les mobiliser correctement. Plusieurs études montrent par exemple que nous sommes enclins à accorder plus d’importance aux informations qui confortent nos idées préalables. Au plus ces idées nous semblent constitutives de notre « identité », au plus ce sera difficile de les remettre en question. Exemple, si je crois que les industries pharmaceutiques ne cherchent qu’à faire de l’argent, je vais être très méfiant quant à leur dernière étude sur le caractère bienfaiteur de tel ou tel vaccin. Dans ce cas, remettre en cause ma croyance me fait remettre en cause une vision du monde et mon attitude par rapport à celui-ci.
Sur les médias sociaux, les échanges et interactions ont révélé au grand jour le phénomène des « chambres d’écho » ou « bulles de filtre » dans lesquelles nous évoluons, qui font que nous ne percevons qu’une partie des informations, selon certains filtres. Ces « bulles » sont influencées par nos « groupes d’appartenance », c’est-à-dire ceux que nous considérons comme nos proches. Pour caricaturer, si vous êtes sympathisants d’une idéologie politique, vous risquez d’être plus exposés à des propos confortant cette idéologie. Les algorithmes de Facebook ou Google sont d’ailleurs construits entre autres sur ce principe : il s’agit de vous montrer ce que vous êtes susceptibles d’apprécier, en fonction de ce que vous avez déjà aimé.
Il y a donc une difficulté colossale à remettre en cause une fausse nouvelle qui va à l’encontre de nos opinions ou de celles du groupe auquel on s’identifie. Ne serait-ce que parce que l’on n’est pas confronté à une information contradictoire.
Depuis 2008, je m’interroge sur ce que signifie le mot « critique » qui figure notamment dans la mission de former des « CRACS » des Organisations de Jeunesse. Chacun peut lui faire dire ce qu’il veut. Comment mesurer l’esprit critique ? Est-on critique une fois pour toutes ? L’esprit critique est-il inné ? Suffit-il de se poser des questions pour faire preuve d’une pensée critique ?
Pour moi, une composante observable de ce terme se situe dans la pratique de la « décentration ». Ce concept renvoie à la capacité à se mettre à la place d’autrui, à « sortir de son centre » pour pouvoir prendre en considération le point de vue l’autre, sans nécessairement le partager. La décentration peut être cognitive (compréhension, apprentissage) mais aussi corporelle (expérimentation, imitation) et émotionnelle (empathie). Cela passe notamment par la pratique des échanges : lorsque j’observe ou entends ce qu’un autre individu a fait, ressenti ou pensé dans une situation, je peux prendre conscience que nous ne réagissons pas tous et toutes de la même manière dans les mêmes contextes. Nos points de vue sont façonnés par notre vécu, nos expériences et nos représentations préalables. Se décentrer, c’est comprendre ce qui fonde le point de vue de l’autre. Ainsi, face à quelqu’un avec qui je suis en profond désaccord, je peux tâcher de le comprendre quant à ses raisons, à ses émotions et à son histoire. Pas facile. Mais c’est une condition si nous voulons être capables de changer d’avis lorsque, parfois, exceptionnellement, malgré notre bonne volonté, c’est nous qui avons tort… Pratiquer la décentration permettrait d’être plus vigilant, de mettre à distance nos propres biais de perception, nos filtres, et par conséquent d’être moins « vulnérables » par rapport aux articles trompeurs.
Julien Lecomte, chroniqueur « médias »