Quelles sont les différences entre l’info écrite en version papier et l'info accessible en ligne ? La consommation des actualités a-t-elle changé ? Nos usages médiatiques ont-ils vraiment changés ?
Ironie de l’histoire : une des nouveautés liées à Internet concerne justement le nombre de données dont nous disposons pour répondre à ce genre de questions. Car, nous n’avons jamais autant disposé d’éléments nous permettant de connaître la consommation informationnelle des individus.
Au rayon « papiers », lorsqu’une personne lit son journal papier à son domicile, on ne dispose que de très peu de moyens pour connaitre ses pratiques informationnelles. Lit-elle tous les articles en entier ? Combien de temps accorde-t-elle à chaque contenu ? Commence-t-elle par le début ou la fin de son journal ? Y a-t-il des sujets qu’elle préfère à d’autres ? Que va-t-elle partager à autrui ? Etc. De fait, à part en recueillant les chiffres de diffusion et en les croisant à des données déclaratives (c’est-à-dire finalement en posant la question aux gens), il n’est pas évident de mesurer comment les gens lisent la presse. Alors qu’au rayon « écrans », aujourd’hui, sur un site internet, vous pouvez analyser suffisamment la navigation pour en retirer des données sur les articles qui sont lus, sur le temps passé à les consulter, sur la navigation de liens en liens, etc.
Les données en question peuvent donner lieu à une forme de pessimisme. On y apprend que le temps passé à lire un article est en moyenne assez faible, qu’un article faux est beaucoup plus relayé qu’un article qui le dément, ou encore qu’un certain nombre de contenus sont partagés sans même que l’auteur du partage ait pris le temps d’en ouvrir le lien. On pourrait avoir tendance à se dire : « Les gens ne lisent plus les articles en entier ». Toutefois, il faut se garder de tirer des conclusions hâtives. En effet, en réalité, nous n’avons aucune raison de penser qu’ils le faisaient significativement davantage auparavant. Une chose est sûre : lorsqu’on s’attarde à observer les pratiques de lecture des individus, on se rend compte de la complexité des choses. En effet, cela dépend du support (Internet ou papier) mais aussi du lecteur, du titre de presse, du type d’article, etc. Peut-on comparer la lecture d’un article papier de Voici avec la lecture d’un article payant sur le site de Mediapart ?
On aurait tendance à l’oublier mais nos usages médiatiques sont fortement liés à d’autres dimensions que la seule information, notamment avec le divertissement et la socialisation. Concrètement : même lorsque nous lisons des articles qui se veulent « à haute valeur informative » (pour peu que l’on puisse attribuer ce genre de label), ceux-ci contribuent à alimenter nos interactions sociales. Internet n’a pas changé cela : ce sont d’ailleurs les plateformes de chat, de communication entre pairs et/ou de divertissement qui ont le plus la cote, que ce soit auprès des jeunes ou des adultes.
Nous pouvons toutefois épingler quelques traits saillants. Il ne s’agit pas de généralités absolues, mais de phénomènes à étudier au cas par cas. On peut par exemple observer la propagation virale de certains contenus et les mouvements de « lynchages » collectifs sur la toile. Dans ces deux cas, des tendances qui existaient avant Internet semblent se renforcer : l’immédiateté (course à la rapidité et flux constant de « nouveautés »), l’appel à l’émotionnel, à une forme de réactivité « brute » (notamment à travers l’indignation), ou encore les bulles de filtre c’est-à-dire l’idée que nous consommons davantage des contenus qui correspondent à nos sphères d’appartenance sociale. Cette tendance est d’ailleurs renforcée, entre autres, par les algorithmes de recommandation.
Au final, pour répondre à la question « Consommons-nous différemment l’information depuis Internet ? », il importe de la poser au cas par cas, sur base d’exemples concrets. De quoi nous détacher des discours généralistes englobant tous les médias et tous nos usages médiatiques (toutes les manières de « consommer » des médias) dans le même sac.