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Politique

La jeunesse dans les sables mouvants de la pauvreté

  21 Déc , 2016   , ,    Mathieu Midrez

Plus de deux millions de Belges vivent aujourd’hui dans la pauvreté. Parmi eux, combien de jeunes ? Les politiques des gouvernements, le système social, le travail : qu’est-ce qui les pousse dans la pauvreté ou les en éloigne ? Tour de la question en compagnie de Christine Mahy, secrétaire générale du Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté.

Trois critères forment ensemble l’indicateur européen de la pauvreté, explique Christine Mahy : 1. la pauvreté monétaire, 2. la privation matérielle grave et 3. la faible intensité de travail. ». En effet, le premier se base sur le revenu net. Il y a risque de pauvreté si celui-ci est inférieur à 60% du revenu médian de la population (actuellement, en Belgique, 1.083 € pour un isolé, 2.274 € pour un ménage). Le deuxième critère se base sur les privations des personnes, sur des besoins considérés comme essentiels : payer un loyer, se chauffer, s’offrir une semaine de vacances en dehors de chez soi, etc. Enfin, selon le troisième critère, on est en situation de pauvreté lorsqu’on vit dans un ménage dans lequel les adultes ont travaillé moins d’un cinquième de leur temps sur une année de référence.

En Belgique, selon Eurostat, 26% des jeunes belges (15-24 ans) vivent dans la pauvreté. Un sur quatre ! Après une baisse jusqu’en 2009 (20,5%), la situation ne cesse désormais de se détériorer. Autre signal alarmant : la jeunesse est désormais la catégorie la plus pauvre de la population. Les personnes âgées (65+) ont en effet vu leur sort s’améliorer grâce à la revalorisation des pensions minimales. Ces chiffres sont, de plus, renforcés par le « sentiment de pauvreté/précarité ». Le taux de pauvreté subjective est encore plus fort : Des jeunes n’étant pas considérés comme pauvres selon les critères s’estiment pauvres.

La sécu’ : un filet anti-pauvreté ?

Fier de son système social, la Belgique offre diverses allocations sociales qui empêcheraient le basculement des jeunes dans la pauvreté. Les statistiques existantes démontrent que la pauvreté monétaire (basée sur le revenu net) doublerait chez les jeunes sans ces diverses allocations sociales. Un impact indéniable néanmoins insuffisant, un quart des jeunes restant dans la pauvreté. Comment l’expliquer ? En Région bruxelloise, par exemple, 10% des jeunes sont au CPAS. Le montant qu’ils peuvent obtenir : 867 euros/mois alors que le seuil de pauvreté est à… 1.083 euros/mois. Le chômage ? Minimum : 991 euros/mois. Les allocations d’insertion (en attendant un premier emploi) ? 850 euros/mois. Filet, le système social garantit donc peu une sortie directe de la pauvreté. On voit d’ailleurs que parmi les jeunes entre 20 et 30 ans, plus de la moitié vivent chez leurs parents. Un nombre en augmentation ces dernières années, toujours selon Eurostat. Toutefois, tous les ménages n’ont pas les moyens d’accueillir leur jeune, d’en supporter le cout financier, notamment les ménages monoparentaux.

L’enjeu est européen. Avec 26% de ses jeunes en situation de pauvreté, la Belgique fait en réalité mieux que la moyenne de la zone euro (29,6%) mais légèrement moins bien que ses grands voisins, France et Allemagne (24% et 23%). Dans les pays durement frappés par la crise (Italie, Grèce, Espagne, …), la pauvreté a explosé, touchant parfois la moitié des jeunes.

Mais il y a aussi la pauvreté invisible des chiffres officiels, souligne Christine Mahy : « Depuis les années 70’-80’, les crises économiques se succèdent et l’Etat est remis en cause, doit faire des économies, etc. Une vision négative autour des services publics et de la sécurité sociale s’est développée, notamment chez les jeunes. On ne parle donc pas ici d’appauvrissement matériel mais d’un appauvrissement de la compréhension de ce qu’est une société collective. Or, elle est essentielle pour comprendre les origines de la pauvreté matérielle (au-delà des préjugés, des explications individualisantes, etc.) et la réduire. Heureusement, ces dernières années, l’insatisfaction générale, la repolitisation (lente mais réelle) et la nécessité reconduisent plus d’acteurs sociétaux, de jeunes, d’établissements scolaires vers une approche collective de la société. ».

L’emploi, une pilule miracle ?

Les chiffres globaux nous en convaincraient : 40% des chômeurs sont pauvres, contre seulement… 4,5% des travailleurs ! Avoir un emploi peut donc faire une différence cruciale. Pourtant, Christine Mahy nuance : « Dans l’absolu il continue d’y avoir de plus en plus d’emplois mais beaucoup de temps-partiel, d’intérim, etc. avec des revenus bas. Les travailleurs de moins de 25 ans ou avec un faible niveau d’éducation connaissent des taux de pauvreté également bien plus élevés, malgré leur emploi. Trouver un travail ne fait donc pas forcément sortir de la pauvreté. ».

Le Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté, composé aujourd’hui de 25 associations et d’un ensemble de partenaires, active une démarche participative à l’exercice des droits des personnes en situation de pauvreté. Il y a quelques années déjà, le réseau exprimait la volonté d’éradiquer la pauvreté d’ici 2025… Utopique ? « Le message, explique C. Mahy, était qu’il est inadmissible de laisser penser qu’on ne peut pas éradiquer la pauvreté. Il faut pousser les gouvernements à en faire une priorité. La pauvreté n’est pas « une matière », qui doit être « gérée ». C’est une injustice subie par certains et il faut la faire disparaitre. »…

Forum – Bruxelles contre les inégalités

« En Région bruxelloise, un jeune sur trois subit la pauvreté ». Le Forum – Bruxelles contre les inégalités est parti de ce constat pour organiser un rendez-vous en octobre dernier avec quelques 400 travailleurs sociaux, politiques et représentants d’administrations. Après une introduction par les ministres Frémault (Action sociale et Famille), Madrane (Aide à la Jeunesse) et deux chercheuses pour contextualiser l’enjeu, place à la méthode « forum ouvert » : les participants proposent des thématiques autour desquelles de petits groupes de discussion se forment, parfois à deux, parfois à quinze. Chacun a pu apporter sa spécificité sectorielle (jeunesse, santé mentale, action sociale, etc.) sur les grossesses précoces, la précarité des jeunes issus de pays étrangers, l’allocation universelle, etc. Résultat ? Une compilation de près de cent pages de propositions, opinions, critiques (disponible sur www.le-forum.org). En s’inspirant des enjeux identifiés, le Forum compte entamer une recherche-action en 2017 sur la précarité des jeunes à Bruxelles. à suivre.

Pauvreté : quelles politiques ?

Au niveau Fédéral, la Secrétaire d’état à la lutte contre la pauvreté (Elke Sleurs, NVA) a pour fonction d’établir un plan transversal qui mobilise les différents ministres (énergie, numérique, santé publique, etc.). Son plan 2016-2019 contient une soixantaine d’actions, principalement de la simplification administrative, plus de contrôles (lutte contre la fraude sociale) et des échéances peu précises (« avant la fin de la législature », « en fonction de la faisabilité budgétaire »,…). L’augmentation progressive des différentes allocations jusqu’à atteindre le niveau du seuil de pauvreté est probablement la mesure qui sera la plus bénéfique pour les jeunes. Toutefois, parallèlement, le Fédéral, c’est aussi les mesures d’exclusion du chômage et la limitation des allocations d’insertion dans le temps (décidées en 2011, en application depuis 2015). Ces deux mesures ont eu autant d’impact sur l’augmentation du nombre de personnes au CPAS que la crise économique en six ans. De nombreux jeunes ont ainsi basculé de la sécurité sociale vers l’assistance sociale, plus précaire et invasive (car basée sur un examen des besoins et des ressources, avec évaluations et sanctions).

De son côté, le gouvernement wallon a sorti son 1er plan de lutte contre la pauvreté il y a un an. Il relève du Ministre-président (la pauvreté ici n’est pas une matière en soi), différents acteurs ont été associés à sa réalisation et des évaluations sont prévues tous les ans. Il part donc sur de bonnes bases mais, malgré quelques mesures innovantes et une attention particulière portée aux jeunes, ce plan valorise surtout l’existant et plusieurs des actions préconisées se trouvaient déjà dans la déclaration de politique régionale. De plus, aucun budget spécifique n’a été prévu.

A Bruxelles, un plan de lutte contre la pauvreté pour cette législature devrait sortir au premier trimestre 2017. Entamé depuis 2015, le délai fort long peut s’expliquer, entre autres, par l’imbroglio institutionnel bruxellois : COCOF, VGC (l’équivalent flamand), Région et COCOM participent à l’élaboration de ce plan (chaque ministre donne ses objectifs) et doivent l’approuver. Un beau casse-tête ! Entre-temps, certains ministres ont déjà pris des mesures relatives aux jeunes, le contrat d’insertion jeunes par exemple.

En attendant de voir quelles mesures de ces plans verront effectivement le jour, on peut déjà dire que ce ne sera pas suffisant pour réellement faire baisser la pauvreté chez les jeunes…