Crispations identitaires, attentats terroristes, exclusions/spoliation des migrants, l’actu folle des derniers mois pose la question du vivre ensemble et de la mixité. En parallèle à l’interview avec Edouard Delruelle, professeur de philosophie politique (à lire ici), nous avons sondé quelques unes de nos 37 organisations de jeunesse...
« Nous sommes dans des mixités sociale et culturelle avec nos jeunes de Mons-Borinage, parfois en décrochage scolaire. Un public ancré dans la famille au sens élargi avec de forts liens collectifs et un tissu solidaire au sens où tout le monde connait tout le monde. Projet mixité ? On a créé un projet ‘échanges de savoirs par les pairs’ entre jeunes de Louvain-la-Neuve et jeunes de Mons et environs. La mixité de genre est dans toutes nos activités, sans difficultés particulières. Cependant, lors de certaines tranches de vie, par exemple lors de l’adolescence lorsque les rapports de séduction s’installent, des débats ouverts sont mis en place afin que les jeunes puissent s’exprimer. Les cultures jeunes sont différentes, trouver un point d’amorce identique aux différents publics et cultures est la pierre la plus difficile à poser. Les choses sont facilitées dès que le projet est concret, avec des objectifs à atteindre rapidement. Chez nous, chacun est le bienvenu avec ses croyances, ses rites et ses coutumes mais la collectivité prime sur l’individualité. ». Groupe Ifac
« Dans nos chantiers (inter)nationaux, les jeunes viennent de plusieurs pays/continents, de milieux sociaux diversifiés. Nous prenons soin de faire participer les personnes en situation de handicap. Il y a les représentations différentes, les habitudes et coutumes (notamment alimentaires), des sensibilités et des besoins particuliers à tenir compte. La mixité culturelle a toujours été présente dans nos groupes. Celle de genre a été conquise, si j’en crois d’anciennes publications datant des années 60. La mixité sociale a par contre demandé beaucoup plus de travail. Historiquement, nos projets attiraient un public assez privilégié (éducation, conditions économiques). Nous avons donc adapté nos méthodes pour toucher des jeunes de milieux défavorisés, en difficulté. Avec les migrants ? Nous organisons des chantiers dans des centres de réfugiés. Par rapport à la crise actuelle, cet été, nous accueillerons des échanges de jeunes centrés sur la thématique des réfugiés. A chaque fois, l’objectif est d’encourager la participation de jeunes réfugiés sur des projets de jeunesse, mais aussi de sensibiliser l’ensemble de nos jeunes et les communautés locales où se déroulent les échanges sur la thématique de l’accueil. Quant aux accommodements raisonnables. Cela est possible, tant qu’ils ne nuisent pas à la vie de groupe et au développement de l’activité. On a ainsi déjà adapté les horaires des repas ou d’ateliers en période de ramadan. Au niveau nourriture, nous sommes toujours prêts à proposer des régimes sans porc, végétariens, etc. Cela peut permettre de rencontrer des particularités culturelles et d’apprendre les uns des autres. ». Les Compagnons Bâtisseurs
« On essaye au mieux de promouvoir les différentes mixités (sociale, culturelle, d’âge, de genre…). Dans notre cas, le plus difficile est de toucher un public plus « défavorisé » économiquement et issu de population « urbaine » et de les amener à participer à nos activités ! Ce genre de public n’est pas un public « classique » au sein de notre OJ. Nos animateurs sont donc souvent demandeurs de conseils, aides pour adopter des postures adaptées à leur encadrement. Projet mixité ? Depuis plus d’un an, nous avons un partenariat avec un Centre d’Entraide dans lequel est organisé des écoles de devoirs. Toutes les trois semaines, nos animateurs animent dans la nature une vingtaine d’enfants issus de ces EDD. De plus, pour les camps d’été, un Service d’Accueil et d’Aide éducative prend contact avec nous pour réserver quelques places pour les enfants et adolescents issus de leur structure. La principale difficulté est la formation. Chaque groupe a ses spécificités et nos animateurs ne sont pas toujours armés pour favoriser une mixité effective sur le long terme. ». Jeunes et Nature
« Le melting-pot est fondamental. Nos formateurs rencontrent un public d’âges, de niveaux d’études, de milieux, de situations familiales, de métiers très diversifiés, depuis la mère de famille nombreuse d’un petit village d’Ardenne à l’adolescent citadin, en passant par le groupe de jeunes envoyé par son mouvement… Il faut s’adapter, être ouvert, humble et bienveillant. Les participants sont respectés selon leur culture, leurs coutumes et leurs souhaits (pour les repas, pas de porc, végétarien ou autres). Concernant les migrants, nous avons le projet de participer à l’accueil/animation de la cinquantaine de mineurs étrangers non-accompagnés (MENA) qui vont être hébergés à Poix Saint-Hubert. C’est une richesse de travailler en mixité, mais aussi parfois, une difficulté. Tous les intervenants doivent être « sur la même longueur d’onde », préparés à cette démarche. Il est important aussi que l’équipe de formateurs sur place soit elle aussi hétérogène… ». CJLg
« Nous sommes dans une démarche volontariste d’hétérogénéité sans que cela ne soit l’objet de la rencontre. Cela nous amène à déployer des partenariats avec divers milieux associatifs ou publics et à inventer des modes de participation et de rencontre qui combattent la stigmatisation et le repli sur soi. Il s’agit de questionner les assignations (sur les jeunes, les pauvres, les lesbiennes, les intellos, les hommes, les je ne sais quoi…) qui aliènent ! Enfin, le respect des singularités n’implique pas de répondre aux demandes individuelles : pas d’instauration de lieux d’expression convictionnelle (ex. lieu de prière), ni de prise en compte des régimes alimentaires établis au nom du respect d’une conviction, d’une croyance ou d’une option philosophique. Notre volonté est de préserver un lieu collectif, commun, laïc et d’empêcher tout enfermement. ». SJ CEMEA
« Nous sommes essentiellement dans une mixité sociale et culturelle, avec des jeunes issus de milieux populaires, en situation de vulnérabilité sociale. Une bonne partie des jeunes sont issus de l’immigration (maghrébine pour une part importante). La vie en collectivité provoque parfois au quotidien des situations d’incompréhension/tensions liées à des codes culturels hétérogènes. Ex : Autour de sensibilisation à l’homophobie, des freins « religieux » peuvent apparaître. La difficulté réside ici dans l’absence d’un socle commun de représentions. La mixité nécessite une certaine tolérance, la capacité de faire des compromis, de remettre en question ses croyances. Cet exercice de remise en question nécessaire au vivre ensemble n’est pas toujours aisé. Il n’y a pas de décision structurelle, il y a au cas par cas des accommodements raisonnables. On évitera dans la mesure du possible des moments de tensions inutiles et ne comprenant, de notre point de vue, pas d’enjeux majeurs. Les questions relatives aux migrations prennent place à différents endroits et moments de réflexion de l’année citoyenne, et ce depuis de nombreuses années. Cette année particulièrement, l’actualité a permis la mise en place de projets particuliers, (notamment avec la plateforme Maximilien ou avec les MENA du centre de la Croix-Rouge à Uccle. Enfin, il est difficile d’émettre des généralités autour des rapports de genre dans le projet Solidarcité. Les relations interpersonnelles qui sont parfois difficiles ne dépendent que très ponctuellement des rapports filles/garçons. ». Solidarcité
Filles & Garçons : dans une même équipe ? La mixité à l’école dans les sports et loisirs des jeunes … est le long titre-programme d’un colloque récemment organisé par la Communauté française qui constate qu’« à l’école, au sein des mouvements de jeunesse, dans leurs activités sportives ou de loisirs, les jeunes sont encore souvent confrontés à la non mixité. ». On retiendra de cette journée les constats et interrogations. Au rayon questions : comment favoriser la mixité dans les associations ? Sont-elles toutes accessibles aux garçons et aux filles ? Comment agir pour changer les mentalités dans les quartiers ? Doit-on forcer la mixité dans les mouvements de jeunesse ? Quel est l’enjeu de la présence (ou absence) des filles dans les structures jeunesse ? Mixité et multiculturalité ? Les jeunes et les stéréotypes de genre ? Quid des LGBT ? … Au rayon constatations : pour que la mixité s’installe, il faut instaurer un climat de confiance, changer les mentalités et agir dans le cadre de la mixité. Cela nécessite un travail en partenariat avec toutes les forces vives du quartier (écoles, commune, associations voisines…) et avec les familles (parents, fratrie). On remarque d’ailleurs un réel tiraillement chez certains jeunes qui ont un sentiment de déloyauté par rapport à leur famille quand la mixité est bien présente, aussi bien chez les garçons qui se devraient d’empêcher les filles d’entrer dans l’association que chez ces dernières qui participent parfois malgré une réticence voire une interdiction familiale. Il y a un réel travail de fond à mener tant sur la multiculturalité (car beaucoup d’associations œuvrent dans des lieux très multiculturels) que sur la formation de base des animateurs où le principe de coéducation devrait beaucoup plus apparaître. Un autre pan de la formation des animateurs devrait porter sur les stéréotypes de genre mais aussi sur l’hétéronormativité. Quelques pistes : favoriser un travail différencié dans les associations avec des moments d’ateliers mixtes et des moments d’ateliers non mixtes. Instaurer des « débarquements de filles » dans des associations où les garçons sont majoritaires, etc. Quelques vidéos et documents de la journée sont disponibles sur le site : www.egalite.cfwb.be .
Sophie Destexhe