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Rencontre & Réflexion

Accro aux écrans

  21 Déc , 2016   ,    COJ

Je rencontre régulièrement des parents inquiets à propos de l’addiction de leurs enfants aux nouveaux médias. L’addiction semble être une perspective privilégiée pour parler des pratiques des jeunes sur les nouveaux médias. quelle est l’ampleur du phénomène ? Comment l’expliquer et le prévenir ?

Le sujet des addictions aux nouveaux médias ou aux jeux vidéo (qui rendent « violents ») chez les jeunes est presque une ritournelle. Certes, plusieurs pratiques peuvent interroger notre consommation des écrans. Spécialiste des médias à la RTBF, Alain Gerlache épinglait le « binge watching », « cette pratique qui consiste à enfiler les épisodes [d’une série, par exemple] les uns après les autres jusqu’à plus soif… En français, on traduit parfois « binge watching » par « visionnage en rafale » ou « compulsif » ou même « gavage télévisuel ».  Peut-on assimiler ces pratiques à une addiction aux drogues ? Ces usages nuisent-ils à la santé ou à l’épanouissement de l’individu ? N’avons-nous pas tous des « dépendances » à différents niveaux, plus ou moins problématiques ? Ce sont ces questions qui font que l’on va parler d’usages « excessifs » ou non. Or, selon une recherche intitulée Les usages compulsifs d’Internet et des jeux vidéo1, les usages excessifs d’Internet représentent… 1,2% des adolescents, loin des ados « tous accros ».

Pourquoi on est « addict » ?

Sur base de sa lecture du livre Hooked : How to Build Habit-Forming Products, le vidéaste Autodisciple explique comment les réseaux sociaux sont conçus pour que nous y passions un maximum de temps. Selon lui, il y a quatre étapes de la web-addiction. Premièrement, les réseaux sociaux répondent à des petites frustrations du quotidien, comme des moments d’ennui, de solitude ou de stress. Ils les résolvent en surface en offrant une promesse de divertissement et de socialisation. Deuxièmement, les réseaux sociaux proposent des actions simplifiées au maximum, à l’utilisation rapide et facile. Cela se passe dans la réactivité, pas besoin de chercher. Troisièmement, les réseaux sociaux offrent une récompense aléatoire. Les notifications correspondent en quelque sorte à des « promesses » de plaisir, offrant exceptionnellement de la satisfaction (sous forme de reconnaissance sociale) : à tout moment, je pourrais ressentir du plaisir. Enfin, quatrièmement, les réseaux sociaux sont conçus pour amener un investissement progressif et maximal : un plus petit investissement amène un plus grand investissement. Dès l’inscription sur un réseau social et avant même de profiter de ses fonctionnalités, on investit du temps, on crée un profil, etc.

Sur ces constats, le vidéaste propose quelques règles qu’il se donne à lui-même pour être plus indépendant à l’égard des réseaux sociaux, comme dresser des listes des choses pour lesquelles il ressent le besoin d’utiliser Internet afin de toutes les faire en même temps et ne pas se laisser « distraire » en cours de route.

Comme une drogue ?

Les nouvelles technologies, les réseaux sociaux en ligne ou encore les applications et les jeux vidéo sont conçus pour que nous y passions un maximum de temps. Ces produits rendraient dépendants, comme des drogues « dures ». Toutefois, dans une conférence intitulée Everything you think you know about addiction is wrong, le journaliste et écrivain Johann Hari défend la thèse que la dépendance physique aux drogues est une idée reçue. Il argumente : tout d’abord, les gens qui reçoivent de la morphine après un accident pendant vingt jours devraient devenir accros, or ils ne le deviennent pas, alors qu’il s’agit d’héroïne. Il raconte ensuite l’expérience du Professeur Alexander : les rats qui ont une vie sociale heureuse et connectée ne consomment quasiment pas l’eau droguée qui leur est proposée, tandis que ceux qui sont isolés ne consomment que celle-là et meurent d’overdose.  Son hypothèse : c’est le manque d’un lien social de qualité qui est à l’origine de l’« attachement » à d’autres choses. Sa réponse aux addictions est la connexion : il s’agit de faire du lien « qualitatif », en profondeur. C’est d’autant plus interpelant si l’on se dit que pour des jeunes « accros » aux jeux vidéo en ligne, il s’agit parfois d’une des rares sphères de socialisation satisfaisante qu’il leur reste…

Julien Lecomte , Chronique « La Société des médias » 

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1. www.cresam.be/IMG/pdf/rapport_cresam_click_resume_2013.pdf