Logo COJ

Rencontre & Réflexion

J’ai (encore) débattu sur Internet (et j’aurais pas dû)

  18 Sep , 2019   , ,    COJ

Dégainer son clavier, plonger dans le débat comme on va au front, tirer commentaire sur commentaire et finalement se demander « qu’est-ce qui m’a (encore) pris » ? Et si le salut venait de la pleine conscience ?

Routine matinale. Je lis un peu les sites de presse et parcours mon « fil d’actualités » sur les médias sociaux. Je tombe sur un thème qui m’interpelle. En-dessous, je découvre des commentaires postés par un inconnu. Son avis me déplait. Je dégaine mon clavier et pars au front. Une fois ma réponse envoyée et l’impulsivité retombée, je m’interroge : qu’est-ce qui m’a (encore) pris ?

La personne qui a posté initialement l’avis me répond à son tour. Il n’est pas très courtois, se moque un peu de mes arguments et en profite pour lâcher quelques attaques « ad personam » (contre ma personne et non mes idées). Mon sang bout à nouveau, je me précipite pour lui adresser mes contre-arguments. Une fois, deux fois, trois fois… Pourquoi ne retiens-je pas les leçons ?

Apprivoiser mes réactivités

Dans ce débat, je réagis comme par réflexe, et non tant en fonction de ce à quoi j’aspire. C’est l’un des enseignements de la pleine conscience et des courants connexes à propos de la gestion des émotions, notamment : j’ai des tendances à l’action, des manières de penser et des comportements que je privilégie de manière quasiment automatique dans certaines situations.

Au quotidien, nous sommes confrontés à des choses qui nous interpellent ou nous font réagir. A fortiori, les médias tâchent pour la plupart de capter notre attention, en jouant sur la corde émotionnelle. Les articles qui nous émeuvent ou nous indignent sont les plus visibles. Nous sommes donc parfois pris dans une forme de réactivité brute. Une alternative serait de prendre conscience de ces processus, sans s’autoflageller, avec une curiosité ouverte et une bienveillance pour soi. Prendre le temps, ne serait-ce que quelques secondes, pour observer ce qui se passe dans mon corps, dans mes tripes, dans mes pensées. C’est là, et c’est ok. Dans un second temps, après avoir fait ce chemin de conscience, il s’agit de récupérer du pouvoir d’action : au lieu de foncer tête baissée dans mes réactivités, ne puis-je pas développer une manière de répondre qui (me) convienne davantage ?

Mesurer nos objectifs

Avec un peu de recul, je constate qu’après de tels échanges (en ligne ou de visu), je me sens parfois frustré. J’ai dépensé beaucoup d’énergie pour un résultat insignifiant.

Une alternative à cette manière d’agir consiste à essayer de clarifier mes objectifs et ceux de l’autre personne avec qui je souhaite discuter1. Mes objectifs sont-ils si importants que je me lance dans une discussion avec une personne que je connais peu ? Qu’ai-je à« gagner » en la faisant changer d’avis ? En quoi est-ce important pour moi ? S’agit-il de convaincre l’autre, d’influencer les spectateurs du débat, ou encore d’autre chose ? Cela vaut-il la peine d’investir du temps et de l’énergie en ce sens ? Ainsi, si mon objectif n’est pas très important, je peux tout simplement éviter la discussion, ou encore même laisser l’autre avoir raison, c’est-à-dire m’accommoder de ses idées.

De plus, il est important de jauger les objectifs de l’autre. Cherche-t-il à avoir raison à tout prix, quitte à sacrifier la relation (attitude de compétition agressive), ou est-il ouvert au fait de considérer mes objectifs lui aussi ? S’agit-il de discuter « face à un mur » ou une co-construction est-elle possible, jusqu’à une coopération dans l’élaboration des idées ? Pour coopérer, il faut être au moins deux à avoir envie de le faire. Dans le cas contraire, j’ai plutôt intérêt à me protéger, à moins d’avoir un objectif qui dépasse notre situation (par exemple, informer le public du débat).

Être plus à l’écoute de son « thermomètre intérieur » et choisir ce qui nous semble adéquat sur le moment est un « chemin de conscience » loin d’être évident. Hier encore, je me suis surpris à taper sur les touches de mon clavier, la mâchoire serrée et les sourcils froncés… λ

Julien Lecomte, chroniqueur médias

—————————–

1. Ce questionnement relève de l’application de la grille de lecture de Thomas et Kilmann. Ces deux auteurs, sur base des objectifs des parties en conflit, distinguent différents types d’attitudes possibles face à un désaccord. Celles-ci sont toutes plus ou moins appropriées en fonction de la prise en compte de ces objectifs.