Politique,Rencontre & Réflexion
En Belgique, le gouvernement fédéral est a nouveau en affaires courantes, cette fois suite aux désaccords entre la N-VA et ses partenaires de majorité (MR, CD&V, Open VLD). La Région wallonne,elle, avait déjà vécu sa tragi-comédie en juin 2017 avec l’éviction du PS par le cdH. Dans cette cour qui nous gouverne, le citoyen fait parler de lui. Il désobéit. Il participe. Il tente de faire entendre des enjeux de société comme le climat, les inégalités sociales, la solidarité migratoire… et réenchante la démocratie. A la veille des élections fédérales, régionales et européennes, on prend le pouls socio-politique avec Emilie Van Haute, politologue à l'ULB.
Nous sommes à la veille des élections. Doit-on s’attendre à une campagne tendue et difficile ?
Certainement. Il y a une fébrilité issue des résultats des élections communales d’octobre 2018. Pour un certain nombre de partis, il y a un tassement électoral clair : sanction du MR et du PS, érosion constante du cdH. à l’opposé, il y a des vainqueurs : Ecolo et PTB. Pour le PS, la crainte est d’être en concurrence partout avec le PTB, ce qui n’était pas le cas aux communales. De plus, la thématique de l’environnement a fortement émergé. Une thématique que craignent les perdants du scrutin communal car il est toujours plus simple pour un parti de faire campagne sur une thématique qu’il détient, pour laquelle les électeurs le perçoivent comme compétent.
Les partis ont donc « verdi » leur programme…
En effet, la proposition du programme du PS pour les régionales à Bruxelles est du
« rouge-vert ». Le slogan Red is the new green est sur les affiches des jeunes PTB, etc. Cela montre qu’il y a une prise en compte de la part des partis de la donne environnementale. Mais ce sera compliqué pour les partis – à l’exception des Verts – d’être crédibles sur cette question. Les études de comportements électoraux montrent que les électeurs considèrent un parti comme compétent sur telle ou telle thématique. Par miroir inversé, ils considèrent que les autres partis ne le sont pas ou moyennement. Tout l’enjeu d’une campagne est donc de la centrer sur ses propres thèmes. Les Verts ont la particularité d’être considérés comme très crédibles sur leur thématique mais pas du tout sur les autres (économie, santé, sécurité, etc.). Que la campagne tourne autour du climat est donc crucial pour eux.
Quels autres thèmes pourraient émerger ?
Les questions sociales. Même si l’ampleur était moins forte qu’en France, il y a un mouvement des « gilets jaunes » en Belgique qui manifestent leurs préoccupations sur la question du cout de la vie. Certains partis ont envie de voir revenir ces thématiques qui leur conviennent davantage dans la campagne : le PS mais surtout le PTB. D’autres partis vont vouloir mettre en priorité la question communautaire et la question migratoire, comme la N-VA.
La N-VA a perdu des plumes aux communales…
Oui et pour ce parti la crainte est le retour du Vlaams Belang (VB). Quand on est un grand parti on a un large électorat. Dans le cas de la N-VA il y a une part d’électorat classique « N-VA communautaire », une part d’électorat de droite (pris à l’Open VLD et au CD&V) et une part d’électorat de droite radicale, d’anciens déçus du VB parce qu’il est notamment bloqué par le cordon sanitaire depuis longtemps. Et ce n’est pas simple pour eux de gérer dans une campagne tous ces électorats-là. Jusqu’à présent ils ne s’en sortent pas trop mal parce qu’ils ont une répartition des rôles très claire entre les figures du parti pour justement que certains soient plus axés sur tel ou tel segment de leur électorat. Mais il faut que la campagne se tourne vers des thématiques qui leur soient plus favorables.
On a dit de l’actuel gouvernement fédéral qu’il était l’un des plus à droite que le pays ait connu. Info/intox ?
Nous avons calculé le positionnement des différents gouvernements fédéraux et régionaux sur un axe gauche-droite, en le comparant avec le positionnement moyen des électorats. En effet, il s’agit du gouvernement le plus à droite depuis la Seconde guerre mondiale mais aussi l’un des moins proches de la position moyenne des électeurs. Ce qui explique en partie la sanction des partis du gouvernement aux élections communales.
En Belgique, avec les compétences éclatées, les nombreux niveaux de pouvoirs, l’obligation de faire des coalitions…, est-il compliqué d’exercer la politique aujourd’hui ?
Les politiques disent qu’ils se voient souvent reprocher des choses qui ne relèvent pas de leurs compétences. Toutefois, faire fonctionner l’éclatement des compétences est aussi de leur responsabilité. Il y a des organes de coopération entre les Régions qui sont très peu utilisés. On en revient à la question de la responsabilité. Une enquête menée récemment auprès de la population bruxelloise a montré qu’une infime minorité était capable d’identifier les partis au gouvernement. Comment peuvent-ils sanctionner électoralement un gouvernement s’ils ne savent pas qui en fait partie ?
Quels sont les enjeux européens dont le citoyen belge est finalement peu au courant ?
Au niveau européen, l’enjeu c’est qu’on va avoir un parlement européen sans doute assez fragmenté, avec une érosion des deux principaux groupes au parlement, le PPE [Parti populaire européen, qui va du centre à l’extrême-droite NDLR] et les sociaux-démocrates. Une grande fragmentation, ce qui veut dire des coalitions. Pour le moment c’est le PPE qui domine. Là on sera dans une alliance soit avec le groupe des libéraux (mais il faut voir s’il survit, il y a des divisions en interne), soit avec le groupe des verts, qui peut être en croissance. Il y a aussi la question de la redistribution des sièges britanniques après le Brexit.
On entend parfois « Notre vote n’aura de toute façon
aucun impact ». Réalité ou cliché ?
Le vote a un énorme impact. Aux dernières élections, des différences très infimes entre les listes décidaient de qui avait la main pour former une coalition, déterminant donc les politiques des six années de la mandature. L’impact est d’autant plus fort dans un système de représentation proportionnel comme en Belgique car l’ordre de préférence des citoyens est formellement établi, aux partis d’en tenir compte pour la composition des coalitions. Le nombre de sièges obtenus et de portefeuilles au sein des gouvernements est aussi proportionnel aux résultats du parti.
Depuis quelques années, le citoyen refait surface sur la place publique. à côté des grèves ou autres manifestations nationales, il y a des actions spontanées, récemment avec les « gilets jaunes » et les manifs des écoliers pour le climat. Des mouvements inattendus ?
Je n’ai pas vraiment été surprise par le mouvement des « gilets jaunes ». Ce qui m’étonne, au regard des politiques d’austérité menées, c’est qu’il n’y ait pas eu davantage de mouvements sociaux de plus grande ampleur plus tôt. Ce gouvernement avait comme principale opposition la famille socialiste et des syndicats. Pourtant, il y a eu une réelle difficulté à mobiliser les citoyens. Le fait que le mouvement des « gilets jaunes » se fasse complètement en parallèle des syndicats, traditionnellement à
la base des mobilisations sociales, est à souligner. Probablement parce que les syndicats ont des années lumières de retard en termes de construction d’image auprès de l’opinion publique.
Et la grève des jeunes pour le climat ?
L’origine et l’ampleur de la mobilisation des jeunes a été une surprise, son maintien sur le long terme aussi. La mise à l’agenda (politique, médiatique, culturel…) de questions par les jeunes n’est en revanche pas nouvelle. La contestation sociale passe souvent par la jeunesse. Exemple avec Mai ’68 ou, en Belgique, avec les questions communautaires et le fédéralisme qui ont été amenés par les sections de jeunes des partis. Les nouveaux enjeux sont souvent liés à des générations, surtout quand ils prennent de l’ampleur et deviennent des questions de clivage de société. Ici, il s’agit d’une question d’avenir. Cela touche plus facilement les plus jeunes générations.
On a beaucoup évoqué la « désobéissance civile » avec les manifestations non autorisées des « gilets jaunes », les écoliers qui brossent les cours chaque jeudi pour le climat ou encore les citoyens hébergeant les migrants. Qu’en pensez-vous ?
Il y a un changement de répertoire d’actions : on est moins dans l’action collective, encadrée par des groupes (notamment les syndicats) et davantage dans des mouvements marqués par la désobéissance civile, la rébellion à la règle, où il y a une affirmation plus individuelle du citoyen vis-à-vis du politique. « Moi j’accueille des migrants, moi je sature le standard téléphonique des cabinets… ». La responsabilisation individuelle est donc aussi plus forte.
La difficulté pour ces mouvements, comme aussi « Nuit debout », « les 99 pourcents », etc. se pose surtout sur le long-terme parce qu’ils sont très horizontaux, très individuels. Il y a toujours un moment donné où le basculement vers du structurel, de l’organisation collective devient nécessaire. Pour la question des migrants, la Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés joue tout à fait ce rôle-là. La continuation des marches des élèves va dépendre de leur organisation collective mais ils en sont très conscients parce qu’un comité d’organisation bicommunautaire est déjà en train de se mettre en place.
Ce n’est pas une transition aisée, la structuration des « gilets jaunes » en France ne marche pas parce qu’elle révèle des tensions internes au mouvement, des objectifs différents…
On semblait croire que le jeune engagé n’existait plus. à tort ?
C’est complètement faux. Il n’y a pas de fossé entre catégories d’âges en ce qui concerne l’intérêt pour la politique. La vraie différence se constate au niveau des connaissances politiques. Le manque de clés de compréhension chez les jeunes, notamment de l’offre politique, explique en partie leur abstention plus forte lors d’élections. La socialisation politique est moins liée à la famille aussi, les parents transmettant moins clairement leurs préférences partisanes aux enfants. Rien n’est vraiment prévu à l’école en termes de formation à la citoyenneté. Il y a désormais un cours de citoyenneté mais les politologues ne sont pas amenés à y participer. Ce n’est pas un cours qui va apprendre le fonctionnement de la démocratie. Un projet réalisé auprès de 1000 élèves bruxellois de 50 écoles différentes montre qu’ils n’avaient aucune connaissance politique (qui sont les acteurs politiques à Bruxelles ? à quoi sert une commune, à quoi sert la Région, etc. ?). Et ces élèves n’identifiaient pas les thèmes abordés comme étant politiques (le logement, la mobilité, l’aménagement du territoire…). A leurs yeux, la politique c’est quelque chose de lointain, de désincarné (le parlement, les institutions…). Mais, lorsqu’ils prennent conscience que tout ce qui les entoure est d’ordre politique – et que ces sujets sont travaillés avec eux – il y a alors de l’intérêt.
Le citoyen a parfois l’impression que la politique est au service des élites entre les mains d’une caste de politiciens « tous pourris ». Y a-t-il une crise des institutions représentatives, voire de la démocratie ?
Les enquêtes pilotes effectuées en préparation aux élections, qui mesurent notamment le ressentiment vis-à-vis de la démocratie représentative, montrent qu’il n’y a pas de rejet du fonctionnement de la prise de décision, du rôle du parlement, du gouvernement ni même de l’organisation des élections. Le ressentiment est en revanche très marqué vis-à-vis de l’image des politiques en tant qu’individus : la question de la corruption, du cumul, des financements, de l’opacité., etc. Il ressort aussi une demande forte d’intégration du citoyen « quelque part ». Sous quelle forme ? Les préférences des citoyens varient : référendum, panel de citoyens, consultation…
le tout, avec ce paradoxe : d’un côté, il y a une forte demande de participation citoyenne mais de l’autre on constate une faible participation dès lors que des processus concrets sont mis en place. De plus, ces processus sont socialement biaisés. Les inégalités de genre, d’éducation et socio-économiques y sont très marquées. Il faut donc réfléchir à comment organiser ces types de participation en évitant de renforcer des inégalités. Le vote, et en particulier le vote obligatoire, est une forme de participation qui lisse d’une certaine manière ces inégalités. Ce qui n’est pas le cas de plusieurs formes de participation. λ
Propos recueillis par Mathieu Midrez