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Le Forum ouvert de la COJ a mobilisé près de 150 élèves de quatre écoles de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Objectif : à la veille des élections 2019, pousser les jeunes à être auteurs de revendications politiques. Résultats ? Des signes religieux aux relations commerciales UE/Chine en passant par le revenu universel, le panel vaste de leurs préoccupations en a surpris plus d’un. Reportage …
Le lieu était convivial, l’accueil sympa. Au Bouche à Oreille à Bruxelles, la COJ s’est lancée dans une journée folle : un Forum ouvert1 laissant la liberté à plus de 150 jeunes de la Fédération Wallonie-Bruxelles de débattre de sujets politiques, libres de poser ou non des revendications. « C’est la première fois qu’on se lance dans cette méthode d’intelligence collective, sourit Yamina Ghoul, Secrétaire générale de la COJ. Ce Forum ouvert a réussi à poser un réel espace d’échanges entre les jeunes. C’était libre, efficace, ludique, sérieux. Une journée pour et par les jeunes. à voir leurs nombreux sujets (parfois inattendus) et leurs interactions fort dynamiques, le pari est gagné ».
Le Forum ouvert est le volet-phare du projet de la COJ #EnCampagnePasSansNous ! Ce grand projet s’inscrit en contrepoint des élections en Belgique (les communales 2018, les fédérales, régionales et européennes en mai 2019). « Dans le ramdam politique, il faut se faire entendre, poursuit Yamina Ghoul. La jeunesse y a rarement sa place ! Nous sommes une Confédération d’Organisations de Jeunesse. Un des objectifs des organisations de jeunesse est justement l’émancipation citoyenne des jeunes. Pas mal de jeunes vont voter pour la première fois. Au lieu de poser un mémorandum, on a voulu leur donner la place avec un principe cher au secteur jeunesse : la pédagogie non-formelle, la participation des jeunes et une tradition de la COJ, celle de créer des ponts avec l’école. Aujourd’hui, des jeunes de Ciney rencontrent des jeunes de Laeken. Ils discutent, se mélangent et s’étonnent. Faire se rencontrer des élèves de Bruxelles et de Wallonie à travers une expérience démocratique était un des fils conducteurs du projet. Dans le secteur jeunesse, on le sait : le processus est tout aussi important que le résultat du projet ».
En effet, en amont du Forum, depuis la rentrée scolaire, la COJ a organisé des animations de sensibilisation et de b.a.-ba politique (la gauche, la droite, le vote, les programmes des partis, les institutions, etc.) dans les classes de 5 et 6ème secondaires participantes2 (section transition, technique et professionnelle). Rayon bêtisier : certains avaient situé l’ONU à… Namur ! L’OTAN aussi. D’autres avaient situé Charles Michel au… PTB ! Cette première étape a donné des bases aux jeunes sur le fonctionnement de la politique belge et européenne. Le jour de leur rassemblement en forum, mi-novembre, ils seraient autonomes, en intelligence collective, débat libre sans adultes-modérateurs-animateurs-professeurs, etc. Pour cette technique singulière et son premier Forum ouvert, la COJ a fait appel au collectif bruxellois, Collectiv-a, pro du genre.
La journée s’est ouverte par une introduction judicieuse sur « le pouvoir et les minorités » par Bruno Derbaix des Ambassadeurs d’expression citoyenne (association hôte du jour). «Nous sommes beaucoup de minorités. L’âge est une des manières de répartir le pouvoir, a-t-il signalé aux jeunes. Il y en d’autres : des profs par rapport à des étudiants, des hommes par rapport à des femmes, des personnes qui savent comment gérer la migration par rapport à des migrants, etc. Et c’est souvent une envie de faire bien, d’aider alors que toutes ces personnes sont autonomes. Elles savent faire des choix ». Bien dit pour booster la confiance en soi.
Comment ça marche ? Le Forum ouvert, c’est d’abord une mise en cercle et une question de base. Assis en cercle, les participants construisent l’ordre du jour. La question de base ? « Quelles sont les idées, les questions, les possibilités dont je voudrais discuter pour conseiller les politiques afin d’améliorer la société dans laquelle je vis ? ». Au centre du cercle, des « post-it » sur lesquels déposer leurs sujets. Un agenda se peaufine. Première surprise : le grand écart de sujets parfois inattendu. L’éducation, l’immigration, les professions libérales, la liberté, la justice, l’énergie durable, le cannabis, l’Europe face à la guerre commerciale USA-Chine, les signes religieux à l’école, le
revenu universel, le sport à l’école, les jeunes addicts à la drogue… à chacun ensuite, en atelier et petit comité, de participer au(x) débat(s) de son choix. Au sortir des débats, ils afficheront un canevas-type de leur sujet résumé par une question (« Quel est le problème ? »), leurs solutions (« Ce qu’on ferait à la place… ») et une explication-motivation (« En quoi c’est important pour nous… »). Et enfin, des bulles dans lesquelles seront exposées leurs revendications.
Le Forum ouvert a bien pensé les choses. « La crainte du forum ouvert, c’est la question, signale Mélanie Ceyssens de Collectiv-a. Si elle ne met pas en mouvement, c’est raté. Il y a un moment où il faut aller chercher le « qu’est-ce que vous avez envie de changer ? ». Il faut aller chercher le pouvoir d’action des personnes. La question de la COJ était bonne. En dix minutes de Forum ouvert, les jeunes avaient pris la parole et l’action. »
En effet, Dans les coins et recoins, les jeunes s’activent : débats, arguments, contre-arguments, prises de note et de parole. Certains profs sont circonspects (« Vous croyez vraiment qu’ils ont des choses à dire ?»), d’autres sont fort emballés. Certains jeunes, eux, « glandent » au rayon jus de fruits, biscuits et café… Pas grave, ils ont aussi un rôle dans l’Intelligence collective. Ce sont les « papillons », animal-totem de la méthode « sorte de ‘rebelles’, explique Mélanie Ceyssens. Ils disent « ce n’est pas mon truc » et se trouvent au café ou « par hasard » ils se mettent à parler avec d’autres personnes sur des choses liées à la question du jour et, peut-être, ils proposeront des idées qui sont aussi porteuses. On n’est pas tous des personnes qui aimons creuser pendant une heure ou, à l’inverse, qui changeons d’envies ou de discussions. C’est une méthode qui le permet. »
Décidément, quelle aventure pour cette journée fluide entrecoupée de joutes verbales, d’un pierre-papier-ciseaux géant et de nombreuses « pauses café ». La suite ? à partir de janvier, #EnCampagnePasSansNous poursuit son projet sous-titré… Les jeunes s’adressent aux politiques. Affaire à suivre.
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1. « Le meilleur, c’est les pauses café » aurait dit un ami à Harrison Owen lors d’une conférence qu’il organisait pour 200 participants. C’est la légende à la base de sa méthode Forum ouvert ou l’Open Space Technology inventée en 1985 qui permet d’organiser des colloques et autres rencontres constructives donnant une confiance, une autonomie et une grande liberté aux participants.
2. Les écoles participantes : l’école Provinciale d’Agronomie et des Sciences de Ciney, La Fraternité à Laeken, l’Athénée royal d’Andenne (absente du Forum ouvert), l’Athénée royal Bouillon-Paliseul et le Collège Saint Remacle de Stavelot.
« J’ai proposé le sujet sur l’immigration car la politique prend de mauvaises décisions, les médias partagent des infos du genre « Mohamed a poignardé Lucie », des gens deviennent racistes et votent extrême-droite. à Stavelot (d’où je viens), on est peu confronté à cela mais dans mon équipe de foot, j’ai un ami, un immigré syrien qui m’a raconté ce qui se passait dans son pays. Cela m’a interpellé. Dans mon atelier, je ne m’attendais pas à autant de participation. On était une vingtaine de jeunes, d’écoles différentes, de nationalités différentes. On a débattu pendant 30 minutes. On est arrivé à l’idée qu’on devrait avoir plus d’information sur ce sujet et des campagnes de sensibilisation. J’ai appris beaucoup de choses sur la pensée des autres, avec d’autres écoles comme Bruxelles. J’ai pris cela comme un enrichissement personnel et non comme un truc de revendications qui va réussir à changer la politique. Car on est dans une société où les jeunes ne sont pas assez entendus. C’est dommage. » Louis, 17 ans.
« J’ai proposé le débat – Pourquoi est-ce qu’on devrait interdire les signes religieux distinctifs à l’école et au travail alors qu’on vit dans un pays libre et laïque ? – parce que je vis cette interdiction au quotidien. C’est d’ailleurs la première sortie scolaire où j’ai le droit de porter mon voile. Les élèves des autres écoles (wallonnes) ont d’ailleurs été surpris car, apparemment, dans leurs écoles, le voile n’est pas interdit. La plupart pensait aussi que la majorité des femmes voilées étaient forcées de le faire. Alors que non (même si cela existe et que c’est une réalité). On voile nos têtes pas nos cerveaux. Bref, c’était plus une discussion qu’un débat. Intéressant et dans le respect. » Safia, 18 ans
« J’ai participé à deux sujets : Doit-on légaliser le cannabis ? et L’immigration. Sur le cannabis, le débat était tendu, au début, entre ceux qui pensent que cela va augmenter le nombre de consommateurs et ceux qui défendaient l’inverse. L’immigration, c’est parti dans tous les sens, sans trouver des grandes revendications. Le mélange des écoles de Bruxelles et de Wallonie ? Le contact avec les garçons était plus difficile qu’avec les filles avec qui on a rigolé, argumenté, discuté etc. Je ne pensais pas que cela allait être comme ça : on s’est tous respectés. Envoyer nos revendications aux politiques ? J’y crois oui et non. « Oui » peut-être cela va aller jusqu’à leurs oreilles. « Non », je pense qu’ils s’en foutent. » Toufiek, 19 ans
« Je trouve l’idée intéressante de porter nos revendications au niveau politique. Certains pensent que les politiques s’en foutent mais c’est aussi que les jeunes, la plupart du temps, n’arrivent pas à donner leur avis. » Nabil, 18 ans.
Avec l’année électorale (des communales aux européennes), je ne me voyais pas ne pas en parler. Dans le Forum Ouvert, j’ai observé les choix des débats et des revendications des jeunes. Certains jeunes ont posé des sujets sur l’école gratuite, d’autres sur l’environnement. Cela va me permettre de travailler avec mes élèves sur certains thèmes, d’avoir des idées concrètes à relayer, par exemple, auprès des conseillers communaux. J’ai été frappé par la superbe énergie qui circule entre les jeunes et des rencontres qu’ils peuvent faire. Etre autonome, pouvoir partir quand le sujet ne m’intéresse plus ou d’aller voir ailleurs, J’ai trouvé cela – au niveau intellectuel – assez génial ! A l’image d’Internet, on passe facilement d’un documentaire à l’autre, d’un sujet à un autre. On coupe une fenêtre, on en ouvre une autre. C’est une dynamique intéressante ». Anne Macoir, professeure de CPC (philosophie et de citoyenneté-) à l’Athénée royal Bouillon-Paliseul.